Sur le Figaro, deux ados nées par GPA témoignent pour la première fois

Fiorella et Valentina Mennesson, nées toutes les deux par gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis en 2000, donnent leur point de vue sur le débat autour de la GPA en France.

Elles ne s’étaient jamais encore exprimées dans un media. Pour la première fois, Fiorella et Valentina Mennesson, nées toutes les deux de parents français par gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis, prennent la parole et donnent leur sentiment sur le débat en cours sur la GPA en France. Les jumelles n’ont que 14 ans mais se sont déjà forgé une opinion sur cette délicate question. En acceptant de témoigner, elles souhaitent prendre part au débat et montrer qu’elles sont «des ados, comme les autres».

C’est dans leur maison de Maisons-Alfort, dans le Val-de-Marne, que nous avons interrogé les deux sœurs, sous le regard protecteur des parents, Dominique et Sylvie Mennesson. Ces derniers continuent de demander la transcription des actes de naissance de leurs filles sur les registres de l’état civil français. Ils attendent toujours leur livret de famille, malgré la décision de la CEDH en juin 2014 qui a condamné la France pour avoir refusé d’inscrire les enfants nés par GPA à l’étranger. En revanche, les jumelles ont toujours eu un passeport américain et une carte d’identité française, et disposent depuis peu d’un certificat de nationalité française en application de la circulaire Taubira de 2013. Ce texte, validé par le Conseil d’Etat, a facilité la délivrance de certificats de nationalité aux enfants nés d’un parent français et d’une mère porteuse à l’étranger. Leur demande de passeport français est en cours.

Le couple s’est tourné vers la GPA en 1998, après avoir découvert que Sylvie était atteinte d’une malformation l’empêchant de porter un enfant. Ses ovaires étant encore fonctionnels, elle a tenté plusieurs fécondations in vitro (FIV), sans succès. Le couple a finalement eu recours à un don d’ovocytes, provenant d’une troisième femme, qui n’était pas la gestatrice. Le 25 octobre 2000, les jumelles naissent «en parfaite santé» en Californie.

Comme des milliers d’ados, les deux sœurs s’apprêtent à passer le brevet. A côté, elles font de la danse, du dessin, sortent avec leurs amis, surfent sur les réseaux sociaux et voient leurs parents se démener pour qu’elles aient «des papiers». Il leur est toutefois difficile de s’y retrouver dans toutes les décisions qui ont été rendues ces derniers mois. Néanmoins, elles ont bien conscience que le sujet ne fait pas l’unanimité.

Le Figaro.fr. – Pourquoi avoir accepté de prendre la parole aujourd’hui?

Valentina: Grâce à mon témoignage, je me dis que les gens auront une meilleure image de nous. Je pense qu’à l’heure actuelle, la plupart d’entre eux pensent que nous sommes des victimes de la société, que nous sommes des enfants malheureux. Alors que moi et ma sœur, on est plutôt heureuses! On est des ados comme les autres, avec nos joies et nos problèmes d’enfant de 14 ans. En fait, je voudrais leur dire que nous sommes normales. Dans les journaux, on s’imagine que je souffre de cette situation. Même certains de mes amis le pensent. Mais pas du tout, je veux leur dire que je n’ai aucune pression et que tout va bien. D’ailleurs, je trouve que ma vie est cool. Au moins je ne suis pas née comme tout le monde et je n’ai pas la vie d’un enfant lambda.

Fiorella : Beaucoup de gens parlent à ce sujet, sauf moi. J’avais donc envie de donner mon point de vue et de partager mon expérience.

Que savez-vous de votre situation administrative en France?

Valentina : Je sais que j’ai une carte d’identité française et un passeport américain. Par contre, pour le livret de famille, je ne sais pas trop. Nos parents font tout pour que nous ne soyons pas mêlées à ça. Après quand ils obtiennent quelque chose, ils vont nous le dire parce qu’ils en sont fiers. Mais en général, ils font en sorte que cette histoire de papiers ne soit pas un souci pour nous. C’est bien, comme ça je me prends pas la tête. Parce que c’est compliqué les papiers…De toute façon, j’ai 14 ans, je ne peux rien y changer.

