Audience : Christine Boutin plaide la relaxe, estimant être jugée pour « une opinion »

Ce vendredi 23 octobre, Christine Boutin était poursuivie devant la 17e chambre correctionnelle du palais de justice de Paris, pour « incitation et provocation à la haine et à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur orientation sexuelle ». Tout en déclarant être « une pécheresse »,  l’ancienne présidente du Parti chrétien-démocrate avait qualifié l’homosexualité d’ « abomination » dans le magazine Charles, le 2 avril dernier.

« L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ».

Des propos qui auront suscité de vives réactions, incitant l’ancienne ministre à reconnaitre dans un communiqué « qu’ils étaient maladroits ».

« Je n’ai proféré aucune attaque personnelle et regrette que le sens de mon propos ait pu être mal compris, voire blesser. Il n’y avait là aucune intention de porter atteinte à quiconque », expliquait dès le lendemain Christine Boutin. Mais « que ce soit le mouvement LGBT qui dépose plainte contre moi, il n’y a là que la poursuite de son combat contre toutes les valeurs de promotion de la famille et de la défense du plus fragile, en l’occurrence l’enfant, que je porte indéfectiblement en politique depuis toujours. La gauche porte une idéologie que je condamne. Ce n’est pas nouveau ».

« Madame Boutin… avez-vous conscience et connaissance des mots que vous employez, compte tenu de votre grande expérience politique ? »

« Je pense qu’il s’agit plus d’une appréciation que d’une question… », répond l’ancienne ministre au Président, Alain Bourla, qui vient d’introduire l’affaire en épluchant, jusqu’à la définition des mots, l’interview fleuve qu’elle a validé après relecture. Soulignant qu’ils correspondaient à « des références bibliques », elle insiste « j’ai seulement répondu à la question du journaliste… Entre mes opinions et une certaine communauté, c’était l’occasion de pouvoir m’exprimer. Une occasion de clarifier ma pensée », explique-t-elle. « Mon objectif n’était pas de blesser. Je suis une femme directe. J’essaye d’être en accord avec mes convictions profondes. Je n’ai jamais caché ma spiritualité. Mais cela ne veut pas dire que je condamne les homosexuels… ».

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Le Président l’interroge sur sa perception de l’homosexualité…

– « Est-ce que cette évocation du pécheur et du péché signifie que pour vous l’homosexualité est un péché ? »
– « Comme je le suis aussi… mais je n’en fais pas l’apologie. »
– « Quel est le péché des homosexuels ? »
– « Ce n’est pas à moi de le dire… »
– « Madame Boutin, un peu de courage, vous n’allez pas baisser les bras ?! Il suffit de répondre par oui ou non… Personne ne vous a demandé de faire l’apologie d’un péché. Mais est-ce utile de stigmatiser ? Est-ce à vous de juger ce qui est un péché ou pardonner ? ».

« Abomination : Qui provoque un sentiment d’horreur, d’aversion, de dégoût… C’est d’une extrême violence pour une femme politique expérimentée comme vous ! »

– « Je regrette profondément, je le reconnais. Mais, je suis très étonnée de la réaction suscitée par ce propos « maladroit ». »
– « Vous, qui avez représenté des électeurs, des gouvernements… Vous êtes étonnée des réactions ? »
– « Pour les catholiques, tous les péchés sont des abominations. Mais je ne réduis pas une personne à un acte ».
– « L’homosexualité est un acte ? »
– « Oui, je le pense… »
– « Êtes-vous d’accord avec le fait que l’homosexualité est une orientation sexuelle ? »
– « J’avoue que je ne me suis jamais posée toutes ces questions… Vous allez me faire progresser ».
– « Quand on dit qu’une personne est homosexuelle, on fait référence à son identité sexuelle, son orientation… »
– « Il n’y a que la personne qui peut le dire… »

