Le 19 juillet 2012, Dave Mullins et Charlie Craig entrent dans la pâtisserie « Masterpiece Cakeshop » en banlieue de Denver, pour commander leur gâteau de mariage. Mais après avoir noté que le couple est gay, le responsable de l’établissement refuse, en raison de sa foi chrétienne, arguant qu’accepter cette commande reviendrait selon lui à « déplaire à Dieu ».
« Nous étions vraiment assommés et humiliés. Très vite, nous nous sommes levés et nous sommes sortis et, c’est gênant à avouer, j’ai fondu en larmes une fois arrivé dans le stationnement », a relaté à l’AFP M. Mullins.
Après avoir également partagé leur mésaventure sur Facebook, les deux hommes apprennent qu’il existe une loi dans leur Etat du Colorado interdisant toute discrimination aux commerces accueillant le public. Ils vont déposer plainte, sans se douter que ce combat judiciaire les mènerait jusqu’à la Cour suprême à Washington. Une audience solennelle leur sera d’ailleurs consacrée ce 5 décembre 2017.
Les deux mariés ont obtenu gain de cause en première instance et en appel, mais c’était avant que la Haute juridiction n’accepte fin juin de se saisir du dossier, passé d’insolite et local à national avec une portée immense.
C’est même sans nul doute la plus importante affaire concernant les droits des homosexuels à atteindre le sommet de la pyramide judiciaire depuis la légalisation du mariage pour tous, sur l’ensemble du territoire américain en juin 2015. Et, selon les experts, ses enjeux s’étendent jusqu’aux droits civiques fondamentaux. Les neuf sages de la Cour suprême devront en effet trancher entre deux principes particulièrement importants aux yeux des Américains : « la liberté confessionnelle et l’égalité sexuelle ».
« Avec cette plainte nous avons compris que nous luttions pas seulement pour nous mais pour tous ceux qui ont subi une discrimination », a souligné Charlie Craig.
Mais les juristes défendant le pâtissier, Jack Phillips, ont décidé de livrer bataille sur « sa liberté d’expression, en tant qu’artiste créateur de gâteau », soit le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis.
Une vingtaine d’États américains, des dizaines d’élus du Congrès et tout ce que l’Amérique compte de groupes de pression chrétiens et conservateurs ont épousé la cause de Jack Phillips, qui bénéficie aussi du soutien de Donald Trump.
Son administration a adressé un argumentaire à la cour soutenant que « les gâteaux étant sa forme d’expression artistique, M. Phillips ne pouvait être forcé à utiliser ses talents en violation de ses croyances religieuses. »
En face commence à souffler un vent d’inquiétude. Selon le Center for American Progress, la décision dans cette affaire pourrait « provoquer un recul dans le temps de 50 ans ».
Le propriétaire d’un funérarium, au prétexte qu’il ne veut être vu comme approuvant tacitement le « mariage homosexuel », pourrait-il refuser d’accueillir le corps d’un homosexuel décédé ? Un fleuriste pourrait-il décider de ne composer des bouquets que pour certaines personnes ?
David Mullins et Charlie Craig sont représentés par la Commission des droits civiques du Colorado et la puissante Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), qui vient déjà de faire bloquer, deux fois en justice, la décision de Trump d’interdire le recrutement des militaires trans.
Cette affaire « ne porte pas sur un gâteau », martèle Louise Melling, une responsable juridique de l’organisation.
« La question posée est de savoir si la Constitution protège le droit de discriminer. Savoir si la Constitution protège le droit d’un pâtissier d’apposer sur sa vitrine une pancarte affichant : ‘Gâteaux de mariage seulement pour hétérosexuels’. C’est une suggestion totalement radicale, d’autant plus radicale qu’elle est soutenue par le ministère américain de la Justice ».