Arrêté le 6 septembre puis condamné à un an d’emprisonnement par un tribunal de Sousse, l’étudiant de 22 ans accusé d’homosexualité a été remis jeudi en liberté conditionnelle. « Voilà une juste chose de faite », écrit Farhat Othman, juriste, politiste, chercheur en sociologie dans une tribune sur le HuffPost : « Le jeune homosensuel est une victime innocente d’un test honteux dont l’abomination hantera longtemps la conscience de ceux qui en ont été responsables ».
Soulignant l’importance de saluer « celles et ceux qui ont agi pour aboutir à cette heureuse issue, même si elle n’est qu’un répit en attendant que l’affaire soit jugée début décembre », cet ancien diplomate, militant humaniste et cyberactiviste, appelle la société civile tunisienne à se mobiliser, rappelant que les lois homophobes ont été introduites dans l’ordre juridique tunisien par la morale du protectorat, venant heurter de plein fouet des mœurs populaires.
L’heure de vérité pour la société civile tunisienne :
Hommage aux justes de Sousse
Il y a d’abord les vaillantes avocates qui n’ont pas eu la tâche facile, agissant en quelque sorte en franc-tireuses dans une profession encore dominée par des esprits pudibonds sinon homophobes. Ce qui jure avec leur devoir de protection des innocents et explique aussi le silence à ce jour de l’ordre des avocats sur le test anal.
Il y a aussi et surtout le courageux juge auquel il nous faut adresser un vibrant hommage pour des qualités humaines lui ayant permis de saisir l’immensité de l’injustice faite à un jeune homme dont le seul crime a été de naître homosensuel. Grâce à ce juste, le jeune homme a pu être rendu à ses cours et à ses examens en attendant, on l’espère, sa totale réhabilitation le 10 décembre.
Le jugement de la Cour d’appel de Sousse est à ce titre important que, tout comme le barreau, la magistrature ne s’est pas prononcée encore sur le test anal et la nécessité d’abolir l’homophobie malgré les appels répétés à leur association et leur syndicat.
Ce qui est encore plus honteux, c’est qu’on entend souvent ces deux organismes élever de la voix quand il s’agit de la moindre atteinte aux droits de présumés terroristes. Est-ce qu’un Tunisien violent physiquement et verbalement, cultivant en plus des idées de haine et de mort est plus important à défendre pour nos avocats et nos juges qu’un Tunisien paisible qui n’a rien à se reprocher, se distinguant juste par une nature placée en lui par Dieu? Or, différente de celle de la majorité de ses concitoyens, elle n’est nullement antinomique avec des qualités de moralité irréprochables; c’est bien le cas du jeune Marwane.
Nécessaire remobilisation de la société civile
Il ne nous faut pas l’oublier, le jugement de Sousse est aussi la conséquence de la mobilisation de la société civile. Les justes de voix et de voie de la Tunisie se sont levés et manifestés vigoureusement.
Cela a été d’autant bien remarquable au vu de la démission coupable des personnalités en vue de la scène politique et du crime contre l’esprit humanitaire perpétré par les responsables qui, quitte à se déjuger (comme le leader islamiste), se sont empressés de défendre l’homophobie.
Or, ils le savent, les plus convaincantes études l’ayant démontré, cette dernière est non seulement illégitime, mais illégale et immorale, violant tout autant la Constitution, le droit international humanitaire que l’islam nullement homophobe.
Malgré cela, il faut nous le dire pour le regretter: l’action de la société civile est demeurée limitée à l’essentiel quand elle aurait pu se faire tous azimuts pour être plus efficace et arriver à faire parler tout le monde, tous ces honteux qui se réfugient dans le silence, n’ayant pas été assez bousculés afin de se sentir obligés de prendre position sur une aussi importante question de moralité que sont le test anal et l’homophobie.
En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune association n’a encore à ce jour pris l’initiative de proposer un projet de loi abolissant l’article 230, la cause principale des malheurs de nombre d’innocents. La moins mauvaise excuse avancée, notamment par les féministes, est que cette cause doit être défendue dans le cadre d’une réforme globale de tout le Code pénal, débordant donc la simple question de la lutte contre l’homophobie.
C’est un argument sérieux, mais à double tranchant, car il ne fait qu’encourager à l’inertie actuelle, les responsables du pays n’ayant aucune envie de réformer quoi que ce soit, se coulant confortablement dans les lois scélérates de la dictature. Et même s’ils se sentent tenus d’honorer une promesse les engageant, ils se limitent à une fausse réforme et traînent en longueur pour l’amener à discussion et vote.
Or, l’abolition de l’article 230, qui criminalise l’homosexualité, emporte une forte charge symbolique, s’attaquant à un faux dogme religieux. Si l’homophobie tombe, ce sont tous les obstacles fondés sur la religion, comme l’inégalité successorale ou l’atteinte aux bonnes mœurs, qu’il sera plus facile de faire tomber par la suite dans le cadre de la réforme d’ensemble de la législation héritée de la dictature et du protectorat qui viendra alors bien plus rapidement et dans de meilleures conditions.
