Anti-IVG et Opus Dei : la #ManifPourTous s’exporte en #Espagne 🙁
Devant un parterre de hauts dignitaires catholiques espagnols, Ludovine Dutheil de La Rochère est accueillie comme une vedette. Matador anti-loi Taubira, l’actuelle présidente de la Manif pour tous a passé le week-end dernier dans la banlieue de Madrid, à l’invitation de l’université catholique San Pablo, pour y dispenser son expertise. Ragaillardi en France, le rassemblement des anti-mariage homo s’exporte de l’autre côté des Pyrénées.
Une « star » de la haine en terrain conquis
Dans les pages d’ »El Pais », le quotidien national, celle qui a repris les rênes de la Manif pour tous est présentée comme « la star » de l’événement, « l’activiste la plus visible en France contre la légalisation du mariage entre personnes de même sexe ». Derrière le pupitre du « Congrès de l’association des catholiques propagandistes », Ludovine de La Rochère affiche un sourire crispée. Pour le grand rassemblement de cette institution catholique séculaire et conservatrice, la salle compte parmi ses invités le gratin du clergé espagnol, comme l’archevêque Renzo Fratini et l’évèque auxiliaire de Madrid, mais aussi des historiens, des sociologues, et plusieurs personnalités politiques influentes. Tous « pro-vie » (c’est-à-dire anti-avortement), pro-famille et fidèles au Pape.
« On dit qu’il y a plusieurs types de familles et que c’est merveilleux, mais c’est complètement faux ! », assène la présidente de la Manif pour tous. « La loi Taubira est aberrante, elle ne se base pas sur la réalité et doit être combattue », soutient celle qui a été de toutes les manifestations contre la loi autorisant le mariage et l’adoption pour les homosexuels en France. L’ancienne attachée de presse de la conférence des évêques de France est en terrain conquis.
Ludivine de la Rochère en EspagneLudovine de la Rochère, star des conservateurs espagnols, donne une conférence avec l’ex-ministre de droite Isabel Tocino. ACdP
Un grand rassemblement anti-IVG
Mais pour l’heure, la priorité des conservateurs espagnols n’est pas tant de combattre le mariage des couples homosexuels que de mobiliser contre l’avortement. Les milieux catholiques se sentent trahis après le rétropédalage du gouvernement de droite. Fin septembre, le projet de loi controversé limitant la pratique de l’IVG a été enterré par Mariano Rajoy. Mais les conservateurs ne comptent pas se laisser faire. Une quarantaine d’associations anti-avortement appellent à manifester ce samedi 22 novembre à Madrid pour défendre la réforme, soutenus par plusieurs personnalités politiques de droite.
Le congrès du week-end dernier avait donc aussi pour but de préparer la bataille. Parmi les invités, l’ex-ministre de la Justice, Alberto-Luiz Gallardón, est remonté. Le porteur du projet de loi pour limiter l’avortement avait démissionné quelques heures après l’annonce de son abandon par le chef du gouvernement. « Tout ça me dégoute », lâche l’ex-ministre pendant sa conférence chez les « Propagandistes » en se lançant dans une diatribe contre l’avortement, « méthode contraceptive des jeunes », « cause de l’atroce crash démographique », et défendant la famille « indestructible » face aux « fausses politiques du genre, aux féminismes mal compris et aux fausses idéologies progressistes ». Un discours très applaudi.
Celui de Ludovine de La Rochère l’est aussi. La « défenseure » de la famille est accompagnée d’une ex-ministre du gouvernement Aznar, Isabel Tocino. Administratrice d’une grande banque, pourfendeuse les lois « contre-nature », elle est membre du Conseil d’Etat et de l’Opus Dei. L’organisation catholique très controversée compte nombre de représentants au Congrès des « Propagandistes », comme le meneur de la manifestation anti-IVG de samedi, Begnino Blanco. Pour lui, l’avortement est « une forme de violence machiste », une conséquence de « l’idéologie du genre ».
Les bons conseils de la Manif pour tous
La dernière grande manifestation contre le droit à l’avortement en Espagne avait rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes autour de la droite catholique, en 2009. Samedi, à Madrid, les conservateurs espèrent bien être aussi nombreux. Et leurs amis français de « la Manif » semblent leur avoir donné des idées. Admiratifs devant la marée de contestataires qui a déferlé sur la France pour dire non au mariage pour tous en 2013, ils savent aussi que le mouvement est loin d être enterré, et qu’il a même réussi a s’infiltrer dans la vie politique française.
Car les antis-mariage homo se frottent encore les mains après l’aveu de Nicolas Sarkozy, samedi dernier. Devant une foule de militants de « Sens commun », courant de l’UMP issu de la Manif pour tous, l’ex-président a fini par prôner l’abrogation de la loi Taubira.
L’invitation en Espagne de Ludovine de La Rochère offre une formidable tribune à son mouvement. La présidente est interviewée par les principaux journaux conservateurs « ABC » et « La Razon ». Si elle évite soigneusement de prendre position sur l’avortement, elle estime dans l’un que la manifestation de samedi va « influencer la démocratie espagnole », et dans l’autre que « l’avortement fait parti des thème qui ont été imposés au peuple sans tenir compte de leur opposition ».
