Depuis plus d’un an, un retournement politique sans précédent s’opère : Marine Le Pen drague les gays. Pour arriver à ses fins, elle cherche à les attirer sur le terrain de la critique de l’islam. En effet, la présidente du Front national assure que certains homosexuels peuvent se sentir menacés par cette religion.
Jean François Belmondo, neveu de l’illustre acteur, vient d’annoncer cette semaine sa candidature FN pour les municipales dans le Marais parisien. Il affirme à cette occasion que le parti des Le Pen est devenu l’un des plus ouverts à la cause homosexuelle. Au-delà de ce fait local, peut-on affirmer que l’on observe une véritable attraction du milieu gay vers le discours frontiste en France ?
François Kraus : Je commencerais par dire qu’il y a une différence entre la communauté gay, très visible dans des quartiers comme le Marais, et l’ensemble des homosexuels qui se fondent dans le reste de la population. Bien qu’il soit difficile de faire une analyse politique précise de cette communauté, elle apparaît plutôt ancrée à gauche si l’on en juge l’orientation de ses représentants les plus « visibles ». Plus largement, il est rare de voir les militants de la cause homosexuelle s’engager à droite et encore moins à l’extrême droite.
Ce qui est intéressant à relever dans le cas « Belmondo », c’est qu’il affiche ouvertement son identité sexuelle dans un parti où c’était inimaginable il y a encore quelques années. La nouveauté n’est donc pas tellement la présence de gays au sein du FN, mais le fait qu’ils l’assument publiquement. La question est alors de savoir s’il s’agit là pour le Front d’un simple effet de communication – visant à moderniser son image et renforcer sa stratégie de dédiabolisation – ou bien de l’amorce d’une véritable inflexion de son discours sur les questions de société. Compte tenu la culture politique de la grande partie de ses dirigeants, on peut en douter…
L’ouverture du FN à des personnalités ouvertement homosexuelles est néanmoins quelque chose de nouveau, qui correspond plus ou moins à l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir. Du temps du père, on trouvait au sein du parti des représentants d’une droite catholique traditionaliste (ex : Bernard Anthony) qui laissaient logiquement assez peu de place à l’apparition de leaders homosexuels.
Le même Jean-François Belmondo affirme par ailleurs qu’il était encore une exception il y a une dizaine d’années.
Comment expliquer cette évolution du regard homosexuel face au FN ?
Dans les années 80/90, les dérapages de Jean-Marie Le Pen – par exemple sur les « sidaïques » – avaient peu de chances de séduire des homosexuels très sensibles au problème du SIDA et plus largement aux questions d’égalité des droits (en termes de mariage, d’adoption,…). De manière plus générale, on a toujours observé un certain consensus parmi les élites intellectuelles de l’extrême-droite pour s’opposer aux revendications politiques de la communauté gay. Marine Le Pen n’a, en revanche, pas hésité à s’exprimer sur le sujet, notamment en déclarant que dans certains quartiers « il ne faisait pas bon d’être homosexuel ». On retrouve là certains accents de la rhétorique d’un Pym Fortuyn qui réussit, aux Pays-Bas, à conjuguer nationalisme et libéralisme sociétal dans leur opposition commune à l’Islam.
Si le FN n’a pas modifié son discours politique sur le sujet (notamment sur la question du mariage), on n’observe plus de rejet de ce parti au sein des Français affirmant une part d’homosexualité. Une enquête réalisée avec le Cevipof en janvier 2012 démontrait que cet électorat – nettement ancré à gauche – votait pour l’extrême droite autant que le reste de la population.
Cette relative bonne tenue du FN au sein de l’électorat gay tient sans doute à la composition même de cet électorat : plus masculin et plus jeune que la moyenne. Or, c’est au sein des hommes et des jeunes que Marine Le Pen réalise ses meilleurs scores. De même, le fait qu’une partie importante de la population gay réside en Ile-de-France peut aussi expliquer sa sensibilité au discours sécuritaire et anti-immigrés du FN. L’insécurité y est comme chacun sait plus élevée qu’en milieu rural, et les homosexuels en font eux aussi les frais, des faits divers relatant l’agression de gays par des jeunes de cité ayant pu traumatiser une partie de la communauté. Sans faire de compétition victimaire, on peut imaginer que l’exposition des homosexuels à un nombre d’agressions plus élevé que la moyenne peut en pousser certains à adopter le discours sécuritaire porté par le Front National.
Enfin, la désignation par le FN de l’Islam comme ennemi commun de l’identité nationale joue un rôle non négligeable chez des gens pour qui cette religion peut apparaître comme une véritable menace contre leur mode de vie et les libertés en matière de mœurs. Le discours du parti s’est ainsi adapté aux « préoccupations » de leurs temps, sachant qu’il lui devient difficile voire impossible de fédérer aujourd’hui un électorat sur la dénonciation des juifs, des homosexuels ou des francs-maçons comme ce fut le cas pour l’extrême droite des années 30. La droite radicale et populiste d’aujourd’hui se cache désormais derrière la défense de la laïcité pour dénoncer les risques que font peser certaines minorités religieuses sur l’unité de la Nation et les principes républicains.
Le PVV, parti néerlandais libéral et nationaliste dirigé par Geert Wilders, est un exemple connu de l’ouverture de l’extrême droite aux homosexuels. Quels ont été selon vous les ressorts de cette conversion idéologique ?
La société hollandaise a une vision bien plus libérale sur la questions des mœurs et du vivre-ensemble que la France, que ce soit sur la question du droit des minorités, de la consommation de drogue ou de relations inter-communautaires. La place des homosexuels au sein du corps social y est une question bien plus consensuelle, bien que la France ne soit pas le pays le plus réactionnaire d’Europe pour autant. Le PVV, s’il s’inscrit bien dans ce qu’on pourrait appeler la droite populiste, n’a par conséquent pas développé de rhétorique traditionaliste, parfois moqueuses à l’encontre de certaines minorités, comme cela a pu être le cas avec les « plaisanteries » de Jean-Marie Le Pen.
Retrouve-t-on cette dynamique dans d’autres pays européens aujourd’hui ?
Il serait difficile de résumer quelque chose d’aussi vaste, mais je ne crois pas que l’on retrouve encore réellement cette rhétorique dans d’autres partis d’extrême-droite. Le PNB (Parti National Britannique) conserve un discours très radical et traditionaliste sur la question, tout comme La Destra de Mme Santanché en Italie.
Par François Kraus, Directeur d’Etudes au Département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’IFOP
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