L’association « Shams », pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie, vient de lancer une nouvelle campagne sur les réseaux pour appeler à la libération de six étudiants, condamnés ce 10 décembre par le tribunal de Kairouan à trois ans de prison pour « homosexualité ». Ils ont été reconnus coupables après avoir subi un touché rectal, ce fameux test de la « honte », pendant les interrogatoires.
L’un des « accusés » a également écopé de 6 mois d’emprisonnement supplémentaire pour « outrage à la pudeur », la police ayant retrouvé sur son ordinateur des « séquences vidéos ». Ils auraient été arrêtés dans le foyer universitaire de Rakada, pendant que deux d’entre eux avaient des relations sexuelles.
Shams ajoute que le tribunal a décidé d’une mesure de bannissement de 5 ans de la ville de Kairouan à l’encontre des six « prévenus », qui devrait entrer en vigueur aussitôt qu’ils auront accompli leurs peines de prison.
« Une première pour des cas de ce genre », assure l’avocate Fadoua Braham, spécialiste des procès d’homosexuels. « La loi date de 1913. Elle a été très rarement appliquée et concernait surtout des femmes prostituées dans les années 60 et 70 ».
Des condamnations tout à fait injustes et des pratiques « avilissantes » que dénonce l’association, qui s’insurge dans son communiqué contre l’utilisation de l’article 230 du code pénal pour « restreindre les libertés individuelles et s’immiscer dans la vie privée des citoyens ».
Les défenseurs et proches des six étudiants craignent des conditions déplorables d’emprisonnement, comme la détention dans des cellules avec des prisonniers homophobes qui pourraient s’en prendre à eux physiquement.
Rappelons que depuis sa création, Shams n’a pas cessé de faire polémique quant à sa « légalisation suite aux contestations d’une autorisation jugée notamment « dangereuse » pour « la paix sociale », par un ancien ministre et député Ennahdha.
Les membres de l’association sont apparus dans les médias afin de revendiquer ouvertement l’abrogation de l’article 230, qui leur a valu d’être reconnus et menacés.
Le danger était tel que Hedi Sahly, vice président de l’association, a été contraint par sa famille de quitter le pays à la hâte, comme il l’a d’ailleurs déclaré dans une interview sur le HuffPost Tunisie : « Mon oncle travaillant au ministère de l’Intérieur m’a informé que mon nom figurait dans un rapport contenant le nom de personnes menacées en Tunisie. Je n’ai été informé par aucune source officielle du ministère mais par des circuits officieux. »
Hedi Sahl, a demandé une protection personnelle de la part du ministère de l’Intérieur mais elle a été rejetée. « Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas fournir une protection rapprochée à toutes les personnes menacées. »
Bouhdid Belhadi, porte-parole de l’association, a également reçu des menaces. « On a appelé à sa mort lors d’un prêche du vendredi dans une mosquée à Hammamet, sa ville natale au vu et au su des policiers », poursuit Hedi Sahl, qui ajoute que son collègue a été obligé d’abandonner ses études à la faculté. « Face à ces menaces, le poste de police de Gorjani l’a appelé pour lui dire qu’il devrait se faire discret sans prendre les mesures nécessaires pour le protéger. »
Quand à Ahmed Ben Amor, l’un des membre fondateurs de l’association, tabassé et malmené par des inconnus dans la rue, le jeune homme continue d’être harcelé. « Pire encore, quand il est allé porter plainte, il a été traité de tous les noms par les policiers. »
Hedi Sahl a fait les démarches nécessaires pour obtenir un droit d’asile et espère être accueilli « dans n’importe quel pays où je me sentirais en sécurité et où je pourrais terminer mes études. » Il regrette des « erreurs de communication » et de ne plus pouvoir militer comme avant au sein de son association : « A la faculté, les propos ouvertement homophobes et assumés de l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), syndicat étudiant à tendance islamiste, grondent contre les étudiants et militants LGBT. On harcèle mon père pour qu’il m’oblige à arrêter de défendre les « pédés » comme ils disent. Mon frère qui est au collège ne veut plus aller étudier car les élèves se moquent de lui. »
« J’ai été dupe en croyant qu’on était désormais libre, qu’on vivait dans une démocratie, qu’il n’y avait plus de place pour la peur. Même les partis politiques et les associations qui se disent progressistes nous ont lâchés. Les pratiques policières agressives à notre encontre continuent dans l’impunité. La Tunisie libre est une chimère. »