Explosion des discours homophobe, série télé censurée pour un personnage gay, marques « friendlies » boycottées… Cette animosité croissante a étouffé la communauté LGBT+ turque, autrefois effervescente, et écorné l’image d’un pays longtemps considéré comme une oasis de tolérance dans le monde musulman.
Les associations LGBT dénoncent une « campagne de haine » du président Recep Tayyip Erdogan visant à faire oublier les problèmes économiques à ses électeurs conservateurs, au risque d’encourager les violences contre une communauté particulièrement vulnérable.
La charge a été particulièrement virulente ces dernières semaines, suite aux manifestations d’étudiants de la prestigieuse Université Bogazici, à Istanbul, qui protestaient contre la nomination d’un poche du président au poste de recteur. Le 29 janvier dernier, certains ont accroché un tableau représentant la grande mosquée de la Mecque, premier lieu saint de l’islam, orné d’un drapeaux aux couleurs de l’arc-en-ciel, exacerbant encore les autorités, qui ont saisi l’occasion pour suspendre le club LGBT de l’établissement, qui nie pourtant toute implication.
« Dans la rue, les gens ne nous regardent plus seulement comme différents ou originaux, mais comme des traîtres à la nation », s’inquiète auprès de l’AFP Alaz Ada Yener, qui milite au sein de l’association de défense des droits LGBT LambdaIstanbul. « Ceux qui vont commettre un crime contre des LGBT vont se dire qu’ils ont les autorités de leur côté. » Parce que « les discours de haine provoquent des crimes de haine », ajoute Can Candan, un documentariste et enseignant à Bogazici.
Le ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu a lui même plusieurs fois qualifié les LGBT de « dégénérés » et Erdogan, appelé à ne pas écouter « ces lesbiennes, ou je ne sais quoi ».
L’homosexualité n’est pourtant pas illégale en Turquie, mais l’homophobie y est répandue et les associations ne cessent de dénoncer des agressions ciblées, notamment contre les personnes transgenres. Et si aucun chiffre officiel n’existe, la Turquie n’a cessé de chuter ces dernières années dans l’index mesurant les droits des LGBT publié par l’Association internationale lesbienne et gay (ILGA). En 2020, elle figurait à la 48e place sur 49 dans la région Eurasie.
Mais avant même les manifestations étudiantes à Bogazici, les signes négatifs s’étaient multipliés.
L’association turque Kaos GL a ainsi recensé l’an dernier plus de 2.000 articles de presse discriminants envers les LGBT, soit 40 % de plus qu’en 2019.
Le géant du streaming Netflix a aussi été contraint d’annuler en 2020 la production d’une série turque mettant en scène un personnage gay, faute d’avoir obtenu l’autorisation des autorités pour le tournage, suivi par les appels au boycott contre l’enseigne de sport française Decathlon, pour son soutien exprimés aux LGBT. Et en avril, le plus haut responsable religieux du pays a choqué en accusant les homosexuels de propager les maladies.
Pour les militants LGBT, ces pressions seraient liées à la visibilité croissante de la communauté, devenue l’une des forces les plus dynamiques d’une société civile laminée par la répression depuis une tentative de putsch en 2016.
« Il est courant de voir les LGBT et les drapeaux arc-en-ciel au premier rang des luttes collectives », souligne la sociologue Eylem Cagdas, spécialiste des minorités sexuelles en Turquie. Mais le gouvernement « cherche à enrayer l’acceptation croissante des LGBT par la société en les dénigrant ».
Après une spectaculaire marche des fiertés qui a réuni en 2014 plus de 100.000 personnes à Istanbul, les autorités turques ont depuis interdit année après année la Pride, officiellement pour des raisons de sécurité.
Le gouvernement « essaie de nous faire disparaître de l’espace public, d’éliminer notre existence sociale », accuse Alaz, de LambdaIstanbul.
Murat, ingénieur en informatique de 30 ans, redoute aujourd’hui que la Turquie se mette à voter des lois anti-LGBT. Il a vu pendant des années des personnes LGBT fuyant les persécutions au Proche-Orient trouver refuge dans son quartier à Istanbul. Il souhaite désormais quitter son pays.
« On avait fait tellement de progrès », dit-il. « On est en train de revenir des décennies en arrière ».