Depuis l’adoption le 20 février dernier d’un décret autorisant le traitement automatisé des données à caractère personnel, les gendarmes disposent d’un nouvel outil informatique dénommé « application mobile de prise de notes », qui leur permet de consigner, lors de leurs interventions, des informations relatives notamment « à la vie sexuelle et à l’orientation sexuelle » de toute personne, s’ils considèrent qu’il s’agit d’un « cas de nécessité absolue » pour leur mission. La situation est laissée à leur seule discrétion.
Ces renseignements pourront alors être transférés à tous les autres gendarmes et militaires au sein ou hors de l’unité d’origine, ainsi qu’au préfet, sous-préfet et maire territorialement compétents.
A ce propos, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) explique, dans un avis du 3 octobre 2019, que les données collectées via GendNotes seront transmises au Logiciel de Rédaction des Procédures de la Gendarmerie Nationale (LRPGN) et, dans un autre avis du 11 octobre 2012, que ce même LRPGN alimente le Traitement d’Antécédents Judiciaires (TAJ) lorsqu’une procédure est engagée.
Ces informations collectées pourront donc se retrouver dans le TAJ, c’est-à-dire être conservées pendant 20 ans et accessibles par tout agent de la police et la gendarmerie.
Cette situation n’est pas conforme à la règlementation françaises et européennes sur les données personnelles, qui interdit en principe la collecte de données sensibles relatives à la vie et l’orientation sexuelle, et impose leur suppression, dès que possible.
Risques liés au fichage des homosexuels
Ce sont d’abord les agents de l’État qui risquent de subir des discriminations sur leur lieu de travail. Une étude de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) mentionne en effet que 85 % des personnes homosexuelles disent avoir ressenti au moins une fois une homophobie implicite sur leur lieu de travail et 40 % affirment en avoir été directement victimes. Les administrés également. Selon un rapport de l’Ifop, commandé par la Délégation interministérielle à la lutte contre le Racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), 23% des personnes interrogées disent avoir déjà été discriminées par des représentants des forces de l’ordre en raison de leur orientation sexuelle. Un rapport récent de l’Inspection générale des affaires sociales dénonce quant à lui des actes de discrimination homophobes commis par les services d’adoption en Seine-Maritime.
C’est pourquoi, STOP homophobie, Mousse, Familles-LGBT et ADHEOS forment un recours, ce vendredi 12 juin, devant le Conseil d’État contre GendNotes.
Pour Étienne Deshoulières, avocat des associations, « l’histoire de la pénalisation de l’homosexualité est concomitante à celle du fichage des homosexuels. Il est donc essentiel de faire annuler le décret GendNotes, car derrière le spectre du fichage plane celui de la répression et de la discrimination des personnes LGBT ».
Fichage des homosexuels
Dans les années 1850, un registre des « pédérastes » est constitué par la préfecture de police de Paris. Alors que l’homosexualité n’est susceptible d’aucune condamnation pénale à cette date, les autorités estiment que le milieu homosexuel est « un milieu favorable à la délinquance » et « un bouillon de culture où éclosent les virus criminels ». Ce registre sera conservé par la police jusqu’en 1981 afin d’assurer la surveillance policière des gays et lesbiennes.
En Allemagne, durant le « IIIe Reich », environ 16.000 hommes, soupçonnés d’avoir des pratiques homosexuelles, ont été fichés par la police. Ces fichiers seront utilisés par les nazis pour déporter les homosexuels dans les camps de concentration.
En France, si la question de la communication du fichier de la préfecture de police aux nazis reste discutée par les historiens, la réalité de la déportation des homosexuels français pendant la Seconde Guerre mondiale est aujourd’hui avérée. Elle n’a été officiellement reconnue par la France qu’en 2001 par Lionel Jospin, puis en 2005 par Jacques Chirac. Le registre français des homosexuels a été conservé après la Seconde Guerre. Pendant cette période, les personnes homosexuelles fichées ont été victimes de harcèlement et de discrimination par les forces de police. De 1945 à 1982, près de 10.000 condamnations ont été prononcées pour homosexualité en France, presque toutes à l’encontre d’hommes. Parmi ces condamnations, 93 % étaient des peines de prison.
Le 12 juin 1981, conscient des dérives policières provoquées par le fichage des homosexuels, le ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, Gaston Deferre, a adressé une circulaire à la hiérarchie policière afin d’interdire « le fichage des homosexuels, les discriminations, et, à plus forte raison, les suspicions anti-homosexuelles ».
Le 8 juillet 1981, le Conseil de l’Europe a adopté un rapport invitant l’OMS à supprimer l’homosexualité de sa classification des maladies mentales. Le 1er octobre 1981, une recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait les États membres « à ordonner la destruction des fichiers spéciaux existants sur les homosexuels, et l’abolition de la pratique de faire ficher les homosexuels par la police ou par toute autre autorité ».
Le 22 octobre 1981, l’arrêt Dudgeon de la Cour européenne des droits de l’homme affirme la liberté des comportements homosexuels sur le fondement du droit au respect de la vie privée. Cet arrêt a permis la suppression progressive en Europe de toutes les législations interdisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe.
Peu de temps après, l’homosexualité est dépénalisée en France par une loi du 27 juillet 1982 sur l’initiative du gouvernement de François Mitterrand.
Contact presse : Etienne Deshoulières – Avocat au barreau de Paris
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