Du courage et une dose de colère. C’est ce qu’il a sans doute fallu à l’écrivain kényan Binyavanga Wainaina pour se lancer. Le 19 janvier, cette figure de la littérature africaine révélait publiquement son homosexualité. Dans une nouvelle intitulée Je suis homosexuel, maman, publiée sur Internet, le narrateur fait cette confession à sa mère, mourante sur un lit d’hôpital. Un aveu que l’écrivain, âgé de 43 ans, n’aura pas eu le temps de faire à sa propre mère disparue trop tôt. Cette nouvelle est « un acte politique », expliquera-t-il ensuite.
L’annonce de l’écrivain et journaliste, fondateur de la revue littéraire est-africaine Kwani, faisait suite à la promulgation, quelques jours plus tôt au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, d’une nouvelle loi anti-gay. « Cette loi nous fait honte à tous », dénonçait Binyavanga Wainaina. Elle se voulait un défi lancé aux nombreuses législations répressives sur un continent où la condition des homosexuels reste dramatique : sur 54 pays, 38 pénalisent l’homosexualité (sur 78 dans le monde). Quatre – le Soudan, la Mauritanie, la Somalie et le nord du Nigeria où s’applique la charia – prévoient la peine de mort.
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Avec la loi du 13 janvier, le Nigeria s’est doté d’une des législations les plus répressives d’Afrique. « J’ai rarement vu un texte de loi qui, en quelques paragraphes, viole directement tant de droits humains fondamentaux », a réagi la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navi Pillay. Le pays punissait déjà l’acte homosexuel de quatorze ans de prison. Cette disposition est maintenue, mais les personnes de même sexe qui tenteraient de se marier – même si le mariage homosexuel n’existe pas dans le pays – encourent désormais la même peine. Afficher publiquement sa relation est passible de dix ans.
« La loi est tellement floue qu’elle permet aussi de viser les groupes de défense des droits de l’homme, ceux travaillant dans la santé : tous ceux qui soutiennent les organisations de défense des homosexuels, explique Graeme Reid, directeur du programme LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) de Human Rights Watch. Le texte punit de dix ans de prison toute personne qui apporterait un soutien à une organisation ou à une manifestation homosexuelle.
« UNE VOLONTÉ DE DURCISSEMENT »
Si le cas du Nigeria est extrême, il a remis en lumière le difficile combat pour les droits des homosexuels sur le continent africain. La pénalisation de l’homosexualité, souvent dénoncée comme contre-nature et importée de l’Occident, n’est pas nouvelle. « Mais il y a aujourd’hui une volonté de durcissement, pointe Dorothée Delaunay, responsable de la Commission LGBT à Amnesty International, soit en alourdissant les peines, soit en élargissant le champ d’application des infractions. »
Outre le Nigeria, l’Ouganda essaie depuis 2009 de faire passer un projet de loi drastique. Sa première version prévoyait la peine de mort pour homosexualité « avec circonstances aggravantes » (lorsque l’accusé est récidiviste ou porteur du virus du sida). Le texte adopté par les députés en décembre 2013 se « limite » à la prison à vie. En République démocratique du Congo, un député a déposé en décembre 2013 un projet proposant des peines de trois à cinq ans de prison. Au Liberia, deux projets ont été présentés par des parlementaires en 2012, dont l’un sanctionnerait pénalement la très vague « promotion » des relations entre personnes de même sexe.
L’INFLUENCE DU FACTEUR RELIGIEUX
« Les raisons de ce durcissement sont nombreuses, souligne Graeme Reid. Elles peuvent être purement politiques. Au Nigeria, il faut noter le timing : la loi a été promulguée au moment où le président est en posture délicate pour les élections de 2015. Pour de nombreux dirigeants, ce sujet est souvent une façon de détourner l’attention des problèmes réels. » Le président Goodluck Jonathan est notamment aux prises avec une contestation islamiste dans les Etats du nord du pays. L’influence du facteur religieux va croissant. A la poussée islamiste s’ajoute celle des églises évangéliques venues des Etats-Unis. En Ouganda, ces églises ont beaucoup fait pour imposer un agenda politique anti-gay.
« Depuis plusieurs années, on observe aussi un retour dans les discours à de prétendues valeurs traditionnelles, poursuit Graeme Reid. L’Afrique n’est pas la seule dans ce cas. On voit la même chose en Russie. » Si les bouleversements liés à la mondialisation provoquent sur tous les continents des replis identitaires, l’Afrique, où la croissance avoisine les 10 %, est certainement celui où ils sont les plus brutaux.
Bien souvent, la condition des homosexuels ne se résume pas aux lois existantes. L’Afrique du Sud fait figure d’exception sur le continent avec une législation autorisant notamment le mariage homosexuel. Mais elle n’est pas exempte de violences : les viols de « redressement » contre les lesbiennes y sont régulièrement dénoncés. D’autres pays prévoient des peines très sévères sans qu’elles soient forcément appliquées. A l’inverse, certains Etats n’ont pas les lois les plus extrêmes mais les appliquent durement.
« Notre pays détient le record du nombre d’arrestations », rappelle l’avocate camerounaise Alice Nkom, figure de la défense des homosexuels dans son pays, où cette pratique est punie de cinq ans de prison. La répression juridique y légitime aussi la violence sociale. En juillet 2013, le journaliste et militant de la cause homosexuelle, Eric Lembembe, était retrouvé mort chez lui, portant des traces de torture. « Le Nigeria est un très grand pays. Sa décision ne va-t-elle pas donner des idées aux législateurs d’autres Etats ? », s’inquiète Alice Nkom.
VALEURS OCCIDENTALES
Depuis plusieurs années, le sujet est devenu une source de tensions entre Nord et Sud. Le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, avait été l’un des premiers dirigeants à instrumentaliser le sujet, dénonçant un combat impérialiste, au début des années 2000, lorsque les premières sanctions internationales étaient adoptées contre son régime. De nombreux Etats africains ont le sentiment d’un forcing des Occidentaux pour leur imposer leurs valeurs. En juillet 2013, le premier ministre britannique David Cameron n’avait ainsi pas hésité à déclarer qu’il voulait « exporter le mariage homosexuel » dans le monde.
« Le plus important est d’écouter les associations locales pour savoir comment elles veulent être soutenues », souligne Matthew Thomann, anthropologue à l’American University de Washington. Pour les ONG internationales, toute la difficulté est de dénoncer la répression sans donner prise aux accusations d’ingérence. Au Nigeria, « les associations avaient sollicité un soutien tout en demandant d’éviter les déclarations publiques », rappelle Dorothée Delaunay.
Paradoxalement, le durcissement actuel des législations est aussi une preuve d’avancées. « Les gouvernements réagissent à la multiplication des organisations locales et au fait que le sujet est de plus en plus visible », souligne Graeme Reid. Malgré de faibles moyens, les associations locales obtiennent des victoires. En Ouganda, le président Museveni, a annoncé, le 17 janvier, qu’il ne signerait pas le projet de loi controversé. Au Cameroun, Alice Nkom a obtenu le 7 janvier l’acquittement de deux jeunes hommes condamnés à cinq ans de prison.
- Charlotte Bozonnet
Journaliste au Monde
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