Le poste d’archevêque est un poste politique bien que revêtu d’une mission évangélique d’envergure. Cela suppose que le préposé est investi de deux lourdes charges :
La première lui impose une posture d’homme de Dieu, dans le strict respect des valeurs que véhicule le christianisme fondamental.
La deuxième, qui peut sembler contradictoire à la première est tout d’abord l’émanation de la volonté d’un homme ou « homme-inspiré », de choisir parmi une kyrielle de serviteurs celui qui aurait le profil nécessaire pour établir le pont entre le management de l’archidiocèse et la mission pastorale.
L’Eglise catholique qui est vieille d’au moins 2013 ans, a des ressources humaines et la gouvernance nécessaire au Cameroun et ailleurs, pour épargner ses fidèles des comportements déviants et donc contradictoires aux dogmes qui la fondent.
De mémoire de citoyens, rarement on a vu un homme, à fortiori un homme d’église se décharger de ses fonctions à la fleur de l’âge, surtout quand elles sont à «budget ». La presse l’a suffisamment relayé, il serait très difficile pour le prélat de convaincre même en évoquant la pression des lobbies homosexuels que sa sortie prématurée et cavalière est consubstantielle à sa volonté délibérée de sauver ses ouailles des affres de la perversité. Bakot qui a fait de hautes études dans divers domaines des sciences humaines et sociales, et, cerise sur le gâteau, journaliste de formation, sait mieux que quiconque comment mobiliser et captiver l’attention de ses concitoyens. Il connait également les sujets qui fâchent et susceptibles d’endormir les fonctions réflexives des fidèles de l’Eglise et au-delà.
De ce point de vue, la question essentielle reste celle de se demander si le choix du prélat de faire de l’homosexualité la pierre angulaire de ses homélies relevait essentiellement de sa volonté d’endiguer le phénomène, n’est-il pas tombé dans le piège du pouvoir ? Celui-ci conscient de la fronde des bailleurs de fonds, face à un phénomène où les camerounais de toutes les sensibilités s’accordent comme on le voit rarement, avait besoin d’un fusible calibré du coté de l’Eglise ? Cet ecclésiastique ne s’est-il pas royalement trompé en pensant que le fait de se présenter comme la tête de proue de ce combat l’aurait blanchi de ses dérives managériales auprès du régime de Yaoundé, qui, au dire de la presse l’aurait laissé tomber sans coup férir ? Quel avenir pour l’homosexualité au Cameroun ?
Mourir pour les fondements de l’Eglise impose qu’on fut soi-même vertueux
L’approche la plus simpliste pour comprendre cette autre affaire, exige de chacun de nous une incursion (ou une introspection selon son choix) brutale dans le management général de la chose publique au Cameroun. Malgré le fait que nos hommes d’églises soient eux-mêmes issus de familles où baignent tous les maux qu’ils doivent combattre, ils n’en demeurent pas moins assujettis à la mendicité ambiante savamment installée par l’élite, pour tout contrôler et perpétuer les strapontins.
Alice Nkom qui assume son combat pour la défense de la minorité homosexuelle au Cameroun affirme au cours d’une interview à RFI le 28 mars 2013, que Mgr Bakot qui a fait de la lutte contre l’homosexualité sa raison de survie pastorale est en cheville avec le gouvernement, qui, incapable de nourrir les camerounais et d’assurer de façon viable leur quotidien se réfugie derrière un phénomène autrefois toléré, qu’elle dit être un exutoire pour le peuple. La sortie maladroite du ministre de la communication au lendemain de l’assassinat d’Eric Lembembe confirme cette thèse d’une administration qui tangue entre interdiction et tolérance.
Alice Nkom aime à le rappeler à profusion dans tous les médias internationaux, le désormais archevêque émérite de Yaoundé est le précurseur de l’homophobie au Cameroun, où dit-elle les homosexuels y vivaient en toute quiétude jusqu’à ce qu’un matin du 25 décembre 2005, dans son homélie du jour, le prélat présente les gays de l’establishment gouvernemental comme les responsables du chômage des jeunes au Cameroun.
Au-delà des aspects socioculturels locales qui n’intègrent pas la pratique homosexuelle, le phénomène en lui-même a été dévié et récupéré par certain apparatchik à des fins magiques comme seul gage de promotion sociale en milieux jeunes. Il s’est donc installé une confusion entre certains cultes, (ordres philosophiques, cercles exotériques) et l’homosexualité comme orientation sexuelle, telle que vécue et pratiquée en Occident. Jusqu’ici le Prélat est dans son bon droit en tant que pasteur respectueux des valeurs morales qui fondent le christianisme, non pas que l’homosexuel est plus pécheur que les autres, mais parce que dans le cas d’espèce il s’agit généralement d’une transgression voulue, assumée et presque souvent irréversible, qui ne s’accommode plus avec la repentance.
