Radicalisée dans son opposition au mariage gay, débridée dans ses dérapages verbaux envers le pouvoir, la droite française joue les pyromanes. Analyse d’une surenchère inconséquente.
Le discours est rodé. Depuis le début de la journée, Franck Riester martèle à ceux qui lui demandent de rendre son patrimoine public : « Je ne tomberai pas dans le piège du voyeurisme et de la démagogie. » Les éléments de langage ont été bien assimilés. Il n’y dérogera pas.
Mais ce 2 avril, installé dans ce café fréquenté des parlementaires, le député UMP de Seine-et-Marne, les traits tirés, aborde tout à coup un tout autre sujet : l’opposition au « mariage pour tous ». La parole est libérée, personnelle. « J’ai très peur que la créature que nous avons contribué à mettre sur pied ne nous échappe », lâche-t-il.
Surprise. Le ton dénote avec les formules habituelles consistant à rendre l’exécutif responsable de tout. « La radicalisation à laquelle nous assistons et l’extrémisation de nos sympathisants m’inquiètent, poursuit ce proche de Jean-François Copé. Des élus ont pris part aux manifestations [contre le « mariage pour tous »] et c’est une erreur.»
Depuis les premières protestations, la contestation, d’abord centrée sur le projet de loi Taubira, a peu à peu glissé sur le terrain politique et social. Les « Un papa + une maman : y a pas mieux pour un enfant », scandés le 13 janvier, ont été remplacés, le 24 mars, par des refrains tels que « La priorité, c’est Aulnay, c’est pas le mariage gay », ou encore « On veut des emplois, pas la loi Taubira ».
Jusqu’à s’en prendre directement au chef de l’Etat au cri de « Hollande, démission ! » Le mouvement de masse des premiers jours s’est radicalisé, à l’image des prises de position des politiques de droite, qui ont vu là l’occasion de remobiliser leur électorat, ébranlé par la défaite de mai 2012, puis la pantalonnade de l’élection de novembre qui a mis l’UMP à terre.
Le principal parti d’opposition tente aujourd’hui de se reconstruire, mais sur quelle base ? A entendre Marc-Philippe Daubresse, invité par les jeunes militants de la fédération du Nord, à Lille, le samedi 13 avril, il ne fait aucun doute que la stratégie adoptée ressemble à s’y méprendre à la politique de la terre brûlée. « L’heure est grave ! Il faut foutre les socialistes dehors, dire non à la gauche caviar devenu la gauche Caïmans ! Ça suffit ! »
Eructant et tapant du poing avec une colère non feinte, le député du Nord, qui a oublié qu’en son temps il fut un élu centriste, galvanise son public. Loin d’apaiser les militants et sympathisants présents dans la salle, il allume la mèche. A ses vociférations répondent les applaudissements nourris…
Jean-François Copé, pourtant prompt à condamner devant les micros les violences qui ont émaillé ces dernières semaines – saccage d’un local LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans) à Paris, interruption d’une réunion publique du rapporteur du texte sur le « mariage pour tous », Erwann Binet, harcèlement des ministres, perturbation au départ et à l’arrivée du TGV dans lequel se trouvait la journaliste promariage gay Caroline Fourest intervenant à Nantes, ou encore attroupement vociférant en bas de l’immeuble de la députée UDI Chantal Jouanno ou de l’écologiste François de Rugy – Copé, donc, accompagne les propos de Daubresse d’un hochement de tête approbateur, avant de prendre la parole : «La gauche ne mérite que d’être montrée du doigt !» Et de conclure par une image éclairante quant à la posture campée par le chef contesté de l’UMP : « Il faut mettre le pied dans la porte avant de la prendre sur le nez »…
«Copé a raison. Nous devons être les plus sévères possible, souligne Camille Beudin, jeune représentante de La Droite forte. On doit être en rupture avec le système, cogner comme des sourds sur le pouvoir, car les gens n’en peuvent plus. Nous nous devons de les rassurer [sic].» Se placer hors du système quand on est un parti d’opposition qui aspire à revenir aux responsabilités, voilà un bien étrange principe, vanté par Copé en personne lors d’un bureau politique de l’UMP.
