De ce 18 janvier au 7 juillet prochain, diverses questions de société vont être abordées dans le cadre des États généraux de la bioéthique, parmi lesquels l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, en prévision de la révision de la loi par le Parlement à l’automne.
Le débat sur la PMA représente-t-il un risque d’opinion pour le gouvernement ?
Contrairement à son prédécesseur qui avait suspendu toute avancée sur la PMA à l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Emmanuel Macron n’a en effet pas pu s’abriter longtemps derrière la décision de cet organe consultatif pour repousser à plus tard l’adoption d’une loi sur la PMA. Dès le lendemain des élections législatives (27 juin 2017), le CCNE a en effet donné son feu vert à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, renvoyant ainsi après plus de quatre ans de silence la balle dans les mains du gouvernement. Pour la première fois depuis des années, la position de cette « autorité morale » s’avérait donc en phase à la fois avec celle affichée par le président de la République durant sa campagne et celle exprimée par une large majorité de Français dans les enquêtes d’opinion[1]. Plus aucun blocage institutionnel n’empêchait alors de mettre fin à l’interdiction de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, interdiction qu’il qualifiait lui-même de « discrimination intolérable »[2] durant la campagne présidentielle.
Pourtant, malgré la convergence des positions des organismes consultatifs, de l’exécutif et de l’opinion publique, le président a préféré temporiser et, un mois plus tard, déclarait s’en remettre aux conclusions de la concertation sur la révision de la loi sur la bioéthique. Plusieurs raisons l’ont sans doute motivé à chercher à inscrire le débat dans le cadre d’une concertation plus large sur les questions de bioéthique. Parmi elles, il y a sans doute la crainte de dissensions au sein d’un gouvernement où diverses sensibilités coexistent sur le sujet. Mais la plus forte est sûrement la hantise de voir l’affirmation d’une opposition de la même ampleur que celle qui s’était exprimée contre le mariage pour tous entre novembre 2012 et mai 2013. Et dans un contexte dominé par la contestation de la réforme du code du travail, l’exécutif ne pouvait pas se permettre de voir s’ouvrir deux fronts à la fois : un front « social » qui l’opposerait à la gauche sur le droit du travail et un front « sociétal » qui l’opposerait à la droite sur les sujets liés à la parenté et à la bioéthique. Mais si le président est paraît-il « traumatisé »[3] par le débat sur la loi Taubira qui enflamma le début du précédent quinquennat, quelle va être pour lui l’ampleur du risque d’opinion à faire passer une loi sur la PMA ?
I – Un large soutien des Français à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes
Au regard des dernières enquêtes publiées sur le sujet, ce risque se doit d’être relativisé. Réalisée un mois avant le lancement officiel des États généraux de la bioéthique, la dernière étude de l’Ifop montre un large soutien au respect de cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron : environ six Français sur dix se disent aujourd’hui favorables à l’élargissement de la PMA et ceci que ce soit aux couples de lesbiennes (à 60 %) ou aux femmes célibataires (à 57 %)[4].
Au cours des dernières années, l’opinion publique s’est ainsi rapidement décrispée sur le sujet par rapport à ce que l’on pouvait observer durant ce moment d’intenses débats que fut l’année 2013. Tout comme pour le Pacs où, une fois la loi votée, l’adhésion des Français avait spectaculairement progressé[5], l’acceptation de l’homoparentalité féminine s’est en effet rapidement banalisée suite au vote de la Loi Taubira.
En à peine quatre ans, le niveau d’adhésion à l’ouverture de la procréation médicale assistée a ainsi bondi de 13 points pour les couples lesbiens (à 60 %) tout en restant stable pour les femmes célibataires (à 57 %). Le différentiel d’adhésion qui affectait les couples lesbiens il y a encore quatre ans (10 points d’écart en leur défaveur par rapport aux femmes seules en 2013) a donc totalement fondu. Et en prenant encore plus de recul, cette réduction de l’écart en fonction de l’orientation sexuelle apparaît encore plus spectaculaire si l’on se rappelle qu’il y a une trentaine d’années (1990), le taux d’adhésion à l’égard d’une PMA aux couples lesbiens était deux fois plus faible (24 %) que pour les célibataires (53 %).
