Dix ans : c’est le temps qu’il a fallu à Anna Ghione pour admettre l’homosexualité de son fils. Un cheminement qu’elle raconte dans un livre qui vient de paraître, » Moi, homophobe », ( Editions Michalon).
La vie d’Anna Ghione a basculé au cours d’un déjeuner. Un simple repas auquel son fils Alexandre, 17 ans à l’époque, avait convié un de ses amis. En les découvrant ensemble, cette mère de famille de province comprend. Le garçon n’est autre que le petit ami de son fils, qui est donc homosexuel. Une révélation qu’elle a reçue très violemment. « J’ai été saisie par la colère, la déception, confie-t-elle. Mon fils, dont j’étais si proche, ne pouvait pas me faire ça ! L’image que j’avais de lui, celle d’un garçon brillant, charmeur avec les filles, s’effondrait d’un seul coup ».
Elle qui se croyait tolérante se découvre incapable d’accepter l’homosexualité d’Alexandre, au point de le rejeter. Mère et fils coupent les ponts pendant un an. On est en 2002, le poids du qu’en-dira-t-on est lourd, surtout à la campagne. « J’avais peur d’être jugée, exclue, alors je n’en parlais à personne ». Malheureuse, Anna Ghione se résout à aller voir une psy, espérant qu’elle l’aide à « guérir » son fils, à lui faire retrouver le chemin de la « normalité ». « La thérapie m’a permis de comprendre que le problème, c’était moi. J’avais surinvesti ma relation avec Alexandre et je refusais de le voir tel qu’il était, d’accepter sa différence ».
Il lui faudra longtemps, presque dix ans, pour surmonter le déni et faire tomber les clichés. « En me rapprochant de mon fils, j’ai découvert que son monde ressemblait au mien. Rien de différent dans les rapports humains. L’homosexualité est une orientation sexuelle, pas une identité ». Ce long parcours lui a donné envie de s’investir au Mans, où elle vit. Au sein de l’association Homogène , elle a créé un groupe de parole pour les parents. « C’est un lieu d’écoute et d’échanges pour rompre avec la solitude et la honte. Tout ce qui m’a manqué il y a dix ans. J’accueille des parents souvent effondrés, abasourdis par la nouvelle de l’homosexualité de leur enfant. Je les aide à imaginer un avenir, pour lui et pour eux ». Elle mise aussi sur la jeune génération.
« Contrairement à moi, la sœur cadette d’Alexandre a été d’une tolérance exemplaire, elle n’a eu aucun problème à intégrer la différence de son frère ». Pour Hélène Lepoivre, présidente du réseau Contact France, qui fédère 22 associations oeuvrant pour le dialogue au sein des familles concernées par l’homosexualité, le cheminement d’Anna Ghione est emblématique. « Accepter l’homosexualité de son enfant, pouvoir en parler ouvertement, ce sont des étapes à franchir. Et ça prend du temps, tant la société impose encore sa norme ». Pour elle, si la loi sur le mariage pour tous est porteuse d’espoir en banalisant les unions de même sexe, les débats qui l’ont accompagnée ont malheureusement libéré la parole homophobe. « Les stéréotypes ont toujours la vie dure, et le rejet de la différence reste encore bien ancré. Le chemin reste long ». De son côté, Anna Ghione se dit apaisée, heureuse de la complicité retrouvée avec son fils et admirative de son courage. « En s’affirmant malgré mon rejet, en pardonnant mon attitude, il m’a donné une leçon d’humanité », conclut-elle.