L’Union européenne doit-elle lutter contre l’homophobie ?

Une enquête récente de l’Agence européenne des droits fondamentaux montre que les homosexuels et transsexuels sont victimes de discriminations et agressions à travers l’Europe. La commission des Libertés du Parlement européen pousse donc du pied la Commission européenne pour qu’elle mette en place une feuille de route contre l’homophobie. Mais cette perspective ne plaît pas à tout le monde…

En Europe, les personnes LGBTI, lesbiennes, gays, bi-, trans- et intersexuelles sont encore parfois victimes de discriminations, moqueries, voire agressions. Nous nous sommes rendus en Grèce, un pays pointé du doigt par plusieurs organisations comme l’un des mauvais élèves de l’Europe en termes de droits des homosexuels (pour plus de détails, cliquez ici). Découvrez notre reportage sur place :

Grèce: les homos et transsexuels, des citoyens comme les autres ?

En 2012, l’Agence européenne des droits fondamentaux a lancé une étude en ligne pour mesurer l’ampleur des discriminations et des crimes de haine dont sont victimes les LGBTI à travers l’Europe. 93 079 personnes ont répondu.

Les conclusions sont sans appel : « Les personnes LGBT souffrent régulièrement de l’impossibilité d’être elles-mêmes à l’école, au travail ou en public. Nombreuses sont celles qui, de ce fait, cachent leur identité et qui vivent dans l’isolement, voire dans la peur. D’autres sont victimes de discrimination et même de violence lorsqu’elles sont elles-mêmes« , explique l’agence.

Ainsi, 26% des répondants ont été victimes d’agression ou de menaces avec violence au cours des cinq années précédentes. Près de la moitié des répondants estiment que les politiciens dans leur pays de résidence tiennent régulièrement des propos insultants à propos des personnes LGBT. Ou encore, plus de 80 % des répondants se souviennent de commentaires négatifs ou d’intimidations à l’égard de jeunes LGBT à l’école

Certains, comme la FAFCE, la Fédération des associations familiales catholiques en Europe, estiment cependant que cette enquête n’est pas une étude scientifique.

FAFCE: « Ce rapport est basé sur une enquête non scientifique »

Une procédure d’initiative

Partant des conclusions de l’Agence européenne, certains eurodéputés ont donc décidé de se lancer dans une procédure d’initiative.

Le Parlement ne peut, en effet, pas proposer une législation par lui-même, c’est à la Commission de le faire, comme l’explique Ulrike Lunacek, rapporteure pour ce dossier en commission des Libertés du Parlement et co-présidente de l’intergroupe parlementaire pour les droits des LGBT.

Ulrike Lunacek (Verts) explique ce qu’est une procédure d’initiative

Dans ce rapport très détaillé, les eurodéputés demandent à la Commission de mettre en place une feuille de route de lutte contre l’homophobie, comme il en existe pour d’autres groupes, tels que les roms, ou pour l’égalité homme-femmes.

Ulrike Lunacek (Verts): « Il existe des feuilles de route pour d’autres groupes discriminées »

Echange de bonnes pratiques

Et les eurodéputés vont plus loin, ils listent toutes les actions que pourrait prendre la Commission dans la mesure de ses compétences, par exemple, encourager l’échange de bonnes pratiques entre Etats membres. Joël Le Déroff, de l’ILGA, l’association internationale des gays et lesbiennes, qui a participé à l’élaboration du rapport en donnant des conseils et recommandations aux eurodéputés, nous l’explique:

ILGA: « L’UE peut faire en sorte que les bonnes pratiques circulent »

Mais, pour les opposants à cette feuille de route, ce n’est pas forcément une bonne chose. Michel Ghins, d’Action pour la famille, ne pense pas, par exemple, que la Belgique doit donner l’exemple:

Michel Ghins: « Sur le droit des homos, la Belgique n’est pas un exemple à suivre »

L’UE outrepasse-t-elle ses compétences ?

Dans ce rapport, les eurodéputés font également des recommandations aux Etats dans des compétences qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, comme sur le sujet très épineux du mariage et de la filiation. C’est en tout cas l’une des critiques formulées par les opposants à cette feuille de route :

FAFCE: « L’UE n’est pas compétente pour ce qui concerne le mariage et la filiation »

Les eurodéputés s’en défendent cependant : le rapport (à lire en cliquant ici) a été pensé et rédigé dans le respect du principe de subsidiarité.

Roberta Metsola (PPE): « La subsidiarité est bien respectée »

Le rapport rappelle en outre qu’il est dans les compétences de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour combattre les discriminations, notamment fondée sur l’orientation sexuelle.

Onze Etats membres

Ce rapport d’initiative a été voté à 40 voix pour, 2 contre et six abstentions le 17 décembre dernier en commission LIBE, et il est appuyé par cinq groupes politiques, comme l’explique Ulrike Lunacek sur le site de l’Intergoupe pour les droits des LGBT. Il devrait être voté en séance plénière en ce début février.

Ce n’est pas la première fois que le Parlement demande une action contre l’homophobie, comme dans cette résolution de 2012.

Cela correspond également à une volonté de onze Etats membres, dont la Belgique, qui ont demandé qu’une telle feuille de route soit mise en place.

La Belgique a d’ailleurs son propre plan de lutte contre l’homophobie (à lire ici sur le site de Joëlle Milquet).

« Les droits de l’homme sont universels »

Une autre critique adressée à ce rapport pour une feuille de route est que les droits de l’homme sont indivisibles. European Dignity Watch, un lobby européen conservateur, a ainsi publié sur son site un avis argumenté sur la question. Ils y qualifient le rapport de « tentative d’accorder des privilèges à certains au détriment de l’égalité de tous« .

Il ne nous a pas été possible de les rencontrer. Mais la FAFCE tient plus ou moins le même discours :

FAFCE: « Le Parlement européen veut créer des droits spécifiques pour les homos »

Une aberration, pour Amnesty.

Amnesty: « Nous voulons que les droits des LGBTI soient respectés »

De la propagande ?

Certains vont plus loin dans leur argumentaire contre cette feuille de route. Pour Michel Ghins, il ne faut pas élever les relations homosexuelles au même rang que les relations hétérosexuelles.

Michel Ghins: « Parler des relations homosexuelles n’est pas bon pour les enfants »

De nouveau, Amnesty réagit fermement.

Amnesty: « Parler de l’homosexualité n’est pas de la propagande! »

Pour mettre la pression

Si ce rapport devrait donc être adopté en session plénière du Parlement, Ulrike Lunacek ne s’attend pas à ce que la Commission européenne agisse. Elle ne l’a pas fait jusqu’ici et les élections européennes approchent.

Le but est plutôt de mettre la pression et de remettre le sujet de l’homophobie dans l’actualité :

ULrike Lunacek (Verts): « Le but est de mettre la pression avant les élections »

Les eurodéputés espèrent donc que la prochaine Commission, et son président qu’il éliront pour la première fois, se saisira du dossier…

Julie Calleeuw (@julbille)

Retrouvez les interviews complètes de Ulrike Lunacek et Roberta Metsola en cliquant sur l’onglet « Parlementaires » ci-dessus.

Les interviews de Sergi Corbalan de Amnesty, de Maria Hildingsson de la FAFCE, de Michel de Action pour la famille et de Joël Le Déroff de l’ILGA sont disponibles sous l’onglet « Société civile ».

http://www.rtbf.be/info/eurodebat/homophobie/synthese