L’origine de cette idée fumeuse se trouve du côté de l’Oise. Le 24 mars s’est déroulé le second tour de l’élection législative partielle organisée dans la 2e circonscription du département. Après l’élimination de la socialiste Sylvie Houssin au premier tour, le candidat de l’UMP, le copéiste Jean-François Mancel, s’est retrouvé face à la candidate – inconnue – du FN, Florence Italiani. Résultat : Mancel a été élu avec 51,41 % des voix, contre 48,59 % pour sa rivale.
Une victoire sur le tranchant de la guillotine électorale qui a beaucoup agité l’état-major UMPiste et son président par autoproclamation. Ce qui pour Marine Le Pen est apparu comme une divine surprise, [« un signe supplémentaire de ce que le Front national devient aux yeux des Français, de plus en plus lucides […] face à une UMPS qui éprouve les pires difficultés à sauver ses prébendes »,]url:http://www.frontnational.com/2013/03/reaction-de-marine-le-pen-au-deuxieme-tour-de-lelection-legislative-partielle-de-loise/ a eu pour effet, à l’UMP, de valider la thèse consistant à se placer à hauteur d’électeurs et… de macadam.
Coïncidence de calendrier : le même jour du second tour de la partielle, La Manif pour tous officialisait un tournant historique et hystérique dans l’histoire politique récente de la droite française, car il s’est passé quelque chose d’inimaginable il y a encore six mois : droite et extrême droite se sont retrouvées dans le même cortège, elles ont manifesté ensemble, au même pas et parfois avec les mêmes slogans. La digue psychique avait, certes, cédé, on l’a vu, depuis longtemps. Mais, jusqu’à cette date, les responsables de l’UMP avaient mis un soin tout particulier à continuer d’entretenir une distance physique avec les ultras de la droite. Cette attitude est dépassée.
Depuis les législatives de juin 2012, les deux députés FN ont cosigné avec ceux de l’UMP une proposition de loi et déposé plusieurs amendements. Le 20 mars dernier, le FN a voté la motion de censure de l’UMP contre le gouvernement Ayrault. La veille, des parlementaires de droite avaient applaudi Marion Maréchal-Le Pen qui posait sa première question orale, avant d’aller saluer la « charmante » enfant.
« C’est un simple lacet qui sépare aujourd’hui la droite de l’extrême droite, s’est étranglé Bruno Le Maire, député UMP de l’Eure et ancien ministre de l’Agriculture. Tout cela dans l’indifférence générale. » On ne sait pas si l’« UMPS » existe aujourd’hui, mais, à l’Assemblée, l’« UMPFN » est une réalité, comme sur le terrain.
Un sondage Ifop-Fiducial / Europe 1, réalisé la semaine dernière, tend à le confirmer : 53 % des sympathisants UMP seraient favorables à des rapprochements UMP-FN aux élections locales. Ils étaient 44 % en 2012.
Procès en illégitimité
Plus sérieusement, cette « UMPFN » a été aussi rendue possible par la multiplication des structures qui accueillent les militants des deux rives. Il y a le printemps du syndicat étudiant UNI, qui retrouve une nouvelle jeunesse grâce aux jeunes de l’UMP, et il y a le Printemps français, cette nébuleuse identitaire et UMPiste qui donne dans l’activisme et dans l’intimidation.
Elle est officiellement née le 24 mars avec le divorce tardif des deux mamans de La Manif pour tous, Béatrice Bourges et Frigide Barjot. C’est que la première revendique une large politisation de La Manif. Le « Printemps de Bourges » accueille tous les groupes (des identitaires à l’UMP en passant par l’UNI) et ne s’embarrasse pas de détour pour maintenir la pression… pour une mise en bière de la République ?
« Il faut maintenir la pression », a justement répété Jean-François Copé au bureau politique de l’UMP du 17 avril. « On ne doit pas rester l’arme au pied », insiste aussi le très agité député de la Drôme Hervé Mariton, qui n’a pas hésité à crier au « coup d’Etat législatif » à la suite de l’annonce de l’accélération du calendrier pour l’examen en deuxième lecture du projet de loi Taubira.
Copé, lui, a parlé de « coup de force ». Si le « mariage pour tous » cristallise la colère d’une partie de la droite parlementaire, il faut également rappeler que celle-là s’est dressée comme un seul homme lorsqu’elle apprit la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » dans l’affaire Bettencourt. Aux orties, le respect de l’institution judiciaire ! Place à l’attaque au lance-flammes.
