Reportage : L’homophobie continue de sévir au Sénégal où les homosexuels risquent jusqu’à cinq ans de prison

Pour avoir porté un sac de femmes dans son dernier clip, Waly Seck, chanteur sénégalais à succès, a été accusé de pervertir la jeunesse en promouvant l’homosexualité, assimilée à un acte impudique ou contre nature. Pendant plusieurs jours, la polémique a enflammé la presse, les réseaux sociaux et révélé la montée de l’homophobie dans un pays où les homosexuels risquent jusqu’à cinq ans de prison.

Mais, le président Macky Sall reste « ferme sur ses positions : Pas question de dépénalisation ! » Les LGBT sénégalais ne sont donc pas prêts de « sortir de la clandestinité ».

« Je gère mon homosexualité mais je reste très discret pour ne pas être victime d’agression ou d’une arrestation arbitraire », confie un jeune homosexuel. « On évite d’être nous-même ou d’attirer l’attention des gens . »

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Certaines associations de défense des Droits de l’Homme installées à Dakar sont d’ailleurs pragmatiques : « Nous ne pouvons pas demander à un pays comme le Sénégal, qui a eu forte tradition religieuse, d’autoriser des gayprides ou l’expression visible et bruyante de certains droits des personnes homosexuelles ou lesbiennes. Nous sommes réalistes… », explique Seydi Gassama, directeur administratif de l’antenne d’Amnesty International au Sénégal. « Ce que nous demandons, c’est que l’état protège les personnes contre la violence et respecte déjà le droit à la vie privée. »

Mais, « quel rapport entre les parades LGBT dans la rue et la dépénalisation de l’homosexualité », s’interroge Matthias, parisien de 42 ans, qui vit actuellement au Sénégal avec son compagnon d’origine libanaise. « Les organisations locales qui voudraient soutenir les personnes victimes de ces violences homophobes sont déjà contraintes de se camoufler derrière l’unique prévention du VIH. Je ne vois pas très bien comment on peut appeler le pays à instaurer des lois pour protéger les homosexuels, alors qu’ils sont en même temps criminalisés et risquent la prison. » Matthias a témoigné pour nous alerter, dans l’espoir que nous puissions à notre tour interpeler le gouvernement sénégalais notamment sur cette situation qui s’est encore détériorée dans le pays.

« Moi-même en tant que Français, je reste d’autant plus discret. Mais, j’ai des amis qui vivent avec la boule au ventre. La tension est pesante et les regards souvent inquisiteurs. C’est une montée en puissance. La plupart des gens sont encore persuadés que l’homosexualité est importée et sa promotion imposée par les occidentaux. Alors, il est relativement difficile d’apprendre que la dépénalisation n’est toujours pas à l’ordre du jour dans les agendas des associations internationales, surtout si l’on souhaite vraiment pouvoir les protéger. »

Daour est un de ces « clandestins », qui a dû s’exiler de son pays pour ne pas finir en pâture. Il nous a également contacté pour nous expliquer sa situation. Il s’est réfugié dans un pays voisin, victime de harcèlements. En décembre dernier Daour, soupçonné d’homosexualité, a été torturé par les forces de l’ordre. Des maltraitances confirmées, sous couvert d’anonymat, par une des organisations non gouvernementales sénégalaises qui a suivi l’affaire. Interpellé avec dix autres personnes pendant la nuit de Noël alors qu’il fêtait un anniversaire dans un lycée de Kaolack, le jeune homme a été accusé d’avoir participé aux « célébrations d’un mariage entre deux hommes ». Relâchés « faute de preuves », il doit depuis se terrer. « Je n’ai plus d’autre choix que de me prostituer pour pouvoir survivre. Il n’y a personne pour me soutenir. Les policiers ont déclaré à mes proches que j’étais gay avant même que je sois condamné. Nous avons été exposés dans les médias et aujourd’hui, c’est une véritable traque. Je ne sais pas quoi faire, j’ai tout perdu ! » L’étudiant est totalement désespéré. Il aimerait pouvoir reprendre sa vie, ses études mais tout lui paraît désormais improbable.

« C’est totalement invraisemblable », ajoute Matthias. En octobre dernier, le Président Sall déclarait à la télévision française ne nourrir aucune appréhension à l’égard des homosexuels mais qu’il fallait respecter le droit pour chaque peuple de définir sa propre législation sur le sujet. « Mais voilà ce que le gouvernement contribue à perpétrer : la haine. N’est-ce pas dans les compétences d’un chef d’état, qui se revendique d’une démocratie sereine, d’assurer la protection de son peuple ? Il n’y a aucune campagne ou initiative pour sensibiliser la population et lutter contre les préjugés homophobes. Est-ce une stratégie pour canaliser les « électeurs », sous l’influence des religieux radicaux, hors des véritables préoccupations du pays ? C’est déjà un danger en soi lorsque l’on observe ce qui se passe dans le monde et notamment en Afrique avec les groupuscules terroristes. Et si l’on peut condamner Daesh, que penser d’une société qui, si elle ne balance pas ses gays par les toits, les persécute sous licence des mêmes arguments ? Et ici aussi, les médias sont affreusement accusateurs pour vendre leur torchon. Il suffit d’un soupçon pour que les rumeurs prolifèrent en violences. Et, dès lors qu’il s’agit d’homosexuels, ils risquent au mieux de finir au placard, si l’entourage ne les lynche pas avant. Ce sont des crimes », insiste encore Matthias, qui exhorte les pouvoirs publics à prendre conscience de leur implication, avant d’en perdre les rênes. « Concernant l’affaire Waly Seck, qui est déjà le fils d’une star dans le pays, je trouve indigne qu’il ait osé condamné publiquement l’homosexualité, alors qu’il aimerait jouer à Pharrell Williams. Laisser penser que c’est l’Occident qui impose des codes vestimentaires pour ensuite promouvoir l’homosexualité… c’est malhonnête ! Si personne ne se décide à parler, informer et prendre position pour de bon, on risque d’attendre longtemps. Parce que les horreurs ne se dissipent jamais seules. »

Rappelons que l’homosexualité est pénalisée dans 77 pays, dont 38 en Afrique.

Propos recueillis par Terrence Katchadourian
stophomophobie.org