Dans un entretien au magazine Charles paru en avril 2014 sous le titre « Je suis une pécheresse », Christine Boutin affirmait : « L’homosexualité est une abomination, mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ».
Des déclarations qui nous avaient toutes et tous incités à porter plainte dans un mouvement citoyen. Et le 18 décembre 2015, l’ex-présidente du Parti chrétien démocrate et ex-ministre du logement de Nicolas Sarkozy était condamnée en première instance à 5 000 euros d’amende pour « provocation publique à la haine ou à la violence » envers les homosexuels.
Le tribunal correctionnel aura donc été au-delà des réquisitions du procureur, qui avait réclamé une amende de 3 000 euros à son encontre. Madame Boutin a également été condamnée à verser 2 000 euros de dommages et intérêts aux associations Mousse et Le Refuge, qui s’étaient constituées parties civiles.
Tout en assurant qu’elle regrettait ses propos, son avocat a plaidé la relaxe, estimant que sa cliente était jugée pour « une opinion ». Et sur Twitter, Christine Boutin a annoncé après l’audience qu’elle faisait appel. Le tribunal a fixé la date de l’audience au 7 septembre.
Nous avons rencontré à cette occasion Me Deshoulières, avocat au barreau de Paris avec qui nous collaborons et qui va plaider pour l’association Mousse devant la Cour d’appel.
Stop homophobie : Bonjour Maître. L’ancienne ministre est aujourd’hui poursuivie pour incitation à la haine à raison de l’orientation sexuelle. Quels sont ses arguments pour sa défense ?
Etienne Deshoulières : La loi condamne les appels à la haine commis contre des personnes à raison de leur orientation sexuelle. Christine Boutin donc se défend en s’efforçant de faire croire que ses propos contre l’homosexualité ne visaient pas les personnes homosexuelles elles-mêmes, mais uniquement leurs comportements. Elle prétend que les comportements peuvent être librement critiqués, sans que les personnes elles-mêmes ne soient concernées.
Stop homophobie : Mais d’où provient cette condamnation morale de l’homosexualité par Christine Boutin ?
Etienne Deshoulières : Les propos de Christine Boutin s’inspirent de deux passages du Lévitique selon lesquels : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » ; « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux. »
Stop homophobie : Il y a donc une condamnation des personnes par le Lévitique.
Etienne Deshoulières : Oui ! C’est vrai. Le Lévitique ne distingue pas entre personne homosexuelle et homosexualité. Il est bien question dans le Lévitique d’une condamnation (à mort) des personnes elles-mêmes, et non pas simplement d’une critique de leur comportement. D’ailleurs, dans une interview donnée à RMC suite à l’attribution de la palme d’or à Cannes à La vie d’Adèle, Christine Boutin avait déclaré « On est envahi de gays ». Ces propos visent bien les personnes homosexuelles elles-mêmes et non pas simplement leur comportement.
Stop homophobie : Quel est l’enjeu de ce procès ?
Etienne Deshoulières : Ce serait vider de toute portée les dispositions de la loi française incriminant l’appel à la haine contre les homosexuels que de décider que les comportements homosexuels peuvent faire l’objet d’un appel à la haine, sans que les homosexuels eux-mêmes ne soient visés par les propos litigieux.
Lorsque le droit pénal des pays du Commonwealth condamnait l’homosexualité par l’intermédiaire du concept de « grossière indécence », il était bien question de condamner les personnes à raison de leur comportement sexuel, car il s’agit du seul élément matériel pouvant donner prise au droit pénal. Il en va de même pour une critique sur le plan moral. La seule manière de critiquer des personnes à raison de leur orientation sexuelle, c’est de critiquer leur homosexualité entendue comme un comportement sexuel objectif. Il n’y a de critiquable chez les homosexuels que leur homosexualité. Leur comportement sexuel est la seule chose qui les distingue des autres groupes de personnes et qui les expose, ce faisant, à une condamnation pénale ou morale.
Désormais, les législations des pays du Commonwealth ont été déclarées inconstitutionnelles ou inconventionnelles en Europe et aux Etats-Unis. La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Dudgeon (1981) a en effet considéré que « la législation de l’Irlande représente une ingérence permanente dans l’exercice du droit du requérant au respect de sa vie privée, laquelle comprend sa vie sexuelle ». La Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire Lawrence (2003) a quant à elle considéré que « l’Etat ne peut pas dénigrer l’existence des homosexuels ni contrôler leur sort en incriminant leur comportement sexuel. Leur droit à la liberté reconnu par la Due Process Clause leur confère pleinement le droit de se livrer à leur conduite sans intervention du gouvernement ».
Affirmer que « l’homosexualité est une abomination, c’est condamner cette liberté fondamentale dont jouissent les homosexuels de vivre librement leur orientation sexuelle dans les Etats démocratiques. »
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Rappelons que Me Etienne Deshoulières est également enseignant pour l’Université Panthéon-Assas. Il a été formé dans les universités APU (Cambridge), Humboldt (Berlin), Panthéon-Assas (Paris 2), UQAM (Montréal) et Paul-Valéry (Montpellier 3). Il est coauteur du livre « Féminismes et luttes contre l’homophobie : de l’apprentissage à la subversion des codes ».