« C’est pourtant simple… avec l’hétérosexualité c’est pareil. Quand je dis, « cette personne est hétérosexuelle », on évoque sa sexualité. Alors, pensez-vous qu’en évoquant l’homosexualité, on puisse ensuite dire qu’on ne vise pas une personne ? Soyons subtils. »

– « Vos questions sont pour moi une blessure… »
– « Je ne vous ai pas interviewée dans Charles et je ne vous ai pas non plus demandée de parler de l’homosexualité… »
– « C’est mon opinion ! »
– « Je crois que vous restez sur une ligne de conduite… »
– « Mes amitiés le prouvent : j’ai des amis homosexuels ! »
– « Les pires propos antisémites sont tenus pas des gens qui disent, « j’ai des amis juifs » ».
– « Non seulement des amis mais j’ai aussi des collaborateurs homosexuels », fait encore valoir Madame Boutin, démunie en arguments.
– « Pourquoi est-ce si extraordinaire pour vous d’avoir des collaborateurs homosexuels ? », poursuit le juge, en exhumant une liste de ses « phrases chocs ».

«Vous avez également déclaré que l’homosexualité était une question de mode. »

– « J’ai dit ça un matin, de bonne heure, avec Bourdin (Jean-Jacques) que j’aime bien… »
– « C’est une parole un peu maladroite du matin… et le soir ? »
– « Ce n’est pas la mode au sens où tout le monde met un « Blue Jeans », l’homosexualité fait partie des nouveaux codes ».
– « Homosexuels, « Blue Jeans », l’homosexualité est un code ? »
– « Je ne sais pas… Je peux m’arrêter ? Je vois bien que vous voulez me mettre en difficulté… Mon avocat peut prendre la main. »
– « Vous vous défendez très bien », lui rétorque alors le juge. « Voyons, un peu de courage… » Christine Boutin peine pourtant à convaincre.

– « Peu après la remise de la Palme d’Or à « La vie d’Adèle » vous avez là encore déclaré : « on ne peut plus voir un film à la TV sans voir un gay. Aujourd’hui la mode c’est les gays, on est envahi de gays ! » ».
– « Monsieur le président, vous donnez au mot un sens que je ne lui donne pas ! Pour moi, envahi, c’est être entouré de personnes. On peut être envahi par des amis, des immigrés… »
– « Madame Boutin, il semble qu’il y ait chez vous un léger problème de vocabulaire. Les mots se comprennent très aisément si on ne leur prête pas trop de subtilité. Chacun fait comme il peut/il veut ? On ne décide pas de son orientation sexuelle. »

« Pensez-vous que la politique doit s’intéresser à la sphère privée que représente la sexualité ? »

– « Non… »
– « Alors pourquoi parlez-vous fréquemment de la sexualité des gens ? »
– « Je ne passe pas mon temps à parler de sexualité… »
– « Vous parlez souvent d’homosexualité… notamment pendant les débats sur le mariage pour tous… Vous tweetez à tort et à travers… et ensuite vous en repartagez d’autres pour expliquer que ce n’était pas ce que vous vouliez dire…

En parlant de l’affaire Jean-Jacques Augier, vous avez écrit :

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« Tout s’explique ! le trésorier de François Hollande qui aurait des comptes aux îles Caïmans est aussi le directeur du magazine tu ! Quel rapport avec quelqu’un qui est accusé d’évasion fiscale ? »
– « Je ne répondrai pas à cette question. »
– « L’homosexualité relève d’un choix d’après vous ? »
– « Je pense, mais je ne sais pas, n’étant pas homosexuelle… »