Cette tendance se retrouve d’ailleurs dans tous les baromètres, quel que soit le mode d’administration ou la formulation de la question. Entre 2014 et 2016, le taux d’adhésion à l’élargissement de la PMA aux couples de lesbiennes a autant progressé dans le baromètre Ifop-ADFH mené par internet – en hausse de 6 points entre octobre 2014 (53 %) et septembre 2016 (59 %) – que dans le baromètre BVA-Drees réalisé en face à face entre octobre 2014 (54 %) et septembre 2016 (60 %)[6]. Cette évolution semble donc une tendance de fond, observable quel que soit le mode de recueil ou les conditions de l’enquête (par exemple la formulation des questions, le commanditaire…).
II – La GPA : une adhésion de principe mais encore des réticences à l’autoriser aux couples gays
Cette évolution des Français transparaît également dans leur positionnement sur la gestation pour autrui (GPA). Certes, la GPA ne devrait pas occuper la même place dans le débat qui s’annonce : le CCNE, le président et ses ministres ayant tous manifesté leur opposition à toute avancée sur le sujet. La dernière étude réalisée sur le sujet n’en montre pas moins que l’opinion est de plus en plus ouverte au principe de légalisation de la gestation pour autrui : à 64 % en décembre 2017, contre 51 % au moment du vote de la loi Taubira (mars 2013[7]). Toutefois, leur adhésion à la GPA est loin d’être inconditionnelle – seuls 18 % des Français veulent l’autoriser « dans tous les cas », contre 46 % « pour des raisons médicales seulement » – et elle varie beaucoup selon le statut marital et l’orientation sexuelle d’éventuels bénéficiaires. Ainsi, si une nette majorité de Français approuve son autorisation pour les couples d’hétérosexuels (61 %), ils ne sont qu’une minorité à l’accepter pour les couples gays (48 %)[8]. Ceci dit, le différentiel d’adhésion qui affecte les couples homosexuels semble aussi s’atténuer (13 points en septembre 2017, contre 19 points en octobre 2014), signe que l’homosexualité des potentiels bénéficiaires est moins un frein que dans le passé.
III – Quels sont les ressorts de la banalisation de l’idée de l’homoparentalité ?
Mais comment expliquer un tel changement des positions des Français sur ces sujets ? Pour le comprendre, plusieurs temporalités doivent être prises en compte.
Sur le long terme, elle tient tout d’abord à une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité inhérente aux sociétés industrielles avancées affectées par la progression des valeurs « post-matérialistes »[9] à la faveur du renouvellement générationnel, de l’amélioration du niveau de vie et de la hausse du degré d’instruction. Amorcée à partir des années 1970, cette profonde transformation des attitudes à l’égard des homosexuels s’illustre notamment à travers la proportion croissante de Français estimant que l’homosexualité est « une manière acceptable/comme une autre de vivre sa sexualité » : de 24 % en 1973, celle-ci est passée à 54 % en 1986 puis à 67 % en 1996 pour finir à 90 % en 2012[10]. Cette tendance n’a d’ailleurs rien de spécifique à l’Hexagone : on la retrouve dans toute l’Europe de l’Ouest au regard des résultats des différents vagues de l’Eurobaromètre[11] ou de l’European Values Survey.
Sur le moyen terme, les deux dernières décennies ont été aussi le théâtre d’une reconnaissance accrue des modèles parentaux sortant de la norme hétérosexuelle. En cela, l’officialisation des couples homosexuels par les lois de 1999 et de 2013 a fait évolué les représentations à l’égard d’homosexuels jusque-là souvent réduits à leur sexualité d’autant plus aisément que le climat d’opprobre entourant l’homosexualité les a longtemps incités à séparer strictement leur sexualité du reste de leur vie sociale. Or, la plus grande représentation des familles homoparentales dans les médias, notamment depuis le débat sur le « mariage pour tous », a sans doute contribué à « normaliser » l’image du couple homosexuel. Le graphique ci-dessous montre bien l’impact sur l’opinion publique des débats autour du Pacs à la fin des années 1990 (1999), du mariage gay au milieu des années 2000 (« mariage de Bègles ») puis de son adoption en 2012-2013. En contribuant à en faire un cadre plus légitime à l’établissement d’une famille[12], la reconnaissance juridique des droits des homosexuels s’est à chaque fois traduite ultérieurement par une plus grande adhésion de l’opinion à ces modèles conjugaux ou parentaux alternatifs.
