Dans la foulée de sportives sud-africaines ou d’un écrivain kenyan, une patronne de presse ivoirienne vient de confirmer son homosexualité. Les témoignages de personnalités suffiront-ils à embrayer la répression grandissante contre les LGBTI ?
Nombre de pays africains, depuis quelques mois, durcissent leur législation contre les comportements homosexuels. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que la loi se mêle de préférence sexuelle pour qu’un gay se sente mal à l’aise sur un continent où l’on trouve encore des présidents capables, comme Robert Mugabe, de considérer les homosexuels comme “pires que les chiens et les cochons”.
Alors qu’un “homo” assumé peut gérer la capitale française ou diriger le gouvernement italien, le temps n’est pas au coming out dans le monde de la politique africaine. L’aveu de pratiques sexuelles dites minoritaires relèverait du suicide professionnel sur un continent encore largement homophobe. L’heure est plutôt au “non-coming out”, lorsque tel ou tel responsable doit réaffirmer formellement son hétérosexualité, suite à des rumeurs cautionnées par des législations répressives et nourries d’opprobres médiatiques. La folie de la délation revient d’ailleurs parfois comme un boomerang, des membres de la descendance du président ougandais ayant récemment dû nier des comportements que le paternel s’emploie à dénoncer vivement…
Dans des pays où l’attirance pour les représentants de son propre sexe semble une abomination, pourquoi faudrait-il s’autoflageller en avouant son penchant ? Sans doute parce que la somme de courages individuels est le berceau du militantisme collectif. Sans doute parce que le témoignage d’une personnalité respectée est une première fissure dans le tabou. Sans doute parce qu’il est instructif – même si l’on regrette d’en être toujours là – de donner un visage humain aux prétendus « chiens » de Mugabe, avant que les mentalités ne finissent par tolérer les manifestations folkloriques comme la gay pride.
Du courage, il en aura donc fallu à la quinquagénaire Marie-Catherine Koissy. Dans son pays, la Côte d’Ivoire, l’un des rares bars ouvertement gay-friendly d’Afrique de l’Ouest était saccagé début mars. Après une campagne médiatique de haine, en écho au durcissement de la législation contre l’homosexualité au Cameroun, au Nigeria et en Ouganda, plusieurs dizaines d’hommes envahissaient “Le Playboy” armés de machettes et de gourdins, dépouillant les clients et le maquis et laissant derrière eux des blessés.
Deux semaines plus tard, la présidente directrice générale de Cocody Fm répondait aux questions des journalistes de Radio Nostalgie. Bien qu’elle ne soit pas venue avec l’intention d’étaler sa vie privée, Marie-Catherine Koissy n’éluda aucune question. Elle assuma sa bisexualité avec courage et même avec humour, précisant que si elle avait connu des idylles avec plusieurs personnalités de sexe masculin, elle n’en gardait pas moins un goût prononcé pour les “femmes callipyges” . De quoi titiller davantage les homophobes primaires qui ne savent pas que cet adjectif fait référence aux postérieurs rebondis. Une fois les dictionnaires consultés, les auditeurs n’ont pas manqué d’assaillir le standard de la radio…
Les coming out de personnalités africaines se comptent sur les doigts d’une main.
Les coming out de personnalités africaines se comptent sur les doigts d’une main. Dans le domaine sportif, ce sont également des femmes qui avaient franchi le pas. Il faut reconnaître que l’auto-caricature machiste de l’athlète – comme du militaire– continue d’alimenter le milieu des compétitions sur l’ensemble du globe. Lors des Jeux Olympiques de Londres, en 2012, c’est la tireuse à l’arc sud-africaine Karen Hultzer qui déclara que le fait d’être lesbienne ne la définissait ni plus ni moins que le choix de sa discipline ou sa mauvaise humeur avant sa première tasse de café. En banalisant son homosexualité – comme, avant elle, la beach-volleyeuse sud-africaine Leigh-Ann Naidoo-, Hultzer n’oublia pas pour autant de préciser que c’était plus facile à assumer pour une Africaine de couleur blanche…
Dans le domaine de la littérature, ce n’est qu’au début de cette année que le Kenyan Binyavanga Wainaina osa évoquer ses préférences sexuelles dans sa nouvelle explicitement intitulée “I Am a Homosexual, Mum”, juste avant d’enfoncer le clou sur Twitter. Son pays apparaît comme un laboratoire pour les droits des minorités sexuelles. Le président de sa Cour suprême, le docteur Willy Mutunga, appelle les droits des homosexuels “l’autre frontière de la marginalisation” de la société kenyane.
Ces exemples des médias, du sport et de la culture délieront peut-être les langues, contribuant à une évolution des mentalités dans le sens de la tolérance. Il ne restera que le bastion de la religion et celui de la politique. L’association Merhaba qui représente notamment la communauté gay du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, déplorait récemment son “manque de modèles de musulmans homosexuels”. Même avec un pape qui remet en cause sa propre légitimité à juger les amours homos, la communauté chrétienne africaine n’est guère plus flexible. Mais peut-être devra-t-elle mettre de l’eau dans son vin de messe pour que les politiciens, même à contre-courant de leurs opinions, commencent à assouplir leurs positions.
Source : Jeuneafrique.com
Illustration de D. Glez