Les avocats déroulent leurs plaidoiries

Pour Me Charles Bernier, qui représente l’association le Refuge, « il est important d’avoir rappelé que cette expression « l’homosexualité est une abomination », et dont le Tribunal s’est saisi, est une affirmation et pas du tout l’expression matérialisée d’une opinion. Elle a vocation, à travers la diffusion qui a été faite, à convaincre celles et ceux qui vont la lire, l’écouter… de cette certitude que l’homosexualité est une abomination. Chacun peut avoir ses convictions… Mais là, une femme publique a porté dans une diffusion de presse une affirmation, claire, précise… sans aucune ambiguïté. Elle semble vouloir construire un projet de société… qui est une exclusion d’une catégorie de personnes. A partir du moment où l’on clive, en faisant croire que parce que vous êtes catholique, vous ne pouvez pas être homosexuel. Ou que si l’on est homosexuel, on ne peut pas être musulman… vous mettez en recul certaines personnes qui vont se questionner et se convaincre que l’homosexualité est quelque chose de mal. C’est inadmissible. La République reconnait toutes les orientations sexuelles. »

Pour Me Etienne Deshoulières, « c’était un très beau débat judiciaire, mais je reste persuadé, de par mes convictions personnelles et condition de juriste, que lorsqu’on parle d’homosexualité on ne vise que les homosexuels, une identité. Et lorsqu’on dit que quelque chose est une abomination, il n’y a pas de termes plus clairs et plus forts pour condamner cette réalité. On est bien dans le cadre d’une incitation à la haine. Et, les premières victimes sont justement les homosexuels chrétiens et ces jeunes qui vivent dans des familles catholiques et qui n’ont pas encore pu faire par exemple leur coming out. Difficile de trouver quelqu’un pour en parler. »

Ce que confirme également Me Karine Geronimi, qui représentait l’Inter-LGBT  : « Les propos de Madame Boutin sont très clairement incitatifs à la haine. Et, ce que l’on souhaitait dénoncer aussi, c’était l’homophobie qui se cache derrière cela. Parce que même si le parquet n’a pas retenu la circonstance aggravante et si toutes les associations sont présentes aujourd’hui, c’est aussi pour rappeler à nos dirigeants et à la justice, qu’il faut arrêter de stigmatiser les homosexuels parce qu’ils ont une orientation sexuelle différente des « cathos hétéros bien pensants ». »
Pendant sa plaidoirie, Me Geronimi a mis l’accent sur un courrier produit au dossier par une personne qui soutenait que l’homosexualité était une abomination et parlait de chambres à gaz pour les gays, avec croix gammée etc. « C’est assez significatif ! »

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Christine Boutin regarde la salle : Aucun signe distinctif ! « Il n’y a qu’une famille humaine. » Elle vient sans doute à ce moment d’en prendre conscience.

« Je suis croyant moi aussi », confie Alexandre Marcel, du Comité IDAHO France, dubitatif à la sortie de l’audience. « Le véritable amour n’est-il pas de respecter des autres ? La pire des abominations, n’est-ce pas pour un chrétien de juger ? Je l’avais déjà interpelée en essayant de lui faire prendre conscience du mal que ce genre de propos pouvaient faire. Et j’espère pouvoir de nouveau l’interroger. Parce que si il y a autant de suicides chez les homosexuels, c’est à cause de l’homophobie. Ce n’est donc pas une question de « pardon ». Être « homosexuels », entre adultes consentants notamment, ne cause de tord à personne. Mais, s’introduire dans la vie privée des autres, c’est interdit par la loi. Et ce sont ces gens de la manif pour tous qui devraient-être poursuivie pour apologie à la haine envers les homosexuels. »

« La loi qui condamne l’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle ne date que de 2004, il n’y a donc pratiquement pas de jurisprudence », a rappelé le Procureur, avant d’évoquer les centaines de plaintes que son bureau avait traité. Il a requis la condamnation sans hésiter, avec une peine de 3 000 euros d’amende.

L’avocat de Christine Boutin a plaidé la relaxe, estimant que sa cliente était jugée pour « une opinion ». « Si vous suivez les réquisitions du procureur, il y aura des conséquences sur la liberté d’expression. Ensuite ce sera la Bible ? ».

L’affaire a été mise en délibéré au 18 décembre prochain.

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