Invités sous prétexte d’un entretien exclusif avec le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, dont les forces de sécurité sont accusées d’exactions, une dizaine de journalistes étrangers, dont l’AFP, ont été embarqués dans un voyage de presse consacré aux « atouts touristiques » de cette petite république homophobe du Caucase russe, par ailleurs dévastée par deux guerres contre le gouvernement central de Moscou et minée jusqu’à récemment par une intense guérilla contre le mouvement de rébellion islamiste.
L’entretien, lui, n’a pas eu lieu. « Ces derniers temps, des personnes ont fait courir des mensonges sur notre république, assurant qu’on torture les gays, qu’on viole les droits de l’Homme ou qu’il est dangereux de venir ici. C’est absolument faux, et nous allons vous montrer que les touristes sont les bienvenus », assure le ministre tchétchène de l’Information, Djamboulat Oumarov.
Kadirov l’a portant réaffirmé sur la chaîne HBO : « Il faut se débarrasser des homosexuels pour purifier le sang tchétchène ».
Mais il s’agit désormais de faire table rase du passé et de toute mauvaise réputation pour attirer les touristes.
Plus de 100.000 personnes auraient ainsi visité la région en 2016, selon le comité local pour le Tourisme. Des chiffres invérifiables, mais qui donnent la mesure de l’ambition des autorités tchétchènes, qui bénéficient d’un large soutien financier du Kremlin.
« Nous construisons de nombreux hôtels et zones de loisirs, nous développons le tourisme à grande échelle », affirme à l’AFP Dagmara Issakova, représentante du comité tchétchène pour le Tourisme. « Nous nous préparons à satisfaire tous les ‘caprices’ ».
Pour Mouslim Khoutchiïev, le maire de Grozny, qu’importe les policiers et militaires déployés pour assurer sa protection, la Tchétchénie est maintenant « une région sûre, où les touristes du monde entier peuvent venir se reposer ».
Très présentes et lourdement armées, les forces de sécurité semblent toujours aux aguets. En décembre 2014, des combats entre rebelles et forces de l’ordre dans le centre de Grozny avaient fait une vingtaine de morts, dont dix rebelles.
« Il y a beaucoup de police dans les rues, rien ne peut nous arriver », assure à l’AFP Tatiana Teplova. Venue de Moscou avec sa famille pour visiter la capitale tchétchène, l’institutrice de 49 ans a cependant décidé de « ne pas aller dans les montagnes pour ne pas prendre de risques ». Des groupes de rebelles islamistes y sont toujours actifs. La semaine dernière, le ministère tchétchène de l’Intérieur a annoncé avoir tué seize islamistes au cours des six derniers mois.
Nadia Alionova, 53 ans, également venue de Moscou, s’est pour sa part dite « agréablement surprise » par la ville. « Mon frère a été militaire en Tchétchénie pendant la deuxième guerre et quand il a su que je venais y passer trois jours, il m’a dit : ‘tu es folle, tu vas te faire tuer’ », confie-t-elle.
A l’ombre d’un parasol, Koka, septuagénaire au visage avenant, a installé un étal avec des souvenirs de Grozny. « Il n’y a personne, je ne vends presque rien. A quoi ils servent, leurs hôtels vides ? Pourquoi les autorités ne construisent-elles pas plutôt des usines pour que mes fils y travaillent ? », tempête-t-elle. « Tout cela n’est qu’une façade, les touristes ne voient pas la réalité, ils ne voient pas ce que nous vivons. »
Aux yeux d’Ibraguim, étudiant en sciences politiques réfugié à Berlin depuis le début de la deuxième guerre et revenu à Grozny pour les vacances, « cette histoire de développement du tourisme, c’est pour faire plaisir aux Russes ».
Les autorités tchétchènes « veulent montrer que tout va bien ici et que tout est sous contrôle. Et c’est encore plus important depuis le scandale sur la persécution des homosexuels », ajoute-t-il.