Michael Douglas incarne dans le film de Steven Soderbergh un chanteur sucré, gay comme un pinson et sapé comme un arbre de Noël.
Il aimait les candélabres, les miroirs, les bagues, les fêtes extra-vagantes, les chaussures à sequins, les plats polonais, les garçons et sa maman. Il collectionnait les pianos miniatures en porcelaine, dormait dans des draps en touches de piano, avait une piscine en forme de piano à queue, et les sièges de sa limousine reproduisaient un clavier de Steinway. Vêtu comme un arbre de Noël, avec une cape en argent et un gilet d’hermine, maquillé comme un chasse-neige volé, avec perruque, rouge à lèvres et Rimmel, flanqué de son boy de compagnie, Liberace ne passait pas inaperçu. En 1986, lors de son dernier passage au Radio City Music Hall de New York, il était entouré de dizaines de chandeliers en argent et jouait sous un voile de tulle – « pour adoucir la réalité ». Liberace fut, dans les années 19601980, l’idole des ménagères, le king de la musique molle, l’inventeur des concerts classiques « moins les passages ennuyeux », la star la mieux payée du showbiz américain, une sorte de Saint-Preux version cage aux folles.
Dans « Ma vie avec Liberace », le nouveau film de Steven Soderbergh, son rôle est tenu par Michael Douglas, avec flamboyance. A vrai dire, pas moyen de faire autrement : à côté de Liberace, Elton John est un ermite et la Grande Zaza une nonne. « Ce qui m’a plu, dans ce projet, c’est son côté déjanté, presque tragique, dit Steven Soderbergh. J’ajoute : c’est ma première comédie. » En effet : réalisateur découvert à Cannes en 1989 avec « Sexe, mensonges et vidéo », Soderbergh a toujours navigué entre l’absurde dramatique (« Schizopolis », « Solaris ») et le polar grand public (« Traffic », « Ocean’s Eleven »). Crâne rasé, visage sévère, diction lente, ce cinéaste de 50 ans aime changer de rôle : tantôt directeur photo, tantôt producteur, il s’ennuie vite, accumule les projets bizarres (dont un remake de « Cléopâtre »), hésite entre l’art, l’essai et le succès. Avec le personnage de Liberace, il a trouvé son exact reflet opposé : le pianiste était tout ce que Soderbergh n’est pas. « Je me suis inspiré du livre de Scott Thorson, intitulé « Derrière le candélabre ». C’est comme si on découvrait une terre inconnue… »
Derrière le candélabre, l’homosexualité. Toute sa vie, Liberace, enfant prodige, chéri de sa maman polonaise, showman génial, a nié sa sexualité. Les journalistes qui suggéraient qu’il « en était » prenaient un procès en diffamation, immédiatement. A la moindre occasion, l’artiste rappelait que le deuxième lit, chez lui, servait à coucher… ses chihuahuas. Atteint du sida, à la fin de sa vie, il mimait une « mauvaise grippe ». Gay, Liberace ? « Il a vécu toute sa vie dans le déni. Et, en même temps, dans le faux-semblant. Sa relation avec Scott Thorson était très étrange… »
Flash-back : en 1977, Liberace tombe amoureux d’un jeune homme de 17 ans, Scott Thorson. Il en a 58. Il engage le garçon séance tenante pour être son valet, son secrétaire, son chauffeur, son confident, sa dame de compagnie, son gigolo. Puis, peu à peu, transforme celui-ci. Il le livre aux chirurgiens esthétiques, et le modèle à son image. L’amant devient le double du pianiste – en plus jeune. Quand Liberace fait l’amour avec Scott, il fait l’amour avec lui-même. Ils se séparent en 1982 : procès, jérémiades, pension alimentaire. Signe décisif du divorce : Scott Thorson se fait retirer son menton implanté. Il ne ressemble plus à Liberace. Celui-ci meurt en 1987, officiellement d’« emphysème ».
« En dehors de l’extravagance affichée, il y a un univers très amusant : Liberace s’entourait de photos et de portraits de lui-même, et bavardait avec son miroir. A Noël, il s’habillait en chemise noire à jabot, avec une tunique en soie motif panthère… Mais là-dessous, il y avait un homme terrifié par l’idée de vieillir. Son histoire avec son amant, c’est « le Portrait de Dorian Gray » transposé dans la réalité… » Pour Soderbergh, est-ce la fin de partie ? Après « Magic Mike » et « Effets secondaires », le réalisateur a juré qu’il passerait à autre chose. « Un cycle se termine. Je suis fatigué d’utiliser toujours le même langage. Je vais me consacrer à la découverte d’un nouveau style de cinéma. » Soderbergh se souvient de son émerveillement quand il a vu « Hiroshima mon amour ». C’est ce choc qu’il veut retrouver, cette magie. Il y mettra le temps qu’il faudra, juré. Sauf qu’il réitère cette promesse depuis trois films…
Une précision : la musique de Liberace, qu’il faut subir dans le film, est à l’art ce qu’un Paris-Brest fondu est à la gastronomie. Vous êtes prévenus.
[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/xzvhb1_ma-vie-avec-liberace-bande-annonce-officielle_shortfilms#.UZ3V-eu3a2x[/dailymotion]
Par François Forestier