Fiorella: Je ne sais plus trop. Ça m’embrouille tellement ces trucs de papiers. Je sais qu’il y a des problèmes au niveau du livret de famille, je crois que je n’y suis pas inscrite. Par contre je n’ai pas encore de passeport français. C’est symbolique, mais j’aimerais bien l’avoir. Avec mes amis, nous avons des discussions à ce sujet et parfois, j’ai l’impression qu’ils me reprochent de ne pas avoir la même appartenance française qu’eux. On m’a plusieurs fois demandé si je me sentais plus française qu’américaine. Ils me disent que je dois faire un choix entre les deux. Mais pour moi, je n’ai pas à le faire: je suis née aux Etats-Unis mais j’ai grandi en France. Je pense qu’il n’y a rien qui me différencie des autres enfants. J’aimerais avoir les mêmes papiers que tout le monde et être reconnue comme Française à part entière.

Est-il important pour vous que votre filiation soit inscrite à l’état civil français?

Valentina: Bien sûr que c’est important! De toute façon, les gens peuvent penser ce qu’ils veulent. Pour moi, ça ne changera pas: dans ma tête, je sais qui est ma mère, je sais qui est mon père et je sais qui ne l’est pas. Certains me disent que j’ai trois mamans: ils me parlent de ma «deuxième maman», celle qui m’a portée, et la «troisième maman, c’est celle qui a donné ses ovules. Mais pour moi, il n’y a pas de deuxième, ni de troisième maman. Je n’en ai qu’une. C’est normal de ne pas toujours comprendre, les gens ne peuvent pas tout savoir. Mais moi qui l’ai vécu, je pense avoir un vrai avis sur la question. Alors j’essaie de leur expliquer.

Fiorella: La question ne devrait pas se poser. Ma mère est ma mère, mon père est mon père. Je ne vois pas pourquoi on devrait le mettre en doute, tout ça parce que ce n’est pas ma mère qui m’a portée. Pour moi, une mère ce n’est pas celle qui porte, c’est celle qui désire et qui aime l’enfant. Beaucoup de gens utilisent le mot «mère porteuse» alors que ce n’est pas ça une mère. Moi je préfère dire «gestatrice», la dame qui fait la gestation. Si on utilisait plus ce terme-là, ça éviterait de mettre de la confusion dans le débat.

Comment vous a-t-on expliqué la manière dont vous avez été conçues?

Valentina: Je le sais depuis que je suis toute petite. J’ai l’impression que je le savais avant même d’être née. C’était la meilleure chose à faire: il fallait me le dire le plus tôt possible. Si on m’avait menti et que je l’avais appris bien plus tard, je pense que je ne l’aurais pas bien pris. Alors que là, je suis née dedans, je sais qui est ma mère.

Fiorella: Je l’ai su très tôt, avant même de savoir parler. J’ai toujours vécu en le sachant et ça ne m’a pas choqué, ni dérangé. En fait, ça me paraissait normal. Ça fait partie de notre histoire, de notre identité.

Quelle relation avez-vous avec votre gestatrice aujourd’hui?

Valentina: Si je vais la voir aux Etats-Unis, je vais lui dire bonjour, lui faire la bise. Mais je ne ressens rien de spécial quand je la vois. C’est comme une amie de mes parents.

Fiorella: On va la voir pratiquement tous les étés, dès qu’on va aux Etats-Unis. C’est toujours sympa de la voir mais je ne partage pas grand-chose avec elle. Beaucoup s’imaginent que je devrais la considérer comme un membre de la famille, un peu comme une tante ou une marraine. Mais non. C’est juste quelqu’un qui a aidé mes parents et je lui en suis reconnaissante.

