« Si une personne est homosexuelle et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour juger ? » Si les mots du pape François, prononcés en juillet 2013 dans l’avion du retour des Journées mondiales de la jeunesse de Rio de Janeiro, avaient été accueillis comme une invitation à l’ouverture et à la tolérance de l’Eglise catholique, pour la communauté gay au Kenya et en Afrique de l’Est, ils avaient tout d’une révolution.
« Après cette phrase, beaucoup de gens ont été surpris et très heureux ici, insiste David Kuria, militant kényan pour le droit des homosexuels. Vous savez, en Europe ou aux Etats-Unis, “qui suis-je pour juger” peut paraître très politiquement correct. Mais ici, en Afrique, cela a été vu comme très remarquable. » Surprenant paradoxe : le pape François, représentant du dogme catholique, est donc aujourd’hui attendu avec impatience par une partie de la communauté LGBT pour sa première tournée africaine, débutée mercredi 25 novembre, à Nairobi. Une visite de six jours qui doit le mener également en Ouganda et en Centrafrique.
Au Kenya, l’homosexualité est punie de quatorze ans de prison, même si la loi est rarement appliquée. Les dirigeants politiques sont coutumiers de propos homophobes.
« Nous ne tolérerons pas l’homosexualité dans notre société, car cela viole nos croyances religieuses et culturelles », avait ainsi déclaré, en mai, le vice-président William Ruto, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité lors des violences post-électorales de 2007, selon des propos rapportés par la presse kényane.
Barack Obama avait soulevé le problème du droit des homosexuels lors de sa visite à Nairobi en juillet. Le président kényan Uhuru Kenyatta lui avait rétorqué que la question était un « non-sujet ». Parlera ou parlera pas ? David Kuria aimerait entendre des mots d’apaisement du pape, sans pour autant l’espérer : « Je ne pense pas qu’il dira quoi que ce soit. Ce serait vraiment une grosse surprise. Mais il pourrait soulever le problème plus général de l’égalité et des discriminations contre les minorités au Kenya. »
François aura face à lui des dirigeants religieux très conservateurs et une communauté chrétienne encore très rétive à l’ouverture de droits pour les homosexuels. L’ONG Human Rights Watch a rendu public, au mois de septembre, un rapport sur les violences faites aux homosexuels sur la côte kényane, autour de la grande ville de Mombasa. L’organisation y fait état d’attaques de bandes armées contre les homosexuels, des peurs et des angoisses quotidiennes de la communauté gay et, face à cela, du désintérêt de la police et des officiels.
Dans une lettre au pape, datée du 16 novembre, l’organisation non gouvernementale demande à François de « condamner publiquement » ces violences de « réitérer un message de tolérance », d’aider à « modérer le discours public des dirigeants locaux de l’Eglise sur la sexualité » et même de rencontrer des représentants de la communauté LGBT et homosexuels victimes de violences et de discriminations.
Les mots peuvent avoir une influence. « On a observé un changement d’attitude des politiques après la venue d’Obama, explique ainsi David Kuria. Les officiels du gouvernement sont moins catégoriques et moins violents dans leurs déclarations sur l’homosexualité. »
Après le Kenya, le pape se rendra en Ouganda, où les homosexuels subissent des persécutions plus sévères. Frank Mugisha, de l’association Sexual Minorities Uganda (SMUG), a expliqué qu’un groupe de catholiques homosexuels avait écrit au Vatican pour solliciter une rencontre en privé avec le pape. Demande pour l’instant restée sans réponse. M. Mugisha, lui-même catholique, a également indiqué que la communauté LGBT allait être tenue à l’écart du parcours du pontife.
Quelque 500 Ougandais ont fui au Kenya pour échapper aux violences qu’ils subissent à cause de leur orientation sexuelle. Les agressions homophobes et les dénonciations sont extrêmement fréquentes en Ouganda. L’homosexualité peut y être punie de la prison à vie et le mariage gay est banni par la Constitution.
Le 24 février 2014, le président ougandais Yoweri Museveni promulguait une loi durcissant encore la répression de l’homosexualité et rendant obligatoire la dénonciation des homosexuels. Le texte, qui avait déclenché un tollé international et des sanctions américaines, a finalement été annulé par la Cour constitutionnelle ougandaise au mois d’août 2014. Mais plusieurs personnalités politiques cherchent le moyen de faire passer en force une loi similaire. Un « qui suis-je pour juger ? » prononcé à Kampala serait ainsi encore bien plus surprenant.
Bruno Meyerfeld
(correspondant LeMonde à Nairobi, au Kenya)