L’avocate camerounaise Alice Nkom s’attaque, depuis plus de dix ans, à l’article 347 bis, pénalisant l’homosexualité au Cameroun. Farouche militante des droits de l’homme, elle a accepté de partager ses impressions sur l’évolution du continent sur la question et sur la situation dans son pays natal, où elle est, bien souvent, considérée comme une « pestiférée ».
Récompensée par le prix des droits de l’Homme de la section allemande d’Amnesty international, en mars dernier, Alice Nkom est en revanche une paria au Cameroun. Menacée, comme le prouvent les multiples plaintes qu’elle a déposées, et dont nous avons pris connaissance, elle a choisi de se battre pour les droits des homosexuels, notamment en attaquant la constitutionnalité de l’article 347 bis du code pénal camerounais.
Mais le chemin est encore long, explique celle qui œuvre – notamment aux côtés du Français Robert Badinter – pour une dépénalisation internationale. Et le combat est particulièrement difficile en Afrique où une nouvelle génération de politiques tarde à émerger, où des pays comme l’Ouganda et le Nigeria ont récemment durci la répression.
Entretien.
Avec l’attitude de l’Ouganda et du Nigeria, on a l’impression qu’il y a un recul sur les droits des homosexuels en Afrique. Comment le ressentez-vous ?
Alice Nkom : J’attribue d’abord ça à des individus. Même si ce sont des chefs d’État, ils servent des intérêts politiques. Un exemple : j’habite un quartier supposé être chic à Douala où, il y a trente ans, j’avais de l’eau pour remplir le biberon de mes enfants. Et bien aujourd’hui, je n’en ai plus. Bien sûr, pour le pouvoir, ce serait mieux si les gens n’y pensaient pas. Pour ça, il y a la religion, l’opium du peuple, et les homosexuels, les boucs-émissaires. L’attitude homophobe de l’État, finalement, est une conséquence de tout cela.
Vous attaquez la loi condamnant l’homosexualité au Cameroun au niveau de sa constitutionnalité. Pourquoi ?
Au regard des traités internationaux que le Cameroun a signés, le texte est illégal. Il oblige à un flagrant délit, et donc à une violation de domicile et de vie privée. Or, celle-ci est garantie par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, que le pays a adoptée comme préambule de sa Constitution. Il suffit de regarder les textes.
La loi anti-homosexualité au Cameroun est une copie de celle qui figurait dans le code pénal du régime de Vichy.
Cet article ne figurait pas dans le code pénal en 1965 mais a été ajouté en 1972. Pourquoi ce revirement ?
Il n’y a pas de revirement ! L’article 347 bis a été ajouté arbitrairement par l’ancien président Mahamadou Ahidjo. Les parlementaires n’ont jamais eu à statuer sur ce texte. Le pire, c’est que celui-ci est une copie de ce qui figurait dans le code pénal du régime français de Vichy. La preuve est faite que l’homosexualité n’est pas importée mais que c’est la répression qui l’est.
Les arrestations n’ont pas cessé et ont même tendance à se multiplier…
Il y a une dizaine de personnes incarcérées rien qu’à la prison de Kondengui, à Yaoundé. Sans compter toutes celles pour lesquelles on intervient avant qu’elles soient emprisonnées. Il suffit de brandir le code de procédure pénale. Chaque fois que je suis arrivée au commissariat et que j’ai démontré que l’arrestation d’un homosexuel était illégale, parce qu’il n’y avait pas de flagrant délit, la police a accepté de relâcher la personne.
Quelle est votre stratégie pour inverser la tendance ?
Nous avons deux dossiers en cours, notamment celui des transsexuels Francky et Jonas, à la Cour suprême, qui a le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de l’article 347 bis. Il faut juste qu’on se batte pour que l’affaire ne passe pas dix ans dans les greffes… Le deuxième dossier, celui de Roger Mbede, ne sera malheureusement pas examiné. Mais on continue tout de même à travailler dessus pour voir comment on peut amener des juridictions internationales ou régionales, comme la Commission africaine des droits de l’homme et le Conseil des droits de l’homme de Genève, à juger l’État du Cameroun par rapport aux engagements pris face à la communauté internationale. Cela peut montrer au monde que ce pays n’est pas ce qu’il prétend être.
Quelle est la réponse du ministère de la Justice ?
