Patrouilles orthodoxes, brigades anti-drogue ou anti-pédophile, attaquant cliniques d’avortement ou musées d’art érotique: les groupes d’activistes et les quasi-milices se multiplient en Russie pour défendre l’ordre et la morale, souvent avec l’assentiment du pouvoir.
Un groupe de jeunes en cagoules se rue sur la voiture d’un dealer présumé de drogue, d’autres s’attaquent à un kiosque censé distribuer des stupéfiants…
Cette action spectaculaire, filmée par ses participants, a fait la Une des journaux télévisés russes il y a quelques mois.
« Jeune spetsnaz (force spéciale) antidrogue » affiliée au mouvement pro-Kremlin « Jeune Russie » cible les petits trafiquants de drogue et s’attaque à leurs biens sans l’aide de la police.
Le groupe compte sur le réseau social VKontakte plus de 60 000 membres à Moscou, en Oural ou sur la Volga.
Moins violente dans son action, une autre formation pro-pouvoir, Nachi (Les Nôtres), dont le plan a été approuvé par le ministère de l’Intérieur, a lancé un temps des groupes de jeunes gens dans les rues pour harceler les automobilistes sans gêne qui se garent sur les trottoirs ou les passages piétons.
Les uns et les autres en viennent parfois aux mains.
Ces groupes qui ambitionnent d’aider la police à mettre de l’ordre dans le pays poussent comme des champignons en Russie.
« Une centaine de nouvelles patrouilles orthodoxes opèrent en Russie pour protéger les reliques sacrées », raconte Ivan Ostrakovski, leader du mouvement « Sainte Russie ». C’est l’affaire Pussy Riot « qui nous a mobilisés pour combattre le mal menaçant la Russie », explique-t-il.
Deux jeunes femmes du groupe contestataire purgent deux ans de prison pour une « prière punk » anti-Poutine dans la cathédrale de Moscou, qui a fait grand bruit en Russie.
« Sainte Russie », dont l’idée de patrouilles a été publiquement soutenue par l’Église orthodoxe russe, organise par ailleurs chaque semaine prières publiques, marches ou manifestations appelant à lutter contre la pédophilie, l’homosexualité, les avortements.
Les membres du mouvement « Volonté de Dieu » s’attaquent pour leur part à ceux qui portent des T-shirts avec les slogans « blasphématoires » de Pussy Riot, portent plainte pour meurtre contre des cliniques d’avortement, font irruption dans un musée d’art érotique à Moscou pour « sauver la morale »…
D’autres organisations, baptisées « Contrôle parental » ou « Concile populaire », s’attachent à démasquer les pédophiles.
Elles ont ainsi organisé et médiatisé une opération spectaculaire contre un pédophile qui avait approché un adolescent de 13 ans sur internet.
Attiré à un rendez-vous, l’homme a subi un « interrogatoire » de trois heures, et a été remis à la police après avoir avoué, selon les médias.
Aussi différentes que soient leurs cibles – des homosexuels aux immigrés clandestins – ces mouvements agissent généralement avec le consentement tacite de la police et de l’administration locale, souligne le politologue Mark Ournov.
Ces militants s’attaquent à certains problèmes réels, comme la drogue et l’alcoolisme, et « le pouvoir les soutient en espérant qu’il l’aideront à résoudre ses tâches, y compris celle de la lutte contre l’opposition libérale », estime-t-il.
« Mais ces nouveaux défenseurs de la morale, trop souvent agressifs et intolérants, sont eux-mêmes dangereux: en fonction de la situation politique ils peuvent devenir incontrôlables », estime l’analyste.
Nombre de ces « néo-conservateurs » russes sont issus en effet de mouvements nationalistes, souligne Alexandre Verkhovski du Centre analytique Sova, spécialisé dans le recensement des actes xénophobes.
Ces groupes se servent souvent de nouveaux slogans de lutte contre la pédophilie ou le blasphème pour « légaliser leurs vieilles idées ultranationalistes », dit-il.
« Ce n’est pas la société civile qui s’éveille en Russie, mais ‘la société incivile’, avec ses valeurs radicales et douteuses », estime l’expert, qui juge le jeu du pouvoir « dangereux ».
(Source AFP)