On compte, en France, près de 170.000 embryons conçu in vitro et conservés par congélation. Près de 4.000 sont offerts à l’accueil de couples composés d’un homme et d’une femme, en âge de procréer, et souffrant d’une stérilité médicalement constatée. Qu’en sera-t-il après le vote de la loi annoncée instituant le « mariage pour tous » ? La question n’a encore guère été soulevée dans les médias. Ceci ne saurait durer. Voici les termes de l’équation à venir, au croisement de la santé publique et de la réflexion éthique
Dans le débat autour du projet de mariage pour tous, on a beaucoup parlé de l’ouverture ou non de la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels. Un autre aspect de cette problématique nouvelle n’a encore été que peu –ou pas– exploré: la possibilité pour les futurs couples mariés composés de deux femmes en âge de procréer d’accueillir des embryons aujourd’hui conservés par congélation.
Les termes de l’équation sont simples à résumer. On compte aujourd’hui en France près de 170.000 embryons conservés par congélation dans l’azote liquide. Tous ont été conçus en dehors des voies génitales féminines par fécondation in vitro. C’est pour réduire les risques médicaux et augmenter les chances de procréation des couples stériles qui s’adressent à elles que les équipes spécialisées ont, depuis une vingtaine d’années, choisi d’avoir systématiquement recours à la pratique de la création d’embryons «surnuméraires» puis à celle de leur conservation par congélation. Nous l’avions en partie abordé il y peu sur ce blog.
Le nombre des embryons ainsi créés et conservés n’a, depuis, cessé d’augmenter. En pratique, ils peuvent être utilisés lors de tentatives ultérieures, soit chez le couple «géniteur», soit chez un autre après une procédure de don.
Anonymat, bénévolat, gratuité
La loi française de bioéthique dispose que s’ils ne sont plus retenus dans un projet de développement intra-utérin (on parle ici d’embryons «orphelins»), ces embryons surnuméraires congelés doivent, au choix, être détruits ou donnés. Ce don peut être fait à la médecine et à la science (comme pour les corps) ou à des couples souffrant de stérilité. Toutes les informations officielles, assez complexes sur le don d’embryons sont accessibles ici [PDF]; celles sur l’accueil de ces mêmes embryons sont accessibles ici [PDF].
Dans tous les cas, les trois principes éthiques fondamentaux de la loi française (anonymat, bénévolat, gratuité) doivent être strictement respectés. Il en va ici comme pour le sang, les cellules sexuelles ou les organes. Jamais un couple donneur ne doit connaître l’identité du couple receveur et inversement.
L’Agence nationale de la biomédecine recensait au 31 décembre 2010 un stock de 171.417 embryons conservés pour 51.433 couples. L’Agence estimait à cette date à 109.971 le nombre des embryons faisant toujours l’objet d’un projet parental, pour 33.238 couples qui sont toujours en attente d’un premier enfant ou qui envisagent d’en avoir plusieurs.
Le nombre des embryons «proposés à la recherche» était de 4.854 (17.119 couples) et celui de ceux «proposés à l’accueil» de 3.663 (12.600 couples). On dénombrait enfin près de 10.000 embryons pour lesquels aucune information n’était disponible; soit parce que les «couples concepteurs» n’avaient pas répondu, soit parce qu’ils s’étaient, entre-temps, désunis.
En toute hypothèse, le centre d’AMP concerné doit détruire les embryons («mettre fin à la conservation») au bout de cinq ans dès lors qu’il n’a pas reçu de réponse des couples concernés quant à leur possible devenir. Or, il faut désormais compter avec l’examen, prévu fin janvier 2013, du projet de loi sur le mariage pour tous. Ce texte impose de réfléchir à l’avenir de certaines des dispositions législatives aujourd’hui en vigueur.
Quid de l’accueil par un couple de femmes?
Dans le cas où l’«amendement PMA» figurerait dans la prochaine loi sur le mariage, les embryons orphelins pourront-ils être accueillis par des couples homosexuels?
La question ne se pose pas pour les couples d’hommes, du moins tant que la pratique de la gestation pour autrui (des «mères porteuses»), demeurera spécifiquement interdite en France. Mais il en va différemment pour les couples de femmes. L’accueil d’un embryon pourrait ici se substituer à l’accès controversé à la technique de l’insémination artificielle avec un sperme de donneur anonyme et médicalisé; une pratique aujourd’hui prise en charge par la collectivité à hauteur de 1.000 euros la tentative.
Cette forme, embryonnaire, d’adoption serait-elle possible? On rappelle, auprès de l’Agence de la biomédecine, que les couples pouvant accueillir des embryons sont ceux éligibles pour bénéficier de l’AMP: des couples composés d’un homme et d’une femme, en âge de procréer, et souffrant d’une stérilité médicalement constatée.
Cette forme d’adoption serait-elle souhaitée? Côté donneur, la question ne se pose pas puisque l’anonymat s’impose: accepter le don impose (comme pour le sang, les cellules sexuelles ou les organes) que ce don ne saurait être «fléché».
Elle se pose en revanche pour ce qui est des receveuses. Certes, accueillir un embryon dont l’une des deux membres du couple assurerait la gestation et la naissance correspond bien à l’une des demandes formulées ici au nom de l’égalité. Pour autant, elle ne correspond pas à la transmission d’une partie du patrimoine génétique de l’une des membres du couple, transmission que permettrait l’insémination de l’une des deux femmes du couple.
Un mois avant le début de l’examen du projet de loi et alors que la mobilisation des opposants semble gagner en puissance cette question reste entière.
Va-t-on modifier les dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour permettre de tels «accueils»? La lumière n’est sans doute pas à attendre de l’Eglise catholique. Après avoir dénoncé depuis toujours les diverses formes de la dissociation entre la sexualité et la reproduction (puis la procréation médicalement assistée), elle condamne aujourd’hui toute forme d’instrumentalisation des embryons humains. Elle juge notamment leur congélation immorale et contraire à la dignité. Comment pourrait-elle dans ces conditions accepter le principe de leur accueil et de leur adoption par des couples dont elle estime qu’ils ne sauraient pouvoir être mariés?
Ce texte a initialement été publié sur le site Slate.fr