Le ministre refuse de me recevoir. C’est un camarade de promotion mais il ne veut pas écouter ce raisonnement. Il n’est pas là pour améliorer la situation du justiciable mais pour obéir à la voix de son maître.
Justement, le président Biya avait montré des signes d’ouverture en 2006. Du bluff ?
Il a regardé la jeunesse dans les yeux en se posant en garant de la vie privée, y compris des personnes homosexuelles. Mais il l’a surtout fait pour mettre fin aux insinuations concernant ses ministres et la haute sphère de l’administration, après la publication du TOP50 des homosexuels par la presse. Au-delà, il laisse les petits se faire arrêter dans les quartiers. Ça n’est pas acceptable.
Le ministre de la Justice n’est pas là pour améliorer la situation du justiciable mais pour obéir à la voix de son maître.
Y a-t-il une évolution au niveau du pouvoir religieux ?
Le langage du nouveau pape me séduit. Quand il dit « Qui suis-je pour juger ? », pour moi, c’est un appel à la dépénalisation. Je suis retournée voir la cardinal Christian Tumi pour voir s’il était en accord avec le Pape et il a convenu qu’il ne pouvait pas cautionner les discriminations et les violences envers les homosexuels. Il y a une bonne évolution.
La presse est elle aussi un obstacle au Cameroun ?
Toute la presse n’est pas homophobe. Nous vivons dans un environnement de dictature où, à tout moment, on peut fermer des télévisions et des radios. Je ne peux pas leur demander de s’exposer sans leur donner une alternative. Je ne peux pas forcer quelqu’un à me donner la parole s’il est ensuite empêché de travailler.
Et comment cela se passe pour les avocats, qui sont très peu nombreux à défendre des homosexuels ?
Aujourd’hui, mon cabinet ne fonctionne plus. Je suis une pestiférée. Me Michel Togué a été obligé de se séparer de sa famille, qu’il a envoyée aux États-Unis. On ne peut pas demander à un jeune avocat de suivre ces exemples. Il faut trouver des solutions pour qu’il puisse défendre les droits de l’homme, sans s’exposer à la mort. C’est à nous, sur le terrain, de faire ce travail. Mais c’est aussi à la communauté internationale d’y travailler. Or, aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je doive courir voir l’ambassadeur de France en premier quand je travaille sur le sujet. Que voulez-vous qu’il dise à Biya, après les manifestations contre le mariage pour tous ?
Quand le pape François dit « Qui suis-je pour juger ? », pour moi, c’est un appel à la dépénalisation.
Y a-t-il une nouvelle génération de politiques qui émerge en Afrique ?
Macky Sall a raté l’occasion de faire du Sénégal un grand pays sur ce sujet. Il aurait pu représenter cette nouvelle vague. Mais il est passé à côté. Pourtant, à l’époque où il était maoïste, il était plus progressiste… Au Cameroun, beaucoup pourraient faire partie d’une nouvelle génération. Mais ils sont en prison sous couvert de l’opération Épervier…
Vous êtes vous-même menacée. Comment le vivez-vous ?
Je l’assume et je finance moi-même ma sécurité. C’est de l’argent que je ne peux plus mettre dans la défense des droits de l’homme mais je ne peux pas faire autrement. J’ai déposé de nombreuses plaintes [Jeune Afrique a notamment en sa possession l’une d’entre elles, pour « menaces de mort », datée du 20 octobre 2012, NDLR]. Mais personne ne m’a jamais rappelé. Les autorités ne veulent pas les prendre en compte, un peu comme le ministre de la Justice refuse de me recevoir. Je ne passe pourtant pas inaperçue…
Où en est le dossier Éric Lembembe, assassiné en juillet 2013 ?
Le cas est actuellement à l’information dans le cabinet d’un juge d’instruction de Yaoundé. Mais je me demande bien comment il va procéder. Il doit s’appuyer sur le travail des policiers qui ont été les premiers sur les lieux, or aucune disposition n’a été prise pour relever des indices quand on a découvert le corps. Je souhaite qu’on retrouve les meurtriers d’Éric mais je ne vois pas comment. On ne nous a pas rassurés sur la volonté de faire justice, ni sur la capacité de le faire. Maintenant, les autorités sont au pied du mur. On attend la suite. Mais à un moment, si ça n’avance pas, on mettra la pression.
Jeuneafrique