Cependant, on peut noter que Dame NKom, ne s’attaque pas personnellement au Cardinal qui a défié l’Etat à Douala en organisant une marche sans autorisation contre le protocole de Maputo qu’on soupçonnait dans son article 14 de consacrer l’homosexualité en Afrique et de menacer gravement l’avenir de la famille. Sa verve était d’autant plus prononcée que les députés s’apprêtaient à ratifier en session de juin 2009. Le Cardinal a ainsi mobilisé et fait marcher près de 6000 personnes. Bien d’autres hommes d’églises chez les catholiques se sont aussi mobilisés contre le phénomène, sans faire les frais des lobbies de façon aussi cuisante.
Dans les églises protestantes et celles dites de réveil, l’homosexualité est encore pratiquement à l’ « état de la maladie », Ces pasteurs sont connus et occupent des positions stratégiques au sommet de leurs églises respectives et même de l’Etat. Il est donc clair dans l’esprit de cette dame que l’archevêque de Yaoundé est un instrument aux mains de certaines pontes du régime.
Le pouvoir de Yaoundé qui n’a pas hésité à saisir la balle au bond, est conscient du rejet manifeste du phénomène profite des sentiments que ce phénomène suscite dans la communauté nationale, pour entretenir la polémique en jouant sur les mots. « Cette chose là… » et pourtant en amont comme le rappelait dans la même interview Alice Kom, le 10 février 2006, le Chef de l’Etat s’est inquiété de l’immixtion des journalistes dans la vie privée de certains de ses collaborateurs dont les noms figuraient sur des listes de ce qu’on appelait avec un zeste d’humour teinté de frayeur le « TOP 50… ».
Le fait que certaines personnalités aient choisi de ne pas se constituer partie civile, peut laisser croire qu’elles la pratiquent. De ce point de vue, il devient difficile d’interdire ce qu’on aime à faire soi-même si ce n’est pour des fins essentiellement dilatoires. Non pas pour asseoir une culture africaine et camerounaise forte, socle du développement, mais pour stabiliser le régime tout simplement. La lutte contre l’homosexualité apparait ainsi comme une monnaie d’échange, une faute de mieux pour un régime incapable de satisfaire les désidératas de son peuple. Face à la pression de l’union européenne et des autres partenaires au développement qui en ont fait un outil de chantage à l’aide, l’Eglise fait figure pour le gouvernement comme un des remparts contre « la chose ».
Les accointances entre Bakot et les autorités de Yaoundé sont évidentes, il suffit de rentrer dans un passé récent pour le comprendre. Alors que son prédécesseur Wouking fut interdit de séjour à Yaoundé pour avoir commis ce que nous appelons le « péché des origines », l’ancien occupant de l’évêché d’Edéa sera reçu en grande pompe avec toute la bénédiction des élites locales. Non pas qu’il était un modèle pour eux, (il faut d’ailleurs à cet effet interroger les chrétiens d’EDEA pour en savoir plus), mais parce qu’il était le « moindre mal ethnique», pouvant pour certains, dire la messe dans une langue que les locaux comprendraient, un peu comme si, le Dieu qu’on prie tous, venait après les ethnies et leurs cultures.
Lors de l’élection présidentielle de 2004, l’Eglise catholique ne s’accorde pas sur le déroulement de la consultation. La pomme de discorde seront les conclusions à rendues publiques, du Service National Justice et Paix n sa qualité d’observateur des élections le Christian Cardinal Tumi, aidé en cela par le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale, Mgr Patrick Lafon et le coordonnateur des 1200 observateurs catholiques accrédités à cette élection, Pierre Titi Nwell. « Selon le rapport que j’ai reçu des observateurs catholiques, il faut qualifier ces élections, ce scrutin, comme une mascarade électorale », ne sont pas en odeur de sainteté avec les résultats (Kingue, 2012).
Pendant que le Cardinal qu’on dit proche de l’opposition de par ses différentes sorties médiatiques et qui est lui aussi farouchement opposé à la démocratisation de l’homosexualité, tient une position mitigée et tance l’organisation générale du scrutin, son collègue de Yaoundé Président en exercice de la Conférence épiscopale sonne un son de cloche différent et même dissonant. Il ne fait donc plus l’ombre d’aucun doute pour les observateurs de la météo sociopolitique au Cameroun de sa collusion avec le régime de Yaoundé.
