J’ai réalisé « Ce n’est pas un film de cow-boys »: il dérange la Manif pour tous. Tant mieux!

En réalisant « Ce n’est pas un film de cow-boys », Benjamin Parent ne s’imaginait déclencher les foudres de la Manif pour tous. Son film devait être projeté auprès de collégiens et lycéens nantais, mais la démarche n’est pas au goût du collectif qui a tenu à lui faire part de sa désapprobation. Des attaques sans fondement pour le réalisateur.

« Ce n’est pas un film de cow-boys » de Benjamin Parent fait l’objet de virulentes attaques de la part de la Manif pour tous.

« Ce n’est pas un film de cow-boys » devait être projeté à Nantes fin novembre, lors d’une séance publique et d’une autre pour des lycéens et collégiens. Il y a quelques jours, l’une des organisatrices a reçu un courrier de la Manif pour tous. Dedans, ils mentionnaient mon film par ces mots :

« Nous vous informons que le Comité du Festival du Film de l’Éducation de Pays de la Loire a retenu dernièrement le film : « Ce n’est pas un film de cow-boys », catégorie : ‘homosexualité-genre’, primé au festival du film gay et lesbien de Saint-Etienne. Ce film sera proposé parmi d’autres à nos enfants, lycéens… en novembre 2014.

Ce film ne traite pas d’égalité garçon-fille… nous pensons qu’il n’a rien à faire dans un parcours pédagogique. »

La Manif pour tous n’a pas vu mon film

J’ai été immédiatement prévenu par mon producteur. Ma première réaction a été de me dire que les auteurs de cette lettre n’avaient certainement pas vu mon film. Ce n’était pas possible autrement.

Je pense que la Manif pour tous s’est contentée de lire le titre de mon court-métrage, de survoler le pitch et de constater que j’avais bien eu un prix dans un festival de films LGBT.

Ils ont tout faux : mon film n’est ni choquant, ni militant. Je trouve ça hallucinant d’émettre des critiques sur quelque chose qu’on n’a pas vu. De quel droit peuvent-ils juger ?

C’est un film sur l’identité

Mon film, comme la plupart de mes autres réalisations, parle d’un thème qui m’est cher : l’identité.

C’est l’histoire de quatre adolescents qui ont vu, un soir, le film « Brokeback Mountain » à la télévision. L’un est un dur à cuire qui a été troublé par ce qu’il a visionné et qui en parle à un ami, une autre discute avec une copine de son père homosexuel.

J’ai réalisé « Ce n’est pas un film de cow-boys » il y a près de trois ans. Depuis, j’ai reçu de nombreux prix. Contrairement aux suppositions de la Manif pour tous, 90% d’entre eux ne viennent pas de festivals LGBT. J’en ai reçu notamment de jury composé exclusivement d’adolescents qui n’ont jamais été choqués par le film. Mon film a même terminé sa carrière avec une nomination aux César. Le limiter à son parcours en festival LGBT est réducteur et grotesque.

Des critiques non constructives

Depuis quelque temps déjà, je montre mon film à des professeurs, à des collégiens et des lycéens. Je n’ai jamais eu la moindre remarque négative.

Avec les professeurs, nous discutons beaucoup des outils pédagogiques. Ils n’ont aucun problème à diffuser mon film dans leurs classes car il n’y a ni violence, ni sexe dans mon court-métrage.

On pourrait me reprocher l’utilisation d’un langage très cru, très jeune, mais il est fidèle à ce qui se dit dans une cour de récré. Pour vous donner un exemple, les premières répliques du film à propos de « Brokeback Montain » sont les suivantes :

« – C’est pas un western.
– Y a des cow-boys et tout. C’est un truc nouveau.
– C’est quoi ? C’est genre… un western pédé. »

Mais la Manif pour tous n’a pas émis la moindre critique à ce sujet, elle n’a pas été capable de pointer du doigt ce qui l’avait choquée. J’aurais aimé que quelqu’un vienne me voir pour me dire qu’il n’a pas apprécié tel ou tel passage, et j’en aurai débattu avec plaisir, mais personne n’est venu pour ouvrir le débat. C’est la preuve qu’ils n’ont pas vu le film.

Les lycéens trouvent mon court-métrage touchant

Quand je vais dans les établissements scolaires pour montrer mon film, les élèves ne se disent pas choqués. Je n’ai eu qu’une seule classe hermétique au débat, les autres trouvent mon court-métrage touchant, concernant et réaliste.

L’adolescence c’est un moment difficile pour beaucoup, où l’on se cherche. On vous dit qu’un « garçon doit être comme ça, une fille comme ça ». C’est ce dont parle le film, de la difficulté d’être fidèle à soi-même tout en restant dans une norme sécurisante.

Pas facile de parler d’homosexualité dans un tel contexte, et pourtant, j’ai le sentiment que les mentalités ont considérablement évolué. Les jeunes de 14 ans sont beaucoup plus tolérants aujourd’hui, qu’ils ne l’étaient il y a quelques années.

La réception du film dépend systématiquement de l’ado qu’on a en face. Selon son milieu social et culturel, il se sentira concerner ou non. Je ne force personne à adhérer à ma vision des choses, je cherche simplement à interpeller ceux qui pourraient s’y retrouver.

Je suis fier que mon film les dérange

La Manif pour tous souhaite infantiliser nos adolescents, mais il faut qu’ils comprennent qu’on ne les protège pas ainsi. Ne rien vouloir voir ou entendre, ce n’est absolument pas les aider, surtout quand on sait qu’un jeune de 12 ans aurait déjà été au moins une fois exposé à un film pornographique. La sexualité, ils savent ce que c’est.

Peut-être que la Manif pour tous se sent intimidée, qu’elle s’ennuie. En tous cas, il est clair qu’elle ne sait pas comment réagir face à une société qui évolue et des mentalités qui acceptent de plus en plus la différence.

Ces attaques me font doucement sourire. Je crois qu’il y a une part de moi qui suis finalement assez fier d’être devenu la tête de Turc idéale, même si je ne me vois pas comme un militant de la cause LGBT.

La Manif pour tous est un excellent attaché de presse

Mon film était en fin de carrière et se transformait en outil pédagogique. Mais aujourd’hui, la Manif pour tous a relancé la machine en devenant le meilleur attaché de presse du cinéma. Je les en remercie pour ça.

Depuis le 4 novembre, nous avons décidé de diffuser gratuitement mon film sur Viméo pour couper court à tous les fantasmes. La vidéo a déjà récolté 29.000 lectures en quatre jours. C’est inespéré.

Je reçois des dizaines de messages de soutien, de personnes qui saluent mon « courage », mais aucun détracteur, même si je suis ouvert à la critique. Je me réjouis simplement que d’autres personnes aient l’occasion de se retrouver dans mon film.

Propos recueillis par Louise Auvitu
Par Benjamin Parent
Réalisateur

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