« Quand toute la famille se prend une baffe, tout le monde réagit », nous expliquait le député de la Marne et proche d’Alain Juppé Benoist Apparu. « Bien sûr, il aurait fallu faire gaffe, tempère-t-il. On ne peut pas nous-mêmes tirer à boulets rouges sur les institutions qu’on est censé défendre. » A la question de savoir si la droite parlementaire était en train de se radicaliser, le même nous répondait, excédé : « La droitisation est un fantasme ! Ça fait trente ans qu’on nous bassine avec ça, mais souvenez-vous du RPR, sur les questions de sécurité ou d’immigration, c’était quand même autrement plus dur qu’aujourd’hui. » Oui, mais il y avait aussi l’UDF et des voix républicaines. Actuellement, on les cherche ; on en trouve peu.
Sur un point, Apparu a raison : cette radicalisation de la droite s’explique-t-elle par sa nature ou par les circonstances ? Ils sont nombreux à gauche qui estiment, comme le croyait ou feignait de le croire François Mitterrand, que la droite est dans son essence factieuse, forcément factieuse. Il est vrai que ce dernier parlait en expert puisqu’il avait lui-même connu de l’intérieur une de ces ligues d’avant-guerre.
Longtemps la gauche a donc fait à la droite ce procès en républicanisme, pour finir par voter (presque) comme un seul homme pour Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle de 1995. L’histoire politique récente et ancienne montre pourtant que la droite liguarde n’est qu’une des expressions de la droite (boulangisme, Croix-de-Feu et Fédération nationale catholique, RPF de la fin, OAS, RPR des débuts…). La question est : pourquoi, aujourd’hui, prend-elle le pas sur toutes les autres droites et pourquoi est-elle la seule à se faire entendre ?
Commençons, pour comprendre, par bien voir ce qu’est devenue l’UMP : un parti de supporteurs, une sorte d’Ordre du temple sarkozyste. Les centristes, les libéraux, les modérés, ont été avalés, engloutis, puis digérés par un fonctionnement d’appareil bonapartiste et autocratique.
Durant sept ans (2005-2012), ce parti a été géré non pas comme une formation politique classique, avec ses conventions, ses congrès, ses notables, ses contre-pouvoirs…, mais comme le relais exclusif et direct de la parole sarkozyste. L’impossibilité pour les « dissidents » de se faire entendre sans passer pour des « félons », c’est d’abord l’impossibilité de s’exprimer au sein d’une des instances de ce parti.
Les repères sont brouillés
Durant sept ans, l’UMP a été aussi nourrie à la bouillie sarkozyste. Un brouet, mélange de coups de sang, de stigmatisation du camp adverse et de bienveillance envers la manière dont le Front national traitait certains thèmes (immigration, sécurité, identité nationale…). La digue qui s’était entrouverte pour l’élection présidentielle de 2007 n’a jamais été refermée. Pis : les derniers remblais ont été balayés avec la campagne de 2012.
L’enquête d’Ipsos réalisée pour le Monde et publiée en janvier dernier montre bien que sept ans de cohabitation entre la droite et l’extrême droite ont brouillé les repères, pas seulement pour se convaincre que l’islam en France « cherche à imposer son mode de fonctionnement » (99 % des électeurs FN, 89 % de ceux de l’UMP), mais aussi pour juger que le pays a « besoin d’un vrai chef qui remette de l’ordre » (98 % à l’UMP et 97 % au FN).
Le plus curieux dans cette affaire est que tous les éditorialistes s’attendaient à un reflux après la présidentielle de 2012 – la défaite libérant enfin la droite du pesant magister de Sarkozy. Ils n’étaient pas les seuls : de nombreux responsables de l’UMP assuraient en privé à l’automne 2011 : « Attendez un peu… Vous allez voir… Une fois Patrick Buisson parti, ses amis vont s’effacer, la droite va arrêter de déborder et revenir dans son lit. » Au lieu de quoi, ce sont eux qui se sont couchés et se sont retrouvés avec, comme premier courant du parti, La Droite forte conduite par le buissonnien Guillaume Peltier, ex-FN, ex-MNR, ex-MPF.
Trois raisons à cette déroute. La première connue et déjà développée par Marianne tient dans le refus d’exercer le droit d’inventaire. La deuxième, moins relevée, est le poids que fait peser sur l’UMP le possible nouveau vote, en septembre prochain, pour la présidence du parti. Il y a, de fait, pour séduire ou pour ne pas désespérer les militants, une course à l’échalote aux propos les plus réacs, tant de la part des copéistes que de celle des fillonistes. Une haute idée des adhérents que l’on peut résumer en ces termes : « Plus c’est con, plus c’est bon » (pour ravir la présidence).