L’évolution de l’adhésion des Français à l’égard du mariage et de l’adoption par des couples homosexuels (données Ifop)
Cet effet se retrouve d’ailleurs dans l’évolution de l’adhésion au droit à l’adoption qui atteint désormais un niveau record : 57 % en 2015[13], soit 8 points de plus qu’au plus fort du débat sur la loi Taubira (janvier 2013).
Enfin, à court terme, si l’opinion publique a eu tendance à se décrisper sur les sujets relatifs à l’homoparentalité depuis le vote de la loi Taubira, les changements observés dans le champ politique depuis la dernière séquence électorale ne favorisent pas la constitution d’une forte opposition à ces évolutions.
En effet, l’élection d’un candidat incarnant le projet d’une société d’ouverture et, plus largement, les valeurs de libéralisme sur le plan culturel a non seulement dû doucher les espoirs des opposants à toutes avancées des droits LGBT mais s’est aussi traduite par l’éviction de la plupart des personnalités qui, avec plus ou moins d’intensité ou de régularité, avaient pu se faire les porte-drapeaux des associations opposées à la loi Taubira (par exemple Marion Maréchal-Le Pen, François Fillon, Hervé Mariton, Nicolas Sarkozy, Christine Boutin…). Certes, il reste dans chaque formation de droite des personnalités connues pour leur opposition à toute avancée en matière d’homoparentalité (ainsi Laurent Wauquiez chez Les Républicains, Jean-Christophe Poisson au Parti chrétien-démocrate, Nicolas Bay au Front national…) mais elles n’ont pas la même notoriété ou la même surface politique que leurs prédécesseurs.
La publication en juin de la décision du CCNE en faveur d’un élargissement de la PMA à toutes les femmes s’est ainsi effectuée dans un contexte plutôt défavorable aux associations comme La Manif pour lous : celles-ci ne disposant plus d’autant de relais dans les partis que dans le passé. C’est notamment le cas aux Républicains où la nouvelle direction semble avoir pris certaines distances avec Sens commun suite aux propos de son président sur une éventuelle « plateforme » commune avec Marion Maréchal-Le Pen.
IV – Une réduction des poches de résistance à l’homoparentalité
Si l’opinion française a évolué dans le sens d’une plus grande acceptation de l’homoparentalité (adoption homoparentale, PMA pour les couples lesbiens, GPA pour les couples gays), il subsiste toujours des poches de résistance dans les catégories de la population les plus âgées, les moins diplômées et les plus influencées par la religion. Ainsi, si l’idée d’un élargissement de la PMA aux couples lesbiens est majoritaire dans toutes les catégories de la population, elle reste minoritaire chez les seniors de 65 ans et plus (36 %) et les catholiques pratiquants (35 %). De même, les hommes apparaissent toujours moins ouverts aux questions d’homoparentalité, sans doute parce que les femmes étant « peut-être plus sensibles à ce que signifie le désir d’enfant, elles consentent à ce qu’il puisse être aussi satisfait dans les couples homosexuels »[14].
Le profil des Français « favorables » à l’élargissement de la PMA aux couples de femmes homosexuelles
Enfin, sur le plan politique, c’est dans les rangs des sympathisants des partis de la droite classique (Les Républicains, Debout la France) que l’on trouve toujours le plus d’opposants à cet élargissement de la PMA, alors que l’électorat lepéniste, beaucoup plus jeune et éloigné de la religion, se montre, lui, beaucoup plus partagé sur ces sujets. En effet, si l’idée d’un élargissement de la PMA est nettement minoritaire chez les sympathisants LR (39 % y sont favorables aux couples lesbiens, 37 % aux célibataires), les électeurs du FN s’avèrent plus partagés sur ce sujet (48 % y sont favorables pour les couples lesbiens, 43 % aux femmes seules). Alors que les signes d’ouverture envoyés par le Front national sur ces questions avaient participé à sa dédiabolisation, il n’est donc pas sûr que Marine Le Pen souhaite s’emparer personnellement du flambeau autrefois tenu par sa nièce, sachant que « la modernité » de son image peut constituer un enjeu[15] après le départ d’une partie de ceux qui, comme Florian Philippot, incarnaient cette dédiabolisation.
