Les questions d’intimidation et d’homophobie préoccupent de plus en plus les milieux scolaires. Des campagnes d’information ou de sensibilisation se développent, mais cette réalité demeure un sujet délicat alors que l’adolescence est une période cruciale de la vie. Une étude codirigée par la professeure Alexa Martin-Storey, de la Faculté d’éducation, fournit de nouveaux éléments pour mieux intervenir auprès des jeunes faisant partie des minorités sexuelles – qu’ils soient gais, lesbiennes ou bisexuels. «Cette étude montre que le harcèlement par les pairs ne cause pas d’effets uniques chez les jeunes de minorités sexuelles, dit la professeure. On observe des différences notables dans ce qui conduit à l’apparition de comportements à risque chez les filles et les garçons.»
L’étude, réalisée avec Robert Crosnoe, de l’Université du Texas à Austin, a été menée à partir d’un échantillon de 957 individus âgés de 15 ans, tiré d’une banque de données américaine du National Institute of Child Health and Human Development.
Comportements à risque
Les comportements à risque que peuvent adopter les jeunes sont des actions qui mettent l’accent sur des bénéfices à court terme et minimisent les conséquences à long terme. Il peut s’agir par exemple de pratiques sexuelles à risque, de conduite dangereuse, de consommation d’alcool ou de drogue, ou de délinquance. Certaines études antérieures ont montré que les jeunes des minorités sexuelles ont davantage de ces comportements.
Or, comment le harcèlement lié à l’orientation sexuelle vient-il influencer l’apparition de ces comportements? Alexa Martin-Storey et son collègue proposent et comparent deux modèles pour prédire les effets potentiels du harcèlement vécu par les jeunes des minorités sexuelles. Les modèles ciblent des effets de «médiateur» ou de «modérateur» des comportements à risque (voir encadré plus bas).
Filles et garçons
L’analyse faite par les chercheurs est révélatrice. Chez les filles, c’est l’effet «modérateur» qui explique le mieux l’apparition des comportements à risque. Le statut de minorité sexuelle étant moins stigmatisé pour les femmes, celles-ci ont souvent un plus grand réseau d’amis et davantage de contacts avec les pairs. Cela peut avoir des effets positifs ou négatifs dans l’adoption de comportements à risque. «Par exemple, il peut arriver que des filles trouvent du soutien dans leur réseau. En revanche, d’autres qui vivent du harcèlement par les pairs peuvent se regrouper et poser des gestes risqués en guise de protestation», dit Alexa Martin-Storey.
Chez les garçons, les comportements à risque s’expliquent davantage par l’effet «médiateur» du harcèlement. Ainsi, les jeunes qui sont harcelés sur la base de leur orientation sexuelle sont sujets à prendre des risques. Cependant, les jeunes hommes anticipent davantage être victimes de stigmatisation, d’exclusion et d’homophobie que les femmes. Cette réalité ambiante peut amener les jeunes homosexuels à s’isoler davantage. Les contacts restreints avec les pairs ont pour effet de réduire les comportements à risque. «Pour les garçons qui ne vivent pas de harcèlement, l’orientation sexuelle à elle seule apparaît comme un facteur de diminution des comportements à risque, dit la professeure. C’est une hypothèse qui reste à creuser, mais il est important de mieux comprendre comment l’isolement social et les conséquences de cet isolement peuvent être associés avec le bien-être des jeunes.»
Mieux intervenir
Selon Alexa Martin-Storey, cette étude pourrait ouvrir la porte à de meilleures interventions auprès des jeunes concernés par ces problématiques. «Cette étude offre deux grandes contributions, dit-elle. La première, c’est de montrer que le harcèlement n’a pas un effet uniforme sur l’ensemble des jeunes et que les mécanismes sont influencés par plusieurs facteurs, dont le sexe. Le second élément, c’est qu’il s’agit d’une des premières études ciblant les différences entre garçons et filles qui est faite à partir de statistiques de population générale, plutôt qu’avec un échantillon ciblé de jeunes liés aux minorités sexuelles.»
Sur le terrain, les efforts de prévention et d’information sur le harcèlement se développent : «On voit par exemple des écoles qui encouragent la création de clubs LGBT pour mieux intégrer les élèves, dit Alexa Martin-Storey. Il y a aussi des ateliers sur l’intimidation en général. Beaucoup de travaux scientifiques portent sur ces questions et ça bouge très vite. Notre étude fait ressortir l’importance de s’intéresser à des types plus spécifiques de harcèlement. Des interventions plus ciblées pourraient montrer que non seulement le harcèlement conduit à la stigmatisation, mais que les conséquences peuvent être plus grandes encore», conclut-elle.
D’ailleurs, la professeure poursuit ses recherches sur le même thème en observant les phénomènes sur la population québécoise. Elle s’engagera bientôt dans une collecte de données de population estrienne, qui s’effectuera en collaboration avec un organisme lié à l’Agence de santé et des services sociaux de l’Estrie, ainsi qu’avec le Groupe de recherche sur les inadaptations sociales de l’enfance de l’UdeS.
Harcèlement : «médiateur» ou «modérateur» des comportements à risque
Le cadre d’analyse de l’étude repose sur deux modèles d’interprétation des données. Le premier modèle réfère à une approche généralement admise, où le harcèlement lié à l’orientation sexuelle peut avoir un effet de «médiation». C’est-à-dire que plus le harcèlement est présent, plus le potentiel de comportements à risque est grand. Le second modèle est dit de «modération». Selon cette approche, le harcèlement peut exacerber les comportements malsains, mais en revanche, les jeunes homosexuels qui ne subissent pas de harcèlement par les pairs ont des niveaux de risque plus bas qui se rapprochent des jeunes hétérosexuels. «Les deux modèles proposent des explications plausibles, mais n’ont pas été comparés dans les études précédentes. Le cœur de l’étude est de faire cette comparaison, puisque la connaissance fine des mécanismes du harcèlement et ses effets permettront de mieux structurer et cibler les interventions de prévention», explique la chercheuse.
>> The role of peer harassment in the association between sexual minority status and adolescent risky behavior was examined for 15-year-olds in the NICHD Study of Early Child Care and Youth Development (n = 957). The findings, although exploratory, suggest the importance of gender. For girls, peer harassment was best viewed as a moderator of the link between sexual minority status and increased risky behavior. It intensified an existing association, reflecting the gendered nature of the impact of sexual minority status on the adolescent social context. For boys, peer harassment was primarily a mediator, such that sexual minority status was associated with more risky behavior via elevated harassment, although sexual minority status itself was associated with lower risky behavior overall.
avec Robin Renaud