«Moi, homophobe !» Dans ce livre (1), une mère raconte son parcours après avoir appris l’homosexualité de son fils. Colère, culpabilité, déni… De nombreux parents de tous horizons se retrouvent dans ce récit.
« Si l’on m’avait dit, il y a onze ans, qu’un jour je serais ici, à cette place, en train d’animer des groupes de parole de parents de personnes homosexuelles, je ne l’aurais certainement pas cru», reconnaît Anna Ghione. Cette jeune quinquagénaire au regard clair qui reçoit dans les locaux de l’association Homogène au Mans se souvient encore de ce jour où, au cours d’un banal déjeuner, elle comprend qu’Alexandre, son fils de 17 ans, a un petit ami. «Cette terrible journée où tout a basculé» qui la laisse «dévastée, sonnée, abasourdie», est décrite dans un livre paru récemment aux Éditions Michalon (1).
Depuis, elle la raconte sur les plateaux de télévision et de radio où elle est invitée, tant son témoignage semble avoir fait mouche. Plus de 500 messages sont parvenus sur sa page Facebook. Des mots de sympathie, dans leur grande majorité, même si certains lui reprochent, à travers ce livre, de se faire de l’argent sur le dos de son fils ». Elle balaie la critique d’un sourire : «Alexandre m’a encouragée dans ce projet. Je pense que si ce livre rencontre un certain écho, c’est qu’il y est question d’accepter la différence. Peut-être aussi parce que je parle de mon cheminement avec authenticité : j’y pratique l’autocritique, car je n’ai pas été exemplaire !»
Homophobe, elle ? «Avant d’être confrontée à la question avec Alexandre, je portais un regard un peu moqueur sur les défilés de la gay-pride. Mais dans l’ensemble j’étais assez indifférente. Je pensais surtout que “ça” n’arrivait que chez les autres.» Le jour de la révélation de l’homosexualité de son fils, elle se sent pourtant «submergée» par une vague d’émotions. «J’ai perdu le contrôle de moi-même. La simple vue d’Alexandre m’était insupportable, me faisait horreur. Alors oui, je pense que j’ai eu, à ce moment-là, une “crise” d’homophobie. Un véritable rejet.»
«Je suis passée du refus à l’acceptation»
Aujourd’hui, elle est parvenue à l’idéal qu’elle souhaitait atteindre : «Je suis passée du refus à l’acceptation.» Cette croyante catholique a-t-elle trouvé de l’aide auprès de l’Église ? «Non, je n’y ai pas pensé. Je ne savais pas non plus que des associations d’aide existaient. J’étais perdue. D’ailleurs je pensais que c’était Alexandre qui avait besoin d’aide, pas moi !»
Quand elle décide de prendre rendez-vous auprès d’une psychologue, elle le fait pour parler du «problème» d’Alexandre. «Je voulais lui faire comprendre qu’il se trompait.» La thérapeute lui annoncera sans détour que c’est elle, sa mère, qui a besoin d’aide. «La thérapie m’a fait prendre conscience que ma colère et ma souffrance étaient en partie liées à ma propre histoire. Enfant illégitime, j’étais moi-même un “secret” de famille. Je crois qu’avec la révélation du “secret” d’Alexandre, tout est remonté en moi.»
Avec difficulté, Alexandre et sa mère ont réussi à maintenir le lien, «surtout grâce à Alexandre», précise-t-elle. Pourtant les ruptures familiales ne sont pas rares, constate Nicolas Noguier, président de l’association Le Refuge. Ce dispositif propose un hébergement temporaire et un accompagnement social et psychologique à des jeunes victimes de rejet. «Notre travail est aussi de remettre du lien dans la famille. Nous y parvenons dans environ un quart des cas. Lorsque le rejet est trop fort de la part des parents, on trouve parfois du soutien auprès de frères et sœurs aînés ou de la famille au sens élargi.»
Pas d’évolution, «l’homosexualité de l’enfant est toujours difficile à accepter»
Qu’a-t-il pensé du livre d’Anna Ghione ? «Je l’ai trouvé proche de la réalité. Il fait écho à ce qu’on entend, sur ce que les jeunes peuvent ressentir, sur l’homophobie en milieu scolaire, mais aussi sur le cheminement des parents.» Ces quinze dernières années, les débats sur le pacs (pacte civil de solidarité), le mariage pour tous ou sur le film La Vie d’Adèle ont-ils contribué à faciliter le dialogue entre les parents et les enfants ?«Aujourd’hui, si le ou la meilleur(e) ami(e) de leur enfant est concerné(e), ça ne pose pas de problème aux parents. Mais s’il s’agit de leur propre enfant, je ne vois pas d’évolution. L’homosexualité de l’enfant est toujours difficile à accepter. On en parle davantage, mais les discussions familiales ont parfois été l’occasion de propos hostiles qui ont renforcé l’isolement des jeunes homosexuels.»
Bien sûr, tous les parents ne rejettent pas leur enfant qui ne serait pas conforme à ce dont ils avaient rêvé, constate Nicolas Noguier. «Mais ces parents doivent “encaisser le coup”. Ils sont en souffrance, se sentent isolés, coupables… Je constate que le cheminement se fait plus facilement lorsqu’ils peuvent rencontrer d’autres parents dans la même situation.» C’est aujourd’hui ce qui motive Anna Ghione au sein de l’association Homogène.
C’est aussi le travail mené par des associations, dont les organisations chrétiennes David & Jonathan et Devenir un en Christ dont Jean-Philippe est vice-président. «Face aux interrogations des parents, il n’y a pas de réponses toutes faites. Doit-on accueillir l’ami(e) ? Est-ce que cette histoire risque de faire exploser la famille ? Allons-nous être stigmatisés ? Que dire aux petits-enfants ? Risquent-ils d’être influencés ? Autant de questions que les parents se posent», explique-t-il.
Depuis la sortie de son livre, Anna Ghione continue de témoigner, convaincue que son expérience permettra d’éviter nombre d’incompréhensions. Serait-elle passée de l’homophobie à une forme d’« homo-idolâtrie » comme certains ont pu lui reprocher ? Elle sourit de la formule. «À travers mes rencontres à l’association, je fais juste le constat qu’au-delà de l’homosexualité, il y a des êtres humains. Et j’ai un grand respect et une certaine admiration pour ceux qui choisissent de faire leur “coming out”. Il faut du courage pour prendre le risque de perdre l’amour de ses parents. C’est beaucoup de souffrance de toutes parts.»
(1) «Homophobe moi ! le jour où mon fils m’a révélé son homosexualité» d’Anna Ghione Éditions Michalon.
POUR TROUVER DE L’AIDE
David & Jonathan. Association loi 1901, ce mouvement homosexuel chrétien a été créé en 1972. Environ 550 membres sont présents dans 22 groupes locaux. Deux tiers des membres se considèrent comme chrétiens, les autres se définissant comme «en recherche spirituelle» ou «agnostiques». L’association organise des rencontres, des groupes de parole et de partage. Tél. : 09.50.30.26.37. Site : www.davidetjonathan.com
Contact. Cette union d’associations départementales a notamment pour but d’aider les familles et leurs amis à comprendre et à accepter l’homosexualité ou la bisexualité de leurs proches, et de lutter contre l’homophobie. Ligne d’écoute : 0.805.69.64.64. Également un forum de discussion sur le site : www.asso-contact.org
MARIE AUFFRET-PERICONE
http://www.la-croix.com/Famille/Parents-Enfants/Dossiers/Accepter-l-homosexualite-de-son-enfant-reste-difficile-2014-01-21-1094264