Alors que le (premier?) quinquennat de Nicolas Sarkozy s’achève, les militants LGBT en ont dressé le bilan. Evidemment critique, mais pas absolument nul…
A seulement deux jours du premier tour de l’élection présientielle, Nicolas Gougain, le porte-parole de l’Inter-LGBT, a publié une tribune intitulée: «Cher Nicolas Sarkozy, qu’avez-vous réalisé pour le droit des homosexuels?» Une réponse publique à une lettre envoyée par le directeur de campagne du candidat UMP afin de protester contre les sifflets adressés au représentant de l’UMP lors du «meeting LGBT». Si vous avez été sifflés, c’est à cause de votre bilan! répond en substance le militant.
Il y a un mois, dans TÊTU, nous avions justement fait le bilan détaillé des années militantes 2007-2012 avec Nicolas Gougain. Un constat mi-figue, mi-raisin, sans concession mais qui n’hésite pas à dire, aussi, les quelques avancées réalisées durant le quinquennat. L’occasion de relire cet article afin de voter en conscience…
Les cinq années de présidence de Sarkozy auront permis quelques avancées qu’il faut saluer. Et de nombreux points d’achoppement qu’il faut pareillement dénoncer. Les militants de l’Inter-LGBT, de la Coordination Interpride France et de la Fédération LGBT se sont livrés à ce travail d’inventaire dans leur campagne commune d’interpellation des candidats à l’élection présidentielle .
Avancée
Avec une première avancée, dès l’été 2007, dans le cadre du projet de loi sur le «paquet fiscal»: dans les couples pacsés, en cas de décès de l’un des conjoints, le partenaire survivant n’a, depuis, pas à régler de droits de succession, à l’instar de ce qui se passe dans un couple marié.
De même, lorsque le régime fiscal avantageux de la première année des couples nouvellement unis a été supprimé, le gouvernement a modifié le régime pour tout le monde, sans maintenir l’avantage pour les couples mariés, au grand dam de certaines voix au sein de la majorité présidentielle, qui espéraient continuer à en faire bénéficier les hétéros mariés – le député Hervé Mariton notamment, pour qui «un couple homosexuel ne forme pas une famille comme les autres».
Bonne surprise
«C’est une chose que l’on peut mettre au crédit du gouvernement de cette mandature, note Nicolas Gougain (photo ci-contre), porte-parole de l’Inter-LGBT et coauteur de la note publiée par le collectif d’associations: les disparités entre les couples mariés et les couples pacsés n’ont pas augmenté.» Autre égalisation du statut des couples pacsés, en 2009: depuis cette date, les fonctionnaires pacsés peuvent eux aussi bénéficier du capital décès lors de la disparition de leur partenaire. « Une bonne surprise, que l’on réclamait tout de même depuis des années », se souvient Nicolas Gougain. C’était la dernière mesure significative pour les signataires d’un pacs.
À l’international, les associations garderont un souvenir globalement positif de leurs relations avec le Quai d’Orsay. «La diplomatie a été très active», avec des interventions (rendues publiques ou non) auprès des pays étrangers homophobes. La France a même été moteur de la lutte contre la criminalisation de l’homosexualité, avec en point d’orgue la fameuse intervention de Rama Yade et son appel à la dépénalisation universelle au siège de l’ONU. Une déclaration symbolique signée par 66 autres pays. La France a même lancé, avec les Pays-Bas et la Norvège, un fonds de soutien à la lutte contre l’homophobie dans le monde.
Engagements
Enfin, sur l’éducation et la lutte contre l’homophobie en France, quelques progrès ont été enregistrés. «La Marche des fiertés 2008, que l’on avait entièrement axée sur le thème de l’Éducation nationale, a certainement débloqué des choses», s’enorgueillit le porte-parole de l’Inter-LGBT, organisatrice de cette gay pride parisienne.
Le ministre de l’époque, Xavier Darcos, prend alors des engagements dans TÊTU (réaffirmer la lutte contre l’homophobie dans sa circulaire de rentrée, installer des affiches d’informations sur la Ligne Azur d’aide aux jeunes homos dans les établissements), qui seront suivis des actes à l’automne suivant. Des affiches de soutien aux homos dans les universités ont aussi vu le jour. La lutte contre l’homophobie dans le domaine du sport est également devenue une réalité, quoique encore plus visible dans les discours que sur les terrains.
«Clairement, sur la fin du mandat, les mouvements conservateurs gagnent du poids au sein de la majorité» Déception
Mais il ne s’agit là que des premières années de la présidence. «Globalement, si les débuts ont été prometteurs. Mais les deux dernières années se sont révélées décevantes», résume Nicolas Gougain.
