Le mariage n’a pas de dimension sacrée pour les protestants, mais les pasteurs peuvent-ils pour autant bénir les unions homosexuelles? En Alsace, haut lieu du protestantisme français, le débat est lancé et certains exhortent les Églises à franchir le pas.
La scène a lieu un dimanche de juin dans une paroisse luthérienne du centre-ville de Strasbourg. « Il y a nous, d’un côté, les hétéros, ou les normés, ou les discrets. Et celles et ceux de l’autre bord », lance la prédicatrice.
Texte biblique et vidéo de témoignage à l’appui, Joan Charras Sancho, doctorante en théologie, appelle les paroissiens de Saint-Guillaume présents ce matin-là lors du culte à s’ouvrir à la différence.
Parmi les protestants, « je crois qu’une majorité de personnes estiment qu’un couple de même sexe ne pose plus question », dit-elle. « Mais de là à rendre cela visible en bénissant des unions, je pense qu’il va falloir un vrai temps de dialogue et un large débat ».
Un débat que les institutions protestantes « historiques » n’éludent pas: en Alsace et en Lorraine, où sont concentrés près d’un tiers des effectifs de la Fédération protestante de France, un groupe de travail planche depuis novembre sur la question au sein de l’Union régionale des Églises luthérienne et réformée (UEPAL).
Composé de sept pasteurs, il doit « fournir un matériel de réflexion et faire écho à ce qui peut remonter des paroisses et des pasteurs », explique Marc Fritsch, inspecteur ecclésiastique de la région de Colmar, chargé par l’UEPAL d’animer le groupe.
Dans la tradition protestante, le mariage n’est pas un sacrement: les pasteurs ne célèbrent pas formellement de mariages, considérés comme l’affaire des autorités civiles, mais se contentent de célébrer des bénédictions pour des couples mariés civilement.
« Un geste d’accueil inconditionnel de Dieu »
Doivent-ils donc accepter les demandes de bénédictions nuptiales qui ne manqueront pas d’être sollicitées par des mariés homosexuels? « Des pasteurs sont clairement pour, d’autres clairement contre, mais il y a aussi un nombre important de collègues qui demandent des bases de réflexion », relève Marc Fritsch.
« Les pasteurs estiment n’être pas aujourd’hui en mesure de faire un choix clair », souligne le pasteur, qui doit rendre sa copie d’ici la fin du premier trimestre 2014.
Quelle que soit la position officielle qui sera adoptée dans la foulée, « les personnes homosexuelles sont accueillies dans la vie ecclésiale sans distinction », souligne-t-il, ajoutant que « dans la grande diversité du protestantisme, tout le monde n’a pas ce discours ».
Certains pasteurs poussent les Eglises à ne pas faire preuve de frilosité. Également membre du groupe de réflexion, la pasteure Ruth Wolff-Bonsirven (photo) avait ouvertement soutenu le mariage pour tous, que le président de la Fédération protestante de France, Claude Baty, avait pour sa part qualifié de « fausse bonne idée ».
Cette femme à la tête d’une inspection ecclésiale de plus de 20 paroisses dans le Bas-Rhin se dit favorable « à titre personnel » à une bénédiction des unions homosexuelles: « Une bénédiction est un geste d’accueil inconditionnel de Dieu, il ne nous appartient pas de l’accorder ou de la refuser, en jugeant ceux qui la mériteraient ».
« Il y a une grande ouverture des paroissiens et des pasteurs » à ce sujet, juge le pasteur de la paroisse Saint-Guillaume à Strasbourg, Christophe Kocher. Mais il reconnaît que « d’un point de vue institutionnel, c’est plus compliqué, par crainte de créer des scissions avec certains mouvements du protestantisme ».
Selon lui, si les Églises protestantes ne tranchent pas, au bout du compte, en faveur de la bénédiction de couples de même sexe, « ce serait une situation douloureuse et pénible ».
« On a beaucoup entendu parler d’objection de conscience pour les maires qui ne veulent pas marier des couples du même sexe, mais est-ce qu’il ne faudrait pas poser la question dans l’autre sens, pour des pasteurs qui souhaiteraient bénir des couples de même sexe » sans l’aval de leur Église, s’interroge-t-il.
Pour Ruth Wolff-Bonsirven « il y aura des cas de conscience pour les uns et pour les autres ».