On s’en souvient encore, lorsque Boutin s’interrogeait sur le statut d’icône et sur les raisons de la fascination occidentale pour Nelson Mandela, considérant que d’autres héros de la liberté, dépourvus d’une telle célébrité, pouvaient lui être comparés, tel Vaclav Havel. Elle en a conclu que c’était parce que le mariage homosexuel et le droit à l’avortement ont été inscrits d’emblée dans la Constitution de l’Afrique du Sud par Mandela, une première mondiale.
En effet, l’Afrique du Sud est le pays le plus «gay friendly» du continent africain est un des rares du monde où la Constitution est en avance sur les mentalités. Ce fut cela aussi, Nelson Mandela.
Cette morale d’égalité, cette mansuétude, il l’applique aux noirs comme aux blancs, aux questions sociales ou éducatives, mais aussi explicitement au «genre». Et dès son accession à la présidence de la «Rainbow nation», l’ancien avocat Mandela propose de dépénaliser l’homosexualité, vestige obsolète hérité du colonialisme britannique et de l’apartheid (un «crime» alors puni de sept ans de prison).
«Nous ne sommes pas encore libres, nous avons seulement atteint la liberté d’être libres»
Le mariage pour tous adopté en France après avoir été adopté en Afrique du sud
Et dix ans après avoir adopté la Constitution la plus gay friendly du monde, l’Afrique du Sud autorise en 2006, sous la pression des juges, le mariage pour tous. Elle devient ainsi le premier – et pour l’heure le seul – pays africain à avoir autorisé le mariage pour les couples de même sexe (et le cinquième à l’échelle mondiale).
Le futur successeur de Mandela, l’actuel président Jacob Zuma, est alors un virulent opposant à cette loi.
Aujourd’hui, on considère que l’Afrique du Sud est le pays le plus gay friendly du continent africain. La vie gay de Johannesburg et des grandes villes, de Pretoria au Cap, en passant par Durban, est vivante et des Gay Prides y sont populaires chaque année. En dépit de ces avancées décisives —que l’on doit à Mandela—, de graves problèmes persistent pour les personnes LGBT. Le sida d’abord, avec une épidémie affolante et, au-delà, une homophobie familiale et sociale, parfois entretenue par les nombreuses religions du pays, et plus encore par les traditions, reste très ancrée dans la société sud-africaine.
Dans ce pays toujours violent, en particulier dans les townships, et dont le taux de mortalité criminelle est élevé, les crimes homophobes, les violences à l’encontre des transsexuels et surtout les viols de lesbiennes sont fréquents. Des formes de ségrégation persistent aussi.
En définitive, sur la question homosexuelle, si les Américains et les Européens apparaissent parfois en avance sur leurs Constitutions et leurs lois, l’Afrique du Sud offre cette singularité d’être un pays où la Constitution est en avance sur les mentalités. Ce fut la force de Mandela— et pour une part aussi sa limite.
Avec Frédéric Martel