Charles a attendu ses 40 ans. Jessica en a parlé à 21 ans. Julianne à 23, Stéphane à 24 et Serguei à 17 ans. Pour chacun d’entre eux, le « coming-out », ou autrement dit la révélation aux proches de leur homosexualité, fut un instant déterminant, vécu différemment, mais avec à la fin un même sentiment de soulagement. Quelle qu’en a été l’issue et en dépit parfois de certains mots qui blessent, aucun ne regrette en effet d’avoir sauté le pas. De tous leurs témoignages, on retient par ailleurs une chose: s’il paraît plus facile de s’assumer gay en 2015 qu’il y a vingt, trente ou quarante ans, cela ne va pas forcément de soi. Un signe qui ne trompe pas: la plupart des personnes interviewées pour cet article ont préféré rester dans l’anonymat. Non par refus de s’assumer, mais de crainte de heurter leurs familles.
Y’a-t-il une « bonne » façon de parler à ses parents, amis, frères et soeurs de son orientation sexuelle? Comment comprendre les réactions parfois épidermiques des proches, comment y faire face? Et d’ailleurs, est-on obligé de faire son coming-out?
« S’exposer, c’est faire un pari: celui d’être accepté ou rejeté »
« Bien sûr que non, personne n’est obligé », répond d’emblée Paul Parant, rédacteur en chef web du magazineTêtu et auteur de Osez faire votre coming-out aux éditions La Musardine. Mais, poursuit-il, « je poserais la question inverse: pourquoi ne pas le faire? Trop souvent, par facilité peut-être, on se dit qu’il serait plus confortable de ne rien dire. Il est vrai que cela revient à s’exposer, dévoiler des réalités (et notamment l’hostilité des autres). C’est faire un pari. Celui d’être accepté ou rejeté. Mais il est important de s’apercevoir que se taire aussi, a un coût, celui de compartimenter sa vie, vivre dans le mensonge et ne pas être authentique avec les autres. » Or, rappelle Paul Parant, « le bien être, tous les psychologues le disent, c’est avoir la sensation d »être soi’. De nombreux homosexuels dans le ‘placard’ connaissent une dépression, et donner sa vérité est le ‘top départ’ d’une reprise de contrôle de son destin. La vie est trop courte pour la vivre dans la pénombre! »
« Insister sur le fait qu’on est heureux » plus que sur l’orientation sexuelle
Si les bonnes raisons de parler sont donc nombreuses, le passage à l’acte reste souvent difficile, le mode d’emploi n’existant pas vraiment. « Il y a de nombreuses méthodes, à chacun la sienne », résume Paul Parant. « Dans mon livre, j’insiste sur le fait que si on choisit des moyens détournés -par lettre, par sous-entendus, en laissant traîner une brochure, par un tiers-, cela ne doit pas remplacer une bonne discussion. » Le pire serait en effet, explique l’auteur, « de faire savoir qu’on est homo, mais de refuser d’en parler par la suite ». La personne à qui on s’est révélé pourrait alors croire -à tort le plus souvent- que l’on vit mal son homosexualité, qu’il y a une gêne, un tabou. « C’est le silence qui crée le mal-être, pas le dialogue. »
Stéphane, jeune marié de 40 ans, se souvient encore parfaitement du jour où il s’est confié, à 24 ans, à ses parents. « C’était un 24 décembre. Sans vraiment le vouloir, j’ai choisi un moment un peu officiel, un rassemblement familial. Je n’avais pas tellement d’appréhensions, mes parents ont toujours été très ouverts, progressistes, compréhensifs. A ce moment là, c’était pour moi une nécessité, parce que j’avais rencontré un garçon que j’aimais, je ne voulais pas garder ça pour moi. J’ai d’ailleurs annoncé cette rencontre plutôt que de dire « je suis gay ». Je crois qu’insister sur le fait qu’on est heureux, sûr de soi, cela rend les choses plus faciles ». On n’est alors pas dans le registre du traumatisme, de la révélation d’un secret honteux ou douloureux mais simplement dans une volonté de vivre son bonheur au grand jour. » De fait, le coming-out de Stéphane s’est bien déroulé, bien qu’en dépit de leur ouverture d’esprit, ses parents « ont eu à faire le deuil de la grand-parentalité, de ce qu’ils avaient sans doute projeté sur moi ». « J’ai senti aussi une peur que je sois victime de discrimination, que ma vie soit plus compliquée que pour un hétérosexuel. Je crois que cela ne peut jamais être totalement simple, d’accueillir cette nouvelle. »
Le révéler en premier à la personne qui saura écouter
Le coming-out de Serguei est l’illustration de cette complexité. « Mon père a relativement bien réagi, d’autant que j’avais appris précédemment que lui-même avait une attirance pour les hommes. D’une certaine manière, cela a été un double coming-out. Mais ma mère, elle, peut-être à cause de cela, l’a bien plus mal vécu. Elle m’a interdit d’en parler à mes frères et soeurs, ce que j’ai fini par faire malgré tout. Elle a alors explosé. Des mots ont été prononcés, de ceux qui blessent pour longtemps. Ma réaction a été sans appel, je ne l’ai pas vue pendant un an. » Et puis petit à petit, le lien s’est recréé, raconte Serguei, au point qu’aujourd’hui sa mère milite pour les droits des gays et pour le mariage pour tous.
