LE PLUS. Agressions homophobes, propos douteux, haine à peine dissimulée… Le débat sur le mariage gay aura suscité une foule de dérapages insultants pour les homosexuels. À qui la faute ? La gauche, pour n’avoir pas anticipé ces difficultés ? Ou la droite, qui se refuse à saisir l’évolution de notre société ?
La droite française n’a pas évolué depuis les débats sur le Pacs. Elle s’est jetée sur la loi Taubira comme un chien enragé sur un os, dans l’espoir de cicatriser la plaie béante de ses échecs et de ses dissensions.
Sans effort, puisque l’UMP approuve tacitement les nombreux dérapages de ses élus. Inutile de les citer, il suffit de saisir les mots « UMP » et « homophobe » sur un moteur de recherche. Ce parti a contribué à banaliser les rapprochements entre homosexualité et pédophilie, viol, zoophilie, décadence, narcissisme, polygamie, individualisme… La liste n’est pas exhaustive.
La droite a 14 ans de retard
Pour seule défense, on réaffirmera son combat contre toute forme de discrimination, alors que n’importe quel citoyen un peu renseigné sait que ce parti n’en est même pas encore au stade du vœu pieux. Plus drôle encore, on prendra la posture désormais classique du résistant à la pensée unique, un des fleurons du fourre-tout idéologique de la droite française, idéale pour maquiller un frileux en héraut des libertés.
En parallèle à cette homophobie décomplexée, la droite a presque systématiquement refusé tout débat avec les associations LGBT, alors que les partis de gauche les entendaient, enfin. L’association Gaylib a fini par couper les ponts avec l’UMP, après 10 ans de vaines tentatives pour aborder le thème des droits LGBT dans une approche libérale.
De l’aveu même du député Franck Riester, son parti a une vision caricaturale de l’homosexualité. Faute d’avoir accompagné l’évolution des droits LGBT ou su profiter des 14 ans écoulés depuis le Pacs pour rattraper son déficit de réflexion, l’UMP est arrivée aux débats sur le mariage pour tous sans avoir daigné affronter ce sujet pourtant aussi digne de respect que d’autres luttes contre les discriminations.
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Quand la grandiloquence le dispute au pathétique
Incapables de la moindre remise en question, les élus de droite préfèrent se dire floués d’un vrai débat. Ils n’ont pourtant jamais cessé de faire peser une chape de plomb sur les questions de droits LGBT. Les échanges auxquels on a assisté ont mis en évidence le fait qu’à ce sujet, gauche et droite ne parlent plus le même langage.
Alors que la gauche a fini par intégrer l’idée que les valeurs de l’universalisme républicain doivent s’appliquer aussi aux homosexuels, la droite continue de les quantifier pour en déduire qu’ils doivent avoir plus ou moins de droits.
Les élus de l’UMP se sont le plus souvent opposés aux partisans de la loi Taubira comme le cancre déteste le premier de classe, dans des discours où le pathétique rivalisait avec la grandiloquence.
Leurs déclarations de respect pour les « personnes homosexuelles » n’inspirent que sourires désabusés ou colère.
L’homophobie, un sujet absent des débats médiatiques et intellectuels
Complices de ce phénomène, les journalistes et les intellectuels français n’ont que rarement accompagné le mouvement d’émancipation des homosexuels dont on ne peut reconstituer l’histoire qu’en consultant la presse spécialisée.
De mémoire, je ne vois que l’affaire Bruno Wiel qui fasse exception à cette censure dans la presse généraliste. On est passé de l’époque où il ne fallait pas s’y intéresser à celle où les actes homophobes ne sont évoqués que pour dire qu’on en a trop parlé.
On retrouve ici encore les habituels rebelles d’opérette : cette censure ne serait pas le résultat d’un malaise, voire d’une forme d’homophobie, mot indésirable sous prétexte de ne pas céder à la pensée unique ou à la victimisation, mais d’un choix éditorial ne plaçant pas ou plus ce sujet parmi ceux qui préoccupent les Français. À d’autres.
Heureusement, internet a permis de démocratiser l’actualité LGBT, et ceux qui désespéraient d’apprendre quoi que ce soit à la télévision ou dans les journaux ont pu se renseigner sur les nombreux sites d’information, en parallèle de ce qu’on trouve sur les sites communautaires. En revanche, les forums de commentaires ont permis de mesurer la mobilisation et le degré de haine homophobe des plus extrémistes. Comment s’étonner aujourd’hui de la violence de certains manifestants ? On y compte des internautes passés, le temps d’un débat, du clavier défouloir au tabassage en règle.
L’homophobie est devenue une opinion
En France, l’homophobie a fini par passer pour une expression de la liberté de conscience. Quelques sites à l’incorrection politique auto-proclamée, une réacosphère impatiente d’en découdre et une droite intrinsèquement homophobe se sont, consciemment ou pas, unis pour diluer dans les esprits quelques idées nauséabondes. Ce qui explique pour une bonne part la déliquescence du débat sur le mariage pour tous.
De plus, l’hostilité de la droite française et la frilosité des « élites » n’ont pas eu grand-chose à craindre d’un militantisme logique dans ses revendications d’égalité mais vidé de cette colère qui avait été déterminante dans la dépénalisation de l’homosexualité, le remboursement des traitements contre le VIH ou le Pacs. Toutes les conditions étaient remplies pour que deux thèmes germent dans les esprits.
