Plus de 87 % de la population pakistanaise serait homophobe, selon un sondage du Pew Institute. Pourtant, selon les Google trends (tendances), le Pakistan serait le plus gros consommateur de porno gay au monde. Un paradoxe que l’on retrouve aussi bien dans les moeurs que dans la culture pakistanaise.
Akbar*, un musulman pieux à la longue barbe noire, vit à Lahore, deuxième plus grande ville du pays. Aujourd’hui, il ne va pas au travail. Sa femme n’étant pas là, il a accepté de nous parler de son passe-temps favori : se travestir devant un miroir. « Je fais mes prières et j’honore Allah tous les jours, confesse-t-il, en se mettant du rouge à lèvres. J’ai même une femme, pour faire plaisir à Dieu. Mais pour mon coeur, je vois des hommes. » Comme beaucoup d’autres, Akbar doit cacher son homosexualité. Au Pakistan, les rapports entre personnes du même sexe sont en effet passibles de la peine de mort.
La situation singulière des travestis
Pourtant, selon nos interlocuteurs, rien n’est plus facile que de coucher avec un homme. « Ici, les hommes sont tellement frustrés qu’ils pourraient coucher avec un chien, s’amuse Nili, un homme devenu femme. Moi, ce sont des hétéros qui viennent me draguer. » Selon elle, la culture travestie et transsexuelle incarnée par ceux que l’on appelle « Hijras » est un vieil héritage indo-pakistanais. « Parce qu’ils portent les deux sexes en eux, ils ont toujours été à la fois respectés et persécutés. On se moque d’eux et ce sont les premiers que l’on viole, mais on leur demande aussi de bénir les bébés », continue Nili.
À Islamabad et d’une façon générale, il n’est pas rare de croiser leurs silhouettes efféminées tandis qu’ils mendient aux feux rouges. Bien plus visibles au Pakistan qu’en France, les travestis et transsexuels ont paradoxalement, et ce malgré les persécutions dont ils sont victimes, un certain train d’avance sur l’Hexagone en matière de droits : ils disposent de leur propre carte d’identité et sont reconnus comme troisième sexe.
Habitude culturelle
Prostitués bon marché, ils représentent le fantasme de l’homme pour un autre homme. Qasim Iqbal, chercheur et directeur du centre NAZ Male, la seule association consacrée à la cause homosexuelle au Pakistan, confirme : « Au Pakistan, les femmes ne sont pas accessibles en dehors du mariage, alors les hommes se débrouillent entre eux pour coucher. Ici, la majorité des hommes a eu au moins un rapport avec un autre, car il est bien plus facile et acceptable de s’isoler avec un homme qu’avec une femme. Ça ne veut pas dire qu’ils sont gays, juste frustrés. »
Comme nous avons pu le constater sur place, il n’est pas rare de croiser des hommes qui se tiennent la main en signe d’amitié lorsqu’ils marchent ensemble dans la rue. « Ce genre de choses en Occident serait tout de suite catalogué comme un comportement homosexuel, explique Qasim. Au Pakistan, c’est une habitude culturelle et ça n’est pas du tout connoté sexuellement. C’est pour ce genre de choses que c’est plus facile pour les gays de se cacher ici. »
Mariages arrangés
À Lahore, dans un parc, de jeunes hommes prostitués d’à peine 20 ans nous révèlent les frustrations de leurs clients : « Les hommes viennent nous voir parce qu’ici, les femmes sont frigides. Certains disent qu’ils ont l’impression de coucher avec un corps mort. » Il est certain que dans ce pays où les mariages arrangés et forcés sont toujours de rigueur, il est difficile d’attendre des jeunes mariées qu’elles s’épanouissent au lit : une bonne épouse pakistanaise ne saurait se comporter de la sorte, et surtout, pour ces jeunes femmes, la nuit de noce est bien souvent associée au viol.
« La femme est une épouse, une mère, une soeur. Mais on oublie que c’est une femme aussi ! » s’offusque Habib Khan, un homme d’affaires pakistanais, originaire du nord-ouest du pays. Dans cette région raconte-t-il, la bisexualité des locaux appelés Pachtounes est notoire. « Chez moi, on dit que quand un oiseau survole Peshawar, il utilise une aile pour voler, l’autre pour se cacher ses fesses », s’amuse-t-il. Selon lui, les Pachtounes étant les descendants probables des armées d’Alexandre Le Grand, ces tendances seraient héritées des Grecs.
« Le vrai amour, ça ne peut être qu’avec un homme »
Elles proviennent également d’une certaine vision de l’amour. À Karachi, dans une soirée gay, un invité nous explique : « Si vous observez l’histoire de mon pays, de ma religion, ça a toujours été comme ça. Les femmes sont un substitut pour le vrai amour, elles ne sont là que pour la reproduction, affirme-t-il, un verre de whisky à la main, avant d’enlacer un homme sur le dernier tube de Lady Gaga. Le vrai amour, ça ne peut être qu’avec Dieu, qui est une figure masculine. Donc le vrai amour, sur terre, ça ne peut être qu’avec un homme. »
Si pour lui, comme pour de nombreux autres, le seul véritable amour est celui d’un homme pour un autre homme, le danger de s’afficher en tant qu’homosexuel au Pakistan reste bien réel, et la discrétion reste une priorité. Un comportement qui résume assez bien le paradoxe pakistanais, torturé entre tradition et désir de liberté. « La société pakistanaise est très hypocrite, conclu Habib Khan. Vous pouvez faire ce que vous voulez en privé tant que vous maintenez une façade publique. »
* Le prénom a été changé.
NB : Cet article a été rédigé en complément de deux reportages diffusés cette semaine dans La Nouvelle Édition sur Canal +.
Par Marie de Douhet, au Pakistan
lepoint.fr