L’arme fatale contre l’homophobie
Il y a aussi deux autres faux arguments à la relative inertie des associations LGBTQI. D’abord la réticence parmi elles des militants laïques qui assimilent homophobie et islam; ce qui fait d’eux une arme aux mains des intégristes homophobes criant plus facilement à une islamophobie primaire, arrivant ainsi à tromper le commun des mortels.
Ensuite, il y a cette évidente réticence des alliés et appuis occidentaux de nos militants, gênés que l’on use de cette seule arme utile dans le combat contre l’homophobie en terre d’islam qu’est l’argumentation que cette religion, contrairement à la tradition judéo-chrétienne.
Pourtant, c’est un tel argument qui est le plus – et même le seul – opérationnel en la matière en Tunisie, bien plus que l’accent mis sur les aspects de légalité et d’humanisme. Il y a plus de chance, en effet, d’obtenir l’abolition de l’article 230 en insistant sur le fait qu’il a été introduit dans l’ordre juridique tunisien par la morale du protectorat, venant heurter de plein fouet des mœurs populaires. Car celles-ci n’ont jamais été homophobes et ne le sont pas encore, quoique se vivant en catimini, de peur de l’environnement légal répressif et des groupes intégristes, minoritaires, mais violents.
Or, le découragement évoqué ci-dessus fait que les associations n’usent pas d’un tel argument de nature à leur assurer une plus grande audience auprès de la majorité des Tunisiens qui demeurent sensuels et libertaires dans l’âme.
Une telle psychosociologue est évidente dans nos rues et villages, tout en demeurant peu visible pour qui ne fréquente pas le peuple, se vivant à bas bruit, dans la réserve et l’anonymat le plus généralement. La Tunisie n’est-elle pas le pays sans bruit dont parlent les sociologues avertis?
Malgré cela, sur internet, on voit de plus en plus de jeunes oser franchir les supposées lignes rouges qui n’existent que dans la tête de nos élites relevant encore d’un paradigme saturé, celui d’un monde fini. C’est ce qui les fige dans leur immobilisme devenu criminogène.
L’heure des réformes éthiques inéluctables
Aujourd’hui, la société civile se doit de saisir le moment propice de l’affaire du test anal pour lancer tous azimuts des initiatives qui, au pis, auront le mérite d’amener le débat, balisant le terrain aux inéluctables réformes juridiques à venir.
D’abord, et de toute urgence, en proposant un texte de loi abolissant l’article 230. Je rappelle encore une fois celui que j’avais proposé aux autorités concernées depuis longtemps. On peut s’en inspirer pour le moins, car il a des chances d’aboutir d’après mes propres investigations auprès des députés n’osant pas se prononcer en l’absence de texte officiel et de pression populaire.
La société civile ne doit surtout pas douter de l’impact de son action sur la rue et sur la volonté politique d’élites totalement délitées. Son influence reste immense et elle doit se le dire et y croire.
C’est justement sur le doute que tablent conservateurs et intégristes ligués contre le désir du peuple au meilleur; c’est lui qui, en véritable mite, mine de plus en plus certains militants humanistes sceptiques quant à leur pouvoir, n’ayant ainsi plus le même enthousiasme qu’avant; d’où une influence forcément moindre.
Car, en face, malgré les apparences, on est encore plus faible. Si les choses semblent être tout le contraire, donnant la fausse apparence d’une puissance du pouvoir institué et de la faiblesse de la société civile, cela ne vient que de l’inertie relative, cet activisme moins grand de la part de la société civile. Aussi faut-il se remobiliser et reprendre l’initiative; cela permettra de voir que le roi est parfaitement nu!
Les associations doivent dépasser leurs divisions et se concentrer rapidement sur une ligne d’action sur laquelle elles s’entendront dans le cadre d’une stratégie commune. C’est l’absence d’une telle stratégie qui plombe leurs efforts.
Il urge de commencer au plus vite, étant tous réunis, en s’accordant sur un projet de loi d’abolition de l’homophobie inspiré du texte proposé. Cela aura le mérite de faire entrer le débat officiellement à l’ARP et d’amener tout un chacun à assumer ses responsabilités.
C’est ainsi et ainsi seulement qu’on servira cette cause et qu’on aidera à réhabiliter le jeune innocent aujourd’hui en libération conditionnelle, ainsi que tous ceux et celles en prison, n’étant coupables que d’innocence.
Toute compétence, toute bonne volonté, tout citoyen patriote et humaniste doivent se sentir responsables et, ainsi qu’au lendemain de la révolution, oser croire que le changement est parfaitement possible en cette exception qu’est la Tunisie.
Cela ne dépend que de l’action de chacun qui commence par une pensée positive. Que tout un chacun en Tunisie soit donc le juste de voix et de voie nécessaire pour la faire sortir de cette démocratie des démons de la politique qu’on veut lui imposer, cette daimoncratie périmée, le régime futur en notre pays qui innove en tout ne pouvant être que celui de la puissance sociétale, une démoarchie!