Récompenses spécialisées et cinéma « mainstream » : Quand Xavier Dolan crée la controverse

Depuis qu’il s’est insurgé dans les colonnes de « Télérama » contre la Queer Palm, une récompense qui lui a été décernée en 2012 pour son troisième film Laurence Anyways, mais qu’il refuse de venir chercher, Xavier Dolan suscite une vive polémique :

Bwh22egIEAEbUHT.jpg-large« Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghettoïsantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas y en avoir. »

Ses déclarations ont enflammé les réseaux sociaux. Associations gay, militants, organisateurs de festivals LGBT dénoncent des propos « consternants » qui remettent en cause le travail pour la reconnaissance du cinéma gay et de la cause homosexuelle. Daniel Chabannes, le directeur d’Épicentre Films qui distribue des films de réalisateurs gay, critique ce qu’il considère comme de l’ingratitude de la part de Xavier Dolan. Sur le site spécialisé Yagg, Romain Vallet, rédacteur en chef du mensuel Hétéroclite, parle, lui, d’un véritable « coup de poignard ».

« Le plus grave, c’est l’accusation de ghettoïsation, de segmentation portée contre un prix qui, comme tous les prix de cinéma LGBT du monde, vise à rendre visibles et à offrir une caisse de résonance médiatique à des oeuvres qui continuent d’effrayer les producteurs et les distributeurs », écrit-il dans une tribune. « Ces propos n’insultent pas seulement la Queer Palm. Ils sont aussi bien évidemment une injure à tous les autres prix LGBT remis par des festivals de cinéma dans le monde : les Teddy Awards de la Berlinale, les Queer Lions de la Mostra de Venise, etc. Mais ils vont bien au-delà. Ils constituent aussi une remise en cause du principe même de tous les festivals de films LGBT du monde. (…) Pire : ils sont une arme de guerre contre tout ce qui revendique une identité gay, ou lesbienne, ou trans, ou bi. Un média gay, un bar gay, une association gay… s’inscrivent ainsi, si l’on suit la logique dolanienne, dans une démarche ghettoïsante, ostracisante, qui diviserait et fragmenterait le monde en petites communautés étanches. »

Pour l’ancien fondateur d’Act-Up Paris et de « Têtu », Didier Lestrade, la position du réalisateur québécois est une « trahison ».

Contacté par Terrafemina, Didier Lestrade n’a pas de mots trop forts pour juger la sortie du prodige québécois : « Ce reniement est choquant venant d’un réalisateur qui s’est fait connaître grâce à des films qui abordent des sujet typiquement gay, comme la relation d’un fils avec sa mère (thème du film J’ai tué ma mère, ndr). S’il ne voulait pas être étiqueté, il n’avait qu’à faire son premier film sur des sauterelles ! C’est une stratégie commerciale, typique dans le milieu du cinéma : C’est comme Ang Lee, qui refusait de prononcer le mot homosexuel pour parler de Brokeback Mountain, un des plus beaux films sur l’homosexualité ! C’était purement commercial. Xavier Dolan trahit non seulement son public de base, auquel il doit en partie son succès, mais également les festivals qui l’ont fait connaître à ses débuts, qui se sont engagés pour lui. Il se comporte comme Pedro Almodovar, François Ozon ou Christophe Honoré qui ne rechignaient pas, au début de leur carrière à ce que leurs films soient sélectionnés dans des festivals LGBT, et qui ont, par la suite, renié leur identité. Cela me rappelle quand Almodovar avait refusé de donner une interview à Têtu au motif que c’était un magazine gay… »

Interrogé justement au sujet de la couverture que consacre, ce mois-ci, Têtu à Xavier Dolan, Didier Lestrade – qui a donc quitté le magazine en 2008 – est sans appel : « Si j’avais été encore là-bas, je n’aurais pas accepté de l’interviewer et encore moins de le mettre en couverture du magazine après ces propos, qui sont une insulte à la communauté gay ». Le journaliste français tente ici de retourner l’argument du réalisateur : « C’est lui qui est ostracisant, il a fait son coming-out très tôt car ça l’arrangeait, et maintenant il a honte qu’on puisse le considérer comme un réalisateur gay, c’est pathétique. »

Pour Franck Finance-Madureira, président-fondateur de la Queer Palm, c’est « la question orientée du journaliste » combinée à « la violence de la réponse » qui dérangent. Même si « c’est son point de vue et je le respecte… je ne pense pas que les positions pro ou anti-prix ‘queer’ soient un critère à prendre en compte. »

Mommy, le nouveau film du réalisateur, Prix du Jury ex-æquo avec le film Adieu au langage de Jean-Luc Godard au dernier Festival de Cannes et qui vient d’être choisi par le Canada pour représenter le pays aux Oscars, dans la catégorie Meilleur film étranger, sera en salles le 8 octobre prochain.


Mommy – Official Trailer par konbini

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Avec sources : Lepoint.fr / terrafemina.com