Pour la majorité présidentielle, le risque d’opinion sur ce sujet apparaît aussi limité au regard du fort niveau d’adhésion de ceux qui constituent le cœur des soutiens du gouvernement, à savoir les sympathisants actuels d’En Marche (67 %) et les anciens électeurs Macron à l’élection présidentielle : 73 % de ces électeurs au premier tour soutiennent l’élargissement de la PMA aux lesbiennes. De même, alors que la plupart des ministres du centre et du centre droit y étaient opposés avant d’entrer au gouvernement, ce projet est majoritairement soutenu par les sympathisants des autres forces politiques de la majorité gouvernementale, en premier lieu desquels les sympathisants du MoDem (à 68 % favorables à la PMA aux lesbiennes, à 58 % aux célibataires).
Les dernières données d’enquêtes d’opinion mettent donc en exergue un certain isolement des sympathisants Les Républicains sur la question de la PMA dans un contexte défavorable à la constitution d’un front commun, la droite apparaissant plus que jamais fragmentée après les récentes scissions ayant affecté l’UDI (avec notamment le départ des Valoisiens), Les Républicains (derrière le groupe des Constructifs) et le Front national (derrière Les Patriotes de Florian Philippot).
Au regard des dernières enquêtes réalisées avant le lancement des États généraux de la bioéthique, l’élargissement de la PMA à toutes les femmes ne constitue pas aujourd’hui un véritable risque d’opinion pour le gouvernement. Leur analyse montre non seulement un large soutien de l’opinion mais aussi une adhésion massive de la majorité des électeurs soutenant les différentes forces politiques de la majorité gouvernementale (LREM, MoDem,…). À l’inverse, les catholiques pratiquants et les partisans des Républicains apparaissent assez isolés sur le sujet.
Dans un contexte marqué notamment par l’éviction (ou l’affaiblissement) de la plupart des ténors politiques ayant conduit la lutte contre la loi Taubira, les associations en pointe dans la lutte contre ces avancées en matière d’homoparentalité risquent d’apparaître quelque peu esseulées lors de ces débats d’autant plus que le dossier de la PMA a été habilement disjoint de celui de la GPA. En effet, contrairement au débat autour de la loi Taubira qui avait été « plombé » par la question de l’adoption, l’élargissement de la PMA à toutes les femmes laisse moins le flanc à la critique. D’ailleurs, le fait que la plupart des opposants insistent sur le risque de légalisation de la GPA que ferait courir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes indique que les arguments visant seulement la PMA peinent à convaincre. Néanmoins, si l’adhésion est aujourd’hui très large sur le principe, des points d’accroche peuvent toujours émerger au fil du débat autour des conséquences de l’élargissement de la PMA comme, par exemple, sur le remboursement du traitement ou les conditions des dons de sperme (gratuité, anonymat…).
In fine, alors qu’il aurait pu faire passer une loi sur la PMA dès 2018, la décision du gouvernement d’enclencher un long et large débat sur ce sujet tient moins à l’ampleur des oppositions actuelles qu’à son inscription dans un séquençage précis du quinquennat Macron – le projet de loi devant être présenté au Parlement à l’automne, pour une adoption définitive début 2019. Après une première partie de mandat consacrée à des réformes économiques et sociales le faisant pencher à droite, le gouvernement trouvera sans doute dans cette réforme sociétale une bonne occasion de réaffirmer sa posture « de gauche » avant les élections européennes de mai 2019.
En attendant, s’ils ne sont pas les premiers du genre[16], ces États généraux de la bioéthique vont donc offrir l’occasion de se livrer à ces débats de société dont raffolent aussi bien les médias que les Français.
François Kraus (Directeur du Pôle Politique / Actualité – Ifop)
Fondation Jean Jaures
Pour en savoir plus sur le calendrier des événements : Bioéthique 2018