La palme de ce petit jeu revient sans nul doute à Laurent Wauquiez qui finirait par faire passer Jean-François Copé pour un mou du genou. Envolé, le jeune et brillant normalien : il est devenu en quelques mois le pendant masculin de Nadine Morano. Dernier dérapage en date (à l’heure où nous bouclons) : après un magistral « Nous sommes tous des marathoniens de Boston » (si, il a osé), le shérif de ces drames a expliqué, sur France Info, qu’en raison de la tragédie américaine il fallait reporter l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi sur le « mariage pour tous »…
La troisième raison de ces excès, de cette pyromanie galopante alors que la plaine sociale est sèche, est à rechercher du côté de la politique économique… du gouvernement. Même s’ils s’en défendent, les responsables politiques de droite ont bien du mal à se démarquer d’un social-libéralisme qui passe sous le joug des oukases européens. Sarkozy l’a rêvé ? Hollande l’a fait… en raison de l’état dans lequel il a trouvé les finances publiques qui l’a poussé à renforcer la politique que l’on a vu apparaître timidement dès… 2011.
Comment attaquer l’austérité sans se prendre les pieds dans le tapis ? Comment dénoncer la flexibilité dans le travail ? Comment condamner la reprise de la réforme (bâclée) de la Sécurité sociale ? La droite espagnole avait connu le même dilemme face à Zapatero. Elle y a répondu en quittant sur la pointe des pieds le domaine économique et en déboulant sur le terrain du sociétal, prenant la gauche par surprise. La droite française est, aujourd’hui, plus proche de ce « modèle » que des conservateurs britanniques. A cela, elle ajoute l’adoption sans barguigner des thématiques identitaires. Vous mêlez le tout, vous agitez et vous obtenez un cocktail explosif.
Qui dit réaction dit réactif. La réactivité, aujourd’hui, se mesure à l’aune des réseaux sociaux. N’avons-nous pas assez ri, avant-hier, de la pétroleuse américaine Sarah Palin : comment une nation adulte pouvait-elle porter sur le pavois médiatique une femme aussi caricaturalement de droite et au comportement aussi excentrique (il est vrai que nous avons aussi beaucoup ri de Berlusconi pour élire, plus tard, Sarkozy) ? Et nous avons eu Frigide Barjot. Le rôle premier des réseaux sociaux est ici essentiel.
Autrefois, la révolution conservatrice de Ronald Reagan a mis du temps avant d’apparaître en France. Maintenant, tout est instantané. Les slogans du site américain d’ultradroite National Organization For Marriage (NOM) sont immédiatement repris par des militants de La Manif pour tous ou du Printemps français.
Et sur les réseaux (Facebook, Twitter…), ce sont les radicaux qui font entendre leurs voix à coups de cymbales conceptuelles et de grosses caisses idéologiques. Vous n’avez guère apprécié le Tea Party ? Vous allez détester le Tweet Party et ses appels à la violence, à la délation, et parfois même au meurtre. Comme ce dernier tweet envoyé par un excité dont le compte a fini par être suspendu : «Si je pouvais tuer une personne (sans être sanctionné), ce serait Caroline Fourest, cette femme est méprisable.» Cet imbécile avait quand même 500 followers pour suivre ses élucubrations démentes.
Les réseaux sociaux n’expliquent pas tout. On le voit bien dans le débat sur le « mariage pour tous ». Pour des raisons d’économie médiatique, on choisit dans les débats non pas l’opposante la plus sensée, mais la plus hystérique, celle qui fera le buzz. Il y a peu de chances que les Français connaissent un jour la philosophe Sylviane Agacinski, femme de Lionel Jospin et opposante à la loi Taubira.
Autrefois, pour se faire entendre, un homme de droite devait jouer au rénovateur ou tirer contre son camp. Aujourd’hui, s’il veut table ouverte dans les médias, il lui faut être plus réac que les réacs et jouer les zélés. Et c’est ainsi que le pauvre Henri Guaino a adopté le code Barrès. Et c’est (aussi) pourquoi la droite est devenue folle.
Mathias Destal et Joseph Macé-Scaron – Marianne