Après les manifestations sur le mariage pour tous, le premier ministre reste prudent sur la procréation médicalement assistée et réfute toute volonté d’introduire un enseignement de la théorie du genre à l’école.
Enfin, il indique que la loi sur la famille ne sera sans doute pas discutée au Parlement avant les municipales.
« La Croix » : Comment justifiez-vous la pression fiscale sur les familles, marquée notamment par l’abaissement du plafond du quotient familial pour la deuxième année consécutive ?
Jean-Marc Ayrault : Pour sauver notre modèle social, il faut le réformer. Si l’on continue de financer à crédit les dépenses de santé, un jour ou l’autre, l’assurance privée se substituera à notre système de protection. De même pour les retraites : si l’on ne fait rien, certains tenteront d’imposer les fonds de pension. S’agissant de la famille, le gouvernement est très attaché au modèle français issu de la Libération. Beaucoup nous l’envient d’ailleurs, à commencer par l’Allemagne ! Il repose sur deux piliers majeurs : l’universalité des allocations familiales, expression de la solidarité de la nation envers les familles, et une politique d’accueil de la petite enfance qui permet aux parents de concilier la vie professionnelle et la vie familiale.
Face aux déficits de la branche famille, nous avons choisi : après avoir beaucoup consulté, nous avons décidé de ne pas placer les allocations familiales sous conditions de ressources, comme certains le préconisaient. Ce choix a un coût, mais nous l’assumons. Nous avons, en revanche, décidé d’abaisser le plafond du quotient familial au nom de la solidarité. Cet avantage fiscal, qui s’ajoute aux allocations, augmente avec les revenus et profite donc plus aux familles aisées.
Cela revient tout de même à faire porter un effort supérieur à une partie des familles…
J.-M. A. : Il faut comprendre le sens de cette mesure. Il ne s’agit pas de faire payer les familles pour boucher les trous du budget de l’État mais de mener une politique familiale juste.
Cet effort va ainsi permettre de développer l’accueil de la petite enfance avec le plan de création de 275 000 places en cinq ans, profitant à toutes les familles. Grâce à l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire (ARS), dès le début du quinquennat, les associations de consommateurs viennent d’observer pour la première fois depuis longtemps que le coût de la rentrée était, pour les plus modestes, couvert par l’ARS. Nous accordons aussi une attention particulière aux familles les plus pauvres, en particulier les mères isolées. Dire que nous ne menons pas une politique pour la famille est un mauvais procès. Au contraire, le gouvernement aime les familles, toutes les familles.
Qu’en est-il de la réduction d’impôt pour les frais de scolarité des enfants que vous voulez supprimer ?
J.-M. A. : Nous verrons ce que décidera le Parlement mais, là encore, rappelons le sens de cette mesure. D’une part, pour les enfants d’âge scolaire, je rappelle que l’école est gratuite, et ce pour toutes les familles. D’autre part, pour les étudiants, nous avons amélioré le système des bourses. Il y aura plus de bénéficiaires, et leur niveau sera augmenté. Cette réforme bénéficie aux familles à revenus moyens et aux familles modestes. Dès cette rentrée, 100 000 étudiants bénéficieront de cette réforme.
Mais les familles s’interrogent : jusqu’où irez-vous en ce sens ?
J.-M. A. : Nous sommes très attentifs aux classes moyennes qui constituent la grande majorité de la population. Soyons clairs : nous avons maintenant le socle de notre politique familiale, plus juste et solidaire. Nous maintiendrons le quotient, nous maintiendrons également l’universalité des allocations familiales.
N’y a-t-il pas, tout de même, une défiance de la gauche à l’égard de la famille de type « traditionnel » qui la retient de sécuriser l’institution familiale, de valoriser son rôle social ?
J.-M. A. : La société, les modes de vie évoluent. Ce que nous faisons, c’est aider les parents. Par ailleurs, la cellule familiale se porte mieux quand la société dans son ensemble se porte mieux. Améliorer la vie ordinaire des Français, c’est aussi faire une politique pour la famille. Quand les personnes ont un emploi, un logement, la vie familiale s’en trouve nettement améliorée. Nous augmentons les places d’accueil à la maternelle pour les 2-3 ans, nous avons engagé la refondation de l’école, aménagé les rythmes scolaires… Tout cela est réalisé dans l’intérêt des familles. Dire que la gauche n’aime pas les familles, c’est faire de la propagande.
Certains évoquent l’introduction d’une « théorie du genre » à l’école. Faut-il s’en inquiéter ?
J.-M. A. : De quoi parle-t-on ? S’il s’agit de faire reculer les stéréotypes, je pense que tout le monde sera d’accord. En effet, il reste énormément de progrès à faire en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Ces dernières ont des salaires moins élevés, des progressions de carrière moindres et elles sont moins nombreuses à occuper des postes à responsabilités, y compris dans la haute fonction publique.
En revanche, il n’est pas question d’introduire je ne sais quelle idéologie à l’école ! Il n’est pas question d’un temps d’enseignement sur la théorie du genre, pas plus dans les programmes scolaires que dans la formation des enseignants. Le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, a été clair là-dessus. L’objectif, c’est la lutte contre les stéréotypes, et cela passe par l’école. Je pense par exemple au partage équilibré des tâches familiales entre les parents.
Des parlementaires de gauche souhaitent que la procréation médicalement assistée (PMA) soit accessible aux couples de femmes et ont prévu de déposer des amendements en ce sens. N’est-ce pas là brouiller les cartes du genre et de la filiation ?
J.-M. A. : Je vous rappelle que le gouvernement a choisi de ne pas traiter de cette question dans la loi sur le « mariage pour tous ». Il s’agit d’un sujet lourd, qui soulève des questions éthiques. Nous avons annoncé notre choix d’attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique (NDLR : prévu en 2014). D’un côté, il y a des situations douloureuses, qu’il ne faut pas balayer d’un revers de la main ; de l’autre, l’ouverture de la PMA hors cas d’infertilité aurait un impact profond sur la société. On ne peut pas traiter de ce sujet au détour d’un amendement, ce n’est pas la bonne méthode. Sur ces sujets, il faut chercher le consensus et ne pas travailler dans l’urgence.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu et le calendrier du prochain projet de loi sur la famille ?
J.-M. A. : Le texte est en cours de préparation, il sera prêt avant les municipales. En revanche, le calendrier parlementaire étant extrêmement chargé, il est trop tôt pour dire s’il sera discuté avant cette échéance. À ce stade, tous les arbitrages n’ont pas encore été rendus, mais ce que l’on peut dire, c’est qu’il s’agira d’une loi très concrète, qui vise à faciliter la vie des familles. L’idée est de sécuriser les liens et de mieux protéger l’enfant, notamment dans les cas de séparations. Par exemple, faciliter le partage de l’autorité parentale des parents séparés en ce qui concerne les actes de vie quotidienne, signer un bon de sortie à l’école, donner son accord pour un séjour scolaire, etc.
Allez-vous également créer un statut du beau-parent ?
J.-M. A. : Il faut réfléchir à des améliorations juridiques concernant la personne qui vit avec le parent séparé lorsqu’il joue un rôle important dans la vie de l’enfant. La préparation de la loi va s’engager, il y aura des concertations, je ne peux donc pas en dire plus pour le moment.
RECUEILLI PAR DOMINIQUE QUINIO, BERNARD GORCE ET MARINE LAMOUREUX
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