Tea-party et groupuscule d’extrême-droite
Outre sa conférence au Congrès des catholiques propagandistes, Ludovine de la Rochère a aussi exposé sa science de l’agit-prop devant une autre association conservatrice, « Hazte Oir » (« Fais-toi entendre »).
L’association de militants civiques et religieux se présente comme un rassemblement de citoyens actifs qui ambitionnent de peser sur la scène politique. Outre l’organisation de manifestations et happening anti-avortement ou anti-mariage homo, les membres d’ »Hazte Oir » ont récemment participé à une action au Musée Reina Sofia contre une exposition artistique jugée « anti-religieuse ».
Présenté comme le « Tea-Party » espagnol, « Hazte Oir » ambitionnait déjà de se lancer en politique il y a plusieurs années, dans l’ombre du PP (Parti de droite, actuellement au pouvoir). Mais ses militants sont loin d’être tous des saints… On leur a notamment reproché des liens étroits avec un groupuscule d’extrême-droite d’inspiration mexicaine et un lobby néo-conservateur américain. Dès 2009, des catholiques modérés signalent ainsi les accointances entre « Hazte Oir » et « La Yunke » mexicaine.
Cette organisation secrète d’extrême-droite fondée dans les années 50 milite pour « la défense de la religion catholique et la lutte contre les forces de Satan », sans écarter l’emploi de la force. « Hazte Oir » a toujours nié appartenir à l’organisation secrète mais les liens supposés avec la branche espagnole du groupuscule intégriste ont été avérés lors d’un procès en diffamation contre une association de chrétiens laïcs qui dénonçaient l’infiltration de la « Yunque » au sein de l’Eglise et de la droite.
En mai 2014, un juge de Madrid a ainsi certifié que plusieurs membres de « Hazte Oir », appartenaient à la « Yunque », dont certains sont toujours porte-parole de l’association aujourd’hui. D’autres fondateurs sont aussi passé par le « Goldwater Institute » de Phoenix en Arizona, un puissant think thank néo-conservateur, comme le reconnaissait Ignacio Arsuaga dans une enquête d’El Pais sur l’association.
« Hazte Oir » semble avoir fait oublier ses sinistres fréquentations, et le mouvement a repris de plus belle son cheval de bataille : la loi sur l’avortement. Pourtant, si la plateforme est très active sur internet, elle peine à mobiliser dans la rue. En février dernier, « Hazte Oir » manifestait à Madrid pour rouvrir le débat sur le mariage et l’adoption pour les couples homos, mais pendant qu’à Paris, simultanément, la Manif pour Tous revendiquait 500.000 personnes (80.000 selon la préfecture), à Madrid seulement 300 personnes s’étaient déplacées autour d’Ignacio Arsuaga.
« Beaucoup de couleur »
Le fondateur d' »Hazte Oir » se tient aux côtés de la présidente de la Manif pour tous pendant sa conférence à Madrid. Une heure durant, Ludovine de La Rochère expliquera par le menu comment la Manif pour tous a « travaillé et rassemblé des Français confrontés aux mêmes problèmes que les Espagnols ». A grand renfort de story-telling (« les veilleurs se tenaient silencieusement nuit et jour ») et de conseils pratiques (« Toujours une communication festive, avec beaucoup de couleurs »), la communicante prêche sa bonne parole, martelant tout du long que « tout enfant nait d’un homme et d’une femme », et que « tout enfant à besoin d’un père et d’une mère ». Elle conclut son laïus par une mise en garde sur « l’idéologie du genre » et les dérives du « transhumanisme », « comme le clonage », son prochain cheval de bataille, futuriste, « pour ne pas être en retard cette fois ».
La présidente souhaite « bon courage » aux manifestants espagnols en espérant que « les mois qui sont devant vous montreront que vous ne lâcherez pas ».
Contactée par « L’Obs », Ludovine de La Rochère précise que ce soutien s’adresse d’avantage à des citoyens qui sont « confrontés à des politiques qui ne respectent pas leurs engagements ». Elle affirme par ailleurs ne jamais avoir entendu parler de « La Yunque » : « Je tombe des nues. Je dois être trop naïve. Mais en espagnol, c’est plus difficile d’être bien informée. »
Une manif pour tous… les européens ?
« Hazte Oir » n’est pas le seul groupe à s’inspirer de la Manif pour tous. Le président des « Propagandistes », Carlos Romera Caramelo, a ainsi clôt le Congrès en ouvrant la voie à la création imminente d’un mouvement de la société civile pour faire pression sur les politiques. L’institution supportait d’ailleurs « Hazte Oir » en 2009, quand l’association avait déjà des visées politiques.
Mais l’analogie entre les mouvements conservateurs français et espagnols ne s’arrête pas à la forme. La Manif pour tous travaille déjà en coopération avec d’autres associations défendant « la famille », dans plusieurs pays européens. Un collectif européen incluant la Manif pour tous vient par exemple de lancer une pétition à l’attention du Conseil de l’Europe pour l’interdiction de la gestion par autrui. « Nous devons agir au niveau national, mais aussi au niveau européen », renchérit Ludovine de La Rochère. Si elle est entendue, gageons que le cortège de Madrid samedi sera à son tour un camaïeu de pull bleu-ciel et de foulards roses bonbon.