Le problème identitaire qu’il pose dans une institution privée par définition élitiste à la scolarité exorbitante, sonne comme un relai de certaines filières. Car il est difficile de comprendre comment un homme de Dieu soucieux de la protection des minorités ne pourrait s’interroger sur la gestion patrimonialiste des grandes écoles du Cameroun, où les gens y entre avec femmes et enfants sans qu’on ne puisse y avoir une traçabilité efficiente de leurs mouvements. Au non de quoi peut-il combattre l’homosexualité sachant qu’il subira la pression des lobbies et se refuser de s’intéresser aux autres déviances sociales ? C’est justement ici qu’on pourrait douter de la sincérité de son combat, lui qui a poussé dans un exil forcé le père Ludovic Lado, qui visiblement dérangeait les politiques par sa volonté de mobiliser les camerounais en vue du rejet du code électoral, que tout les experts s’accordent aujourd’hui à dire qu’il était mauvais.
Le lâchage
Chaque régime qui travaille à se perpétuer s’appuie sur des hommes et des institutions qui ne sont pas de purs produits de leur arène politique. Ils sont choisis suivant un casting dont seuls les complexes jurys de Microsoft connaissent le secret. Comme un tuteur autour d’une jeune pousse de tubercule rampante, il ne les utilise que le temps du renforcement et de l’enracinement de la plante qui, dès qu’elle sait prendre son envol par elle-même renverse son tuteur, celui-là même, qui a contribué à la maintenir en vie et à l’accompagner le temps des intempéries et autres insectes rongeurs.
Comme cela est de tradition au Cameroun, le Prélat a pensé qu’il aurait suffit qu’il soutînt le régime pour être à l’abri et brader impunément le patrimoine de l’Eglise, sinon comment comprendre qu’un pasteur soit si « pauvre d’esprit », au point de penser que les biens d’une communauté peuvent être disposé selon son seul gré. Comment a-t-il pu penser que le seul fait de donner un coup de main aux autorités en faisant d’une mission pastorale classique et banale sa raison de survie, aurait suffit pour distraire les gens et dévier des missions qui lui ont été assignées par Dieu et par les hommes.
Paul Biya a toujours actionné tous les leviers diplomatiques pour que les papes en fonction viennent au Cameroun. Lesdites visites sonnent aussi comme une caution morale dans un environnement où toutes les puissances évitent le Cameroun, même pour des transits. Jean Paul II y est venu par deux fois. L’on se souvient que Benoit XI a effectué son premier voyage en Afrique au Cameroun. Sur le plan de l’analyse on pourrait penser qu’on s’active du côté d’Etoudi pour que l’exploit soit réédité. De ce point de vue, il faut se ménager une posture d’homme d’Etat qui ne s’accommode guère avec le management de l’opacité. Le dossier de Bakot que la presse dit avoir été remis dans le circuit, après avoir miraculeusement disparu peut sembler dans une telle circonstance un préalable majeur. La démission de Bakot intervient deux jours après le clin d’œil que fait le pape François aux homosexuels, du retour des Journées Mondiales de la Jeunesse, lorsqu’il se dit mal placé pour juger un gay qui décide de suivre Dieu.
Le combat contre l’homosexualité au Cameroun ne semble pas être porté par des personnes qui y croient, parce que elles-mêmes sont parfois engluées dans la pratique, créant confusion et panique au contact des cultes de contrainte dans l’ascension sociale. L’instrumentalisation des hommes d’églises dont le rejet systématique de la pratique homosexuelle est compréhensible au regard des fondements de l’Eglise et de la quasi irréversibilité du phénomène pris comme péché, vient jeter du discrédit dans le combat, surtout lorsqu’il est porté par des commerçants et des hommes d’affaires. Comme aimait à le dire Emah Basile pendant les villes mortes, rappelant ironiquement à ses interlocuteurs (qui viennent de la région qu’on appelle aujourd’hui, la région des riz-pain-sel de Paul Biya) un adage de chez-eux : « Quand on vend les œufs » notamment ceux pourris « on ne cherche pas la bagarre ».
La récente sortie du gouvernement par son ministre de la communication et porte-parole, est une illustration de la fébrilité du régime face à la répression de l’homosexualité. Le fait que la France ne fasse pas du Cameroun une priorité dans l’octroi de son aide au développement, coïncide avec de nombreux éléments qui montrent la volonté d’un chantage à la dépénalisation de l’homosexualité comme préalable. Pendant combien de temps le gouvernement résistera-t-il encore ? Franchement est-ce qu’Alice Nkom ne vient pas de marquer un point dans son combat ?
Source: camer.be