Pour mobiliser les entreprises dans sa lutte contre les discriminations au travail, l’État a largement renforcé son arsenal répressif. L’une de ses dernières cartes, la class action -action de groupe en français- a été introduite par la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, de novembre 2016. Depuis la promulgation de ce texte, les associations, œuvrant depuis cinq ans contre les discriminations, et les syndicats peuvent « agir devant une juridiction civile afin d’établir que plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou plusieurs salariés font l’objet d’une formation directe ou indirecte ».
Une procédure précise a été établie. Dans un premier temps, l’association ou le syndicat saisit l’employeur pour lui demander de « faire cesser la situation de discrimination collective alléguée ». Six mois plus tard, délai fixé par la loi pour donner à l’employeur le temps de modifier ses pratiques, l’action de groupe peut être introduite. Dans le secteur privé, le TGI est saisi. Seuls les préjudices intervenus après la saisine préalable de l’employeur seront indemnisables. Pour Déborah David, avocate associée au cabinet Jeantet, « l’objet n’est alors pas tant de réparer les fautes du passé que de pointer du doigt les entreprises qui se comportent mal ».
La loi datant de novembre, aucun cas n’est encore remonté jusqu’au TGI. Pour l’avocate, une seule certitude, « ces procédures s’annoncent extrêmement lourdes ». Il faudra en effet établir pour chaque personne concernée le préjudice correspondant. La longueur des procédures et la publicité qui leur sera faite risqueront de ternir durablement la réputation des entreprises.
Pour éviter ces situations catastrophiques, les employeurs vont devoir accélérer la sensibilisation et la formation leur encadrement et en particulier des personnes chargées des recrutements. En effet, depuis janvier et la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, la pratique du testing -des essais répétés qui doivent prouver de manière statistique la réalité d’une discrimination- est admise comme une preuve légale de discrimination. Les syndicats et associations pourront donc s’appuyer sur des testings pour justifier leurs actions de groupe.
La loi française recense 23 critères de discriminations prohibées : l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.
En 2016, le législateur a encore ajouté deux critères à cette liste : la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique de l’intéressé apparente ou connue de l’auteur de la décision et la capacité de s’exprimer dans une autre langue que le français, qui vise notamment à éviter que des personnes parlant des dialectes régionaux soient discriminées en raison des préjugés liés à telle ou telle région.
« Les discriminations touchent à des libertés fondamentales et à l’ordre public. Dès lors un accord collectif ou une charte ne suffiront pas à exonérer un employeur de sa responsabilité », a rappelé Patrick Thiébart, également associé au cabinet Jeantet. Et de citer le cas de BNP Paribas, condamné, malgré toutes ses chartes et déclarations de principes, en septembre dernier par la cour d’appel de Paris pour discrimination envers un salarié homosexuel.
Par Anne de Guigné