« Le mariage civil est désormais universel ! Ça y est. C’est fait » : Christiane Taubira

Je peux donc passer aux aveux. Et vous faire part des tourments qui m’ont habitée.
Jusqu’alors, les couples de même sexe pouvaient construire leur projet conjugal et leur projet parental soit par l’union libre, soit par le Pacte civil de solidarité. Le mariage, à la fois contrat et institution, leur demeurait zone interdite.

L’histoire du mariage civil, à travers son expression de liberté, par le consentement et par le divorce ; à travers la protection de la plus ou du plus vulnérable, assurée par l’entremise du juge ; à travers l’égalité conquise par les femmes et inscrite dans la loi ; à travers la sécurité apportée aux enfants par l’intervention du juge ; cette histoire résolument républicaine plaide pour que les couples de même sexe qui en étaient exclus, puissent y accéder.

Cette ouverture est bien fondée, j’en demeure persuadée. Et aucun des arguments, surtout pas celui qui promeut l’union ou l’alliance civile visant à créer une espèce de zone juridique spéciale, ne vient sérieusement démontrer le contraire. Bien au contraire.

Mais en être moi-même fermement convaincue, était-ce assez ? Cela ne me suffisait pas. Partager cette conviction avec une majorité de Français, tel que l’indiquaient les sondages, ne me contentait pas davantage.

J’ai donc écouté attentivement les arguments des opposants.

J’ai parié sur la bonne foi, dans un premier temps. Avec raison, d’ailleurs, car il convenait d’apporter des réponses aux interrogations et aux inquiétudes des Français.

Nous avons été nombreux à nous y employer. Les parlementaires, généreusement, l’ont fait dans leurs territoires. Et l’opinion progressa.

Puis la raison céda le pas. Le raisonnement dut faire place aux slogans. La raison s’inclina devant la passion.

Mais quelle passion ? Celle spécifiquement qui n’entend rien, ne veut rien entendre d’autre que son propre brouhaha.

J’ai dès lors perçu ma responsabilité comme relevant de ce que Vladimir Jankélévitch appelle le ‘Pluriel en première personne, ce principe de conciliarité, qui permet de retrouver la nature ‘chorale’ de l’existence’.

Car, quel reproche pouvait être fait à ce texte qui, tenant compte du pluralisme familial, apporte protection et sécurité à des milliers d’enfants ? Qu’enlève-t-il à d’autres ? En clair, qu’y a-t-il de plus précieux pour les couples hétérosexuels et les familles hétéro-parentales, et l’aurait-on altéré?

La filiation biologique ? C’est le titre VII du code civil. Personne n’a touché à une virgule de ses articles. Et les mots de père et mère y sont intégralement demeurés.

La présomption de paternité ? Elle demeure intacte dans le code civil.

L’exercice de l’autorité parentale ? Nous l’avons consolidé grâce à ce texte, et cela profitera à tous.

Le partage de l’autorité parentale ? Nous l’avons facilité grâce à ce texte, et cela profitera à tous.
Le maintien des liens avec les enfants en cas de séparation conflictuelle hors mariage ? Nous y pourvoyons par ce texte, et cela profitera à tous.

L’encadrement de la séparation et la préservation des droits ? Nous n’avons fait aucune soustraction ; ces droits sont étendus à d’autres, ils ne sont pas réduits pour ceux qui en jouissaient déjà.

Le nom de famille, en cas de désaccord ? Nous en simplifions l’attribution.
Le choix du lieu du mariage ? Nous en accroissons les possibilités, pour tous.

En ouvrant la maison commune du mariage civil aux personnes homosexuelles, nous mettons un terme à la contestation sournoise de leur citoyenneté. Nous réaffirmons fortement leurs droits. Et dans le climat actuel, il convient de rappeler que l’égalité se traduit par l’accès de tous aux dispositifs de droit commun et aux institutions. Par l’inclusion.

Et je veux dire en particulier aux adolescents, à celles et ceux qui, en plus d’être blessés, ont pu être désorientés par des mots, des gestes, des actes ; à celles et ceux que le désarroi a pu désemparer face à la sublimation des égoïsmes ; je veux leur dire que chaque personne est singulière ; que chaque personne a ses qualités, ses talents, ses fragilités et ses mystères ; c’est cela l’altérité, et c’est même la condition de la relation en société.

Je veux leur dire de rester parmi nous et de garder la tête droite.

La lutte contre les discriminations est une exigence du Pacte républicain. C’est la responsabilité de la puissance publique que d’y veiller.

Nous devons le dire, à haute et à claire voix, car ‘Les vérités tues, prévenait Nietzsche, deviennent vénéneuses’. Ainsi parla Zarathoustra.

Garde des Sceaux, ministre de la Justice