D’une manière générale, mieux vaut, lorsque l’on appréhende la réaction de son entourage, « commencer par une personne dont on sent qu’elle saura vous écouter », conseille Julianne, qui a elle-même préféré parler en premier à son père, avec lequel « le contact passait alors mieux ». Autre suggestion de Julianne, « le dire à chacun séparément, pour éviter la non réaction de l’un ou de l’autre qui se cacherait derrière les paroles des autres. »
« La rencontre de l’autre a facilité la compréhension »
C’est ce que Charles a choisi de faire. « J’ai vécu dans la clandestinité de mon orientation sexuelle pendant 40 ans, raconte-t-il. Parce que dans la ruralité catholique des années 1990, l’homosexualité était un tabou. Parce que durant les années 2000, je voulais croire à autre chose. Parce que chacun a le droit aujourd’hui de faire son coming-out au moment où il/elle le souhaite. » Ce n’est qu’après s’être installé à des milliers de kilomètres et avoir rencontré l’âme soeur, qu’il s’est ouvert il y a deux ans à sa famille. « Cela s’est passé en face à face avec mon frère cadet, premier à le savoir et à connaître par la même occasion celui qui partage ma vie depuis. Beaucoup de mal à sortir les mots justes de ma bouche, des larmes de bonheur et le sentiment d’une immense libération car en face l’accueil était généreux, seul comptait mon équilibre. Ma plus jeune soeur l’a appris ensuite alors qu’elle venait me rendre visite en famille. La rencontre de l’autre a facilité là aussi la compréhension. »
Charles choisit enfin le téléphone pour parler à ses parents. « Là, le choc a été total. Ma mère est tombée d’une falaise, mon père a refusé de me parler. Lorsque, plus tard, je les ai revus, ils m’ont parlé de mon ‘problème’ et m’ont expliqué qu’ils auraient préféré le savoir avant pour tenter de faire quelque chose, qu’ils priaient pour que je redevienne normal. » « Je ne regrette pas d’avoir attendu tout ce temps: je comprends que face à la violence verbale, des jeunes adultes soient désespéré(e)s », confie-t-il.
Laisser le temps aux proches d’accepter la nouvelle
« Les rejets existent, mais dans la plupart des cas, ils sont prévisibles », commente Paul Parant. Dans ce cas, suggère-t-il, il faut éviter de faire son coming out trop tôt, quand on n’est pas sûr de soi, quand on est en situation de dépendance vis-à-vis de ses parents, et prévoir une solution de repli au cas où cela se passe mal. Parfois, observe également Paul Parant, « les parents peuvent rejeter leur enfant comme une tentative désespérée de le ‘tester’, de le faire changer d’avis ». « Une réaction bien malheureuse évidemment, et même condamnable si le jeune est mineur. Il ne faut pas entrer dans ce jeu en leur accordant un doute. Le mieux est d’avancer dans sa vie d’un pas assuré et de prendre patience. »
« Ma mère, raconte pour sa part Jessica, avait été préparée par mon frère, lui aussi gay. Elle a plutôt bien pris les choses mais en revanche a mis beaucoup de temps à accepter que le reste de ma famille soit mis au courant. J’étais priée de ne pas avoir de contacts physiques en public, et je ne parle même pas de baisers. Donc quoi qu’il arrive, et même quand ça se passe bien, ça prend du temps d’être intégré et accepté par les parents. »
Il faut voir les choses sur le long terme, approuve Paul Parant: « Si on a, soi-même, mis un moment à accepter que l’on est homosexuel, il est juste d’accepter que nos proches mettent, eux-mêmes, un moment à l’accepter aussi. » Et de conclure en citant René Char: « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »
Le coming-out raconté par Martine, mère de famille
« J’ai toujours élevé mes enfants dans le respect de l’autre, défendu le mariage pour tous et le respect des différences. Mais lorsque ma fille m’a annoncé son homosexualité, malgré tous mes beaux discours, je me suis effondrée. C’est bien plus facile d’être tolérant quand il s’agit des enfants des autres. J’ai pleuré pendant une semaine. Je m’en veux aujourd’hui d’avoir réagi comme ça, alors que j’étais convaincue d’être capable d’accepter. Je lui en ai même voulu, alors que je sais que ce n’est pas un choix, et qu’il vaut mieux qu’elle assume plutôt que d’être malheureuse toute sa vie avec un homme. J’aurais voulu comprendre, savoir pourquoi. Je n’ai pas trouvé de réponse, elle n’a pas su en donner. J’aurai aimé qu’on me dise ‘c’est génétique’, mais non, rien n’est prouvé. C’est comme ça, on a pas d’autre choix que d’accepter comme elle l’a fait elle-même. Je m’en veux surtout de ne pas lui avoir parlé avant, quand j’ai commencé à avoir des doutes. Elle s’est débrouillée seule avec sa recherche d’identité, ça a été difficile pour elle, mon rôle de mère était de l’aider mais je n’ai rien voulu voir, je n’ai pas été présente et aujourd’hui ça reste mon plus grand regret. »
Par Caroline Franc Desages
Journaliste et auteur du blog Pensées by Caro
(lexpress.fr)