Les militants qui s’intéressent au domaine de l’éducation ont été les premiers à ressentir ce raidissement de la majorité. Pour symbole de ce tournant, un dessin animé : le fameux Baiser de la Lune, bien innocente histoire d’amour entre un poisson-chat et un poisson-lune destinée à sensibiliser les enfants à la tolérance sur un mode poétique. Début 2010, alors que le film n’est même pas terminé, il fait l’objet d’un tollé de la part de la majorité. Le nouveau ministre de l’Éducation, Luc Chatel, promet qu’il sera invisible dans les écoles primaires. Comme si cette affaire avait touché un point sensible, «depuis, plus rien ne bouge».
Tollé immense
À la rentrée 2011, quelques lignes sur la question de l’identité sexuelle dans des manuels scolaires pour les classes de première ES et L déclenchent à nouveau un tollé immense de la part d’une partie de l’UMP. «Clairement, sur la fin du mandat, les mouvements conservateurs gagnent du poids au sein de la majorité», explique Nicolas Gougain. Des députés de la droite dite populaire, comme Jean-Marc Nesme, interpellent à ce sujet la mission de lutte contre les sectes (!), crient à la dérive idéologique de la société, sans que des voix officielles n’appellent à l’apaisement.
Symbole d’entre les symboles, le rejet de la proposition de loi socialiste sur l’ouverture au mariage homosexuel marque encore une occasion manquée de favoriser l’égalité. «On aurait pourtant bien vu une union nationale autour de ce sujet. L’attente des homos est légitime, les Français y sont majoritairement favorables», regrette le militant.
Débat ouvert
Seul point positif: «L’UMP n’a pas fermé le débat, laissant des députés comme Franck Riester faire entendre des voix favorables au mariage.» Au final, le texte sera tout de même rejeté par une large majorité, mi-2011 à l’Assemblée nationale.
Et c’est à l’Assemblée encore que s’est faite entendre la décision la plus cruelle aux oreilles des militants, à la fin de l’année dernière. Valérie Pécresse y exprimait pour la première fois la décision du gouvernement quant à l’ouverture pour les couples pacsés de la pension de réversion, partie de la retraite que peut continuer de toucher une personne à la mort de son conjoint. Une réforme qui fait l’objet d’un espoir raisonnable de la part des militants, puisque des discussions avaient lieu en coulisses depuis des mois sur ce thème.
Droits et devoirs
«Cela devait être tranché lors de la réforme des retraites, et puis, rien. Il a fallu une forte mobilisation en ligne, et la question d’une députée PS à l’Assemblée, pour qu’on ait une réponse.» Et quelle réponse ! La ministre du Budget expliquait que le coût de cette réforme serait élevé (lire l’analyse dans TÊTU n° 173), mais que là n’était pas la vraie raison du rejet de cette réforme. De son propre aveu, « c’est pour des raisons de principe »: le pacs n’est pas un contrat de la même nature que le mariage, il comporte beaucoup moins de devoirs et notamment pas l’obligation de solidarité qui fait la caractéristique du mariage. «Dès lors, moins de devoirs, c’est moins de droits», a expliqué Valérie Pécresse. Une façon d’assumer avec aplomb le maintien d’une discrimination.
Et ce ne sera pas le seul refus de faire avancer les droits: le statut du tiers, qui aurait sécurisé la situation des «beaux-parents» homos par rapport à l’enfant de leur partenaire, est une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy qui a fait l’objet de tractation au début de son mandat…pour se retrouver dans une impasse lorsqu’une mission dirigée par le député Jean Leonetti est annoncée. «Quand on a su que ce député notoirement hostile à l’homoparentalité allait prendre les choses en main, on a su que c’était fini», se souvient Nicolas Gougain.
Paradoxe
Grands motifs de mécontentement encore: le droit au séjour pour soins, « enterré» par le gouvernement pour permettre entre autres l’expulsion d’étrangers séropositifs, ou la situation des trans qui n’a « pas avancé d’un iota » bien que la France ait souscrit, au Conseil de l’Europe, à une recommandation pour faciliter leur changement d’état civil. D’ailleurs, lors des discussions sur les délais de prescription pour injures homophobes, transphobie et sérophobie, ont été exclus de la réforme par le gouvernement, sans plus d’explications.
Que conclure de cet inventaire? L’égalité des droits, si elle a quelque peu progressé à la marge, reste à conquérir. «En regardant en arrière, on s’aperçoit qu’on avait davantage avancé durant le second mandat de Jacques Chirac que pendant celui de Nicolas Sarkozy, conclut Nicolas Gougain. C’est un paradoxe pour un candidat qui voulait moderniser la société. Aujourd’hui, ceux qui font le plus de bruit à l’UMP, ce sont les conservateurs…» Et demain?
Extrait de TÊTU n°176 (avril 2012).