1. Le déni d’homophobie
Un combat qui se mène sur plusieurs fronts : la négation des discriminations liées à l’orientation sexuelle, l’homophobie présentée comme un mot nouveau, phénomène de mode (donc inutile) ou dégât collatéral d’une bien-pensance contemporaine fantasmée, la culpabilisation des homosexuels quand ils veulent évoquer l’homophobie, et le soupçon systématique de victimisation. Rien de ce que les homosexuels dénoncent n’est légitime ou digne de respect.
Ce déni aura sous-tendu toutes les interventions des députés UMP. Il témoigne notamment de la hiérarchisation des discriminations. Le seul fait que François Hollande ait envisagé une clause de conscience qu’on aurait jugée indécente pour d’autres catégories de citoyens suffit à illustrer cette différence de traitement et ce profond déficit de compassion ou de sympathie dont bénéficient les victimes d’homophobie.
Les consciences ne s’élèvent que pour condamner les exactions contre les élus ou les journalistes, pas un mot ou presque pour les homosexuels dont les couples et les familles sont jetés en pâture aux fauves. Et il n’a pas fallu attendre trop longtemps pour entendre que ce sont les homosexuels qui heurtent les consciences et la liberté des croyants et non le contraire.
2. La dénonciation d’un lobby gay très actif mais minoritaire
À force de le répéter, ceux qui n’en faisaient qu’un élément de langage finissent par y croire. Pourtant, aucune investigation journalistique n’a jamais enquêté sur ce qui relève toujours du délire complotiste. Ce sont des associations enregistrées au Journal officiel qui ont porté ce projet, mille fois moins opaques que les coquilles vides qui pullulent autour de la Manif pour tous.
La liste des représentants d’intérêt, consultable sur le site de l’Assemblée nationale, ne mentionne aucune association LGBT. On aura vite fait d’expliquer que le lobby gay travaille en sous-main, l’idée d’un groupe obscur complotant en douce a déjà fait ses preuves et on peut compter sur la droite pour lui donner un coup de jeune.
En fin d’examen du texte renvoyé par le Sénat, ce vendredi 19 avril, le député UMP Xavier Breton a hurlé contre la toute-puissance du lobby LGBT, jusqu’à vouloir en venir aux mains. C’est le nouveau complot juif d’une droite et d’une extrême-droite qui n’auront plus comme recours, après la mise en application de la loi, qu’à créer des Hubots pour pouvoir encore discriminer.
Les anti se voient comme les porte-parole du peuple
C’est dans ce contexte qu’on a pu voir des gens ne manquant de rien hurler à l’inégalité ou aux dérives eugénistes, se dire résistants, défenseurs des libertés, victimes de la bien-pensance, bâillonnés par un état policier, voire une dictature. Ils crient leur bobophobie et leur anti-parisianisme. Logique, ils se disent porte-parole du peuple.
Les Barjot’s, en mal de reconnaissance, monopolisent le temps de parole pour dire qu’on ne les entend pas.
Ceux qui devraient hurler de colère et être dans la rue observent, sans voix, les événements. Les homosexuels n’ont jamais appelé à la désobéissance civile. Leurs revendications d’égalité ont été portées par des associations qui ont pignon sur rue, elles sont étudiées par un Parlement légitime, dans le respect des procédures législatives. Ils ont abandonné l’activisme pour céder aux charmes des sirènes de l’universalisme républicain.
Ont-ils eu tort ? En tous cas, aujourd’hui, ce sont les élus UMP, fraîchement réconciliés avec une union civile jetée à la poubelle de l’inconstitutionnalité il y a un an, qui se posent en victimes.
À cause de l’UMP, le combat LGBT repart de zéro
Liberté, égalité, fraternité : la trilogie républicaine relève désormais de la tartufferie plus que de la conviction profonde. La France se targue de principes trop grands pour certains de ses élus, mais de beaux discours ont été entendus. D’autres pays, moins imbus de valeurs prétendument universelles, ont déjà ouvert le mariage aux couples homosexuels et l’apocalypse annoncée par l’UMP s’y fait toujours attendre.
Ce débat aura eu le mérite de remettre le compteur de la mémoire homosexuelle à zéro. Les plus jeunes, consommateurs de libertés sans avoir conscience de ce qu’elles ont coûté, savent désormais à qui ils ont affaire. L’égalité en droits est le fruit du combat de vos aînés, de vos associations et le vôtre.
Rien n’a été offert sur un plateau, tout a été arraché au prix de longs combats. N’oubliez pas les mots de haine, ne pardonnez jamais, la mémoire est le début de l’histoire. Et lorsque vous doutez, réécoutez les dernières interventions des députés UMP à l’Assemblée nationale. Furieux d’avoir perdu, ils se disent méprisés, ignorés, voire humiliés. Des mots qui décrivaient si bien ce que vous ressentiez lorsqu’ils condescendaient à vous tolérer.
Le combat ne fait que commencer, la vigilance s’impose. Les rebelles embarbourés partiront bientôt faire du voilier à Bénodet, mais ils reviendront revigorés… et avec un joli bronzage. L’UMP est un acteur de la haine homophobe, elle saura les nourrir et les armer.
Ne laissez pas la colère changer de camp.
Par Bruno Gazave
Français de la vraie France