Est-ce que vous suivez le débat autour de la GPA?

Valentina : Pas vraiment. Souvent mes parents me disent «oui, Valentina, il faut que tu lises, que tu comprennes ce qu’il se passe». Mais bon, j’ai 14 ans, c’est compliqué pour moi. Je n’ai pas envie de me casser la tête à comprendre tous ces mots bizarres. Pour moi, c’est un problème d’adulte. Je m’en occuperai plus tard, quand mon père n’aura plus de dents pour parler. Sourire.

Fiorella: J’ai l’impression que tout le monde essaie d’embrouiller le débat alors que c’est quelque chose de très simple. Beaucoup de gens s’expriment sur le sujet alors que ça ne les concerne même pas et qu’ils n’ont jamais été confrontés à des vrais cas de GPA. Ils utilisent des mots très choquants pour faire les gros titres comme «commercialisation du corps des femmes», «pornographie», etc. Mes parents se sont déjà fait insulter, ma mère en a même pleuré. Quand je lis les propos de personnes anti-GPA sur Internet, ça me fait mal. Et parfois je me dis: «est-ce que ces gens seraient capables de dire ça en face de moi?». C’est une grande question que je me pose. Parce qu’au fond, leur but n’est pas seulement de s’y opposer mais de dire des mots qui blessent.

Comprenez-vous les critiques qui s’élèvent contre le recours aux mères porteuses?

Valentina: Ces gens-là ne comprennent pas ce qu’est la GPA. Pour eux c’est nouveau, du coup ça leur fait peur. Certains disent que la GPA, c’est l’exploitation des femmes, l’instrumentalisation du corps. Mais pour moi, ça dépend de la manière dont c’est fait. Je sais qu’il y a des trucs bizarres qui se passent en Inde mais dans mon cas, les personnes qui l’ont fait étaient volontaires et bénévoles. Par exemple, celle qui m’a portée voulait le faire parce que sa mère le faisait aussi. Ce que je reproche aux gens, c’est d’avoir un avis tranché sans vraiment s’être renseignés sur le sujet.

Fiorella: Les gens ne se rendent pas forcément compte de la dimension humanitaire qu’offre la GPA. C’est juste aider quelqu’un. Dans le cas de ma gestatrice, le fait de voir que ma mère ne pouvait pas avoir d’enfant, ça la désolait. Bien sûr qu’il y a des cas extrêmes. Je pense à la gestatrice qui se rend compte qu’elle veut garder l’enfant ou alors à celle qui ne fait ça que pour l’argent. C’est triste, bien sûr. Mais il faut arrêter de penser que c’est le cas de tout le monde. Au contraire, la plupart du temps, ça se passe très bien.

La GPA est interdite en France. Qu’en pensez-vous?

Valentina : On devrait pouvoir la légaliser. Pour moi, tout peut être autorisé, si c’est bien fait. Par contre, il faudrait qu’il y ait des règles pour l’encadrer. Par exemple, je pense que la femme qui porte ou celle qui donne les ovules ne doit pas être payée. Sinon, ça serait malsain. Au final, je suis sûre que ça finira par être autorisé. Je me dis que c’est comme le mariage homosexuel. Beaucoup étaient contre et en fait, la loi a été adoptée. Je fais confiance à mes parents. Je sais qu’ils vont persister dans leur combat.

Fiorella: Je sais que demander la légalisation de la GPA, c’est très compliqué et qu’il y a peu de chance pour que ce soit accepté maintenant. Mais je pense que ça serait bien de le faire. Après, il faudrait que ce soit réglementé pour que ce soit bien fait. Pas comme en Inde, où dans certains cas les gens peuvent penser que ce sont de véritables usines où les femmes pondent. Pour moi, la GPA doit se faire avec des femmes volontaires, pour des couples stériles, qui passeraient par des associations réglementées. Et dernier point très important: les parents doivent tout dire aux enfants, dès le plus jeune âge.

Par Caroline Piquet