La liberté a toujours fait peur. Si une partie de la gauche est tétanisée lorsqu’il s’agit de desserrer le carcan réglementaire dans le domaine économique et social, une partie de la droite s’arc-boute contre toute évolution sociétale. Le récent référendum irlandais sur le mariage homosexuel a encore souligné le décalage entre la vieille France archaïque et la réalité sociologique dominante dans les démocraties contemporaines.
Le référendum sur le mariage gay en Irlande
Le vendredi 22 mai, les Irlandais devaient se prononcer sur une modification de leur Constitution permettant d’autoriser le mariage entre deux personnes de même sexe. 62,1% d’entre eux ont répondu positivement. Tous les grands partis s’étaient prononcés en faveur de cette évolution sociétale. Un tel résultat a de quoi surprendre dans un pays où l’homosexualité était un délit jusqu’à 1993. Il signifie tout simplement que depuis cette date, une évolution de la société s’est produite en profondeur. L’électorat catholique très traditionaliste n’est plus majoritaire ; une jeunesse beaucoup plus ouverte aux changements de modes de vie l’a remplacé. Martin Diarmund, archevêque de Dublin, l’a d’ailleurs reconnu dans une interview à The Express : « Il est clair que si ce référendum affirme l’opinion des jeunes, il reste beaucoup à faire à l’Église ». Les opposants au mariage homosexuel ont d’ailleurs été beaux perdants et ont félicité les vainqueurs.
La France incomprise à l’étranger
Le fair-play des perdants irlandais contraste avec le comportement des opposants français au « mariage pour tous ». L’Irlande, pays ultra-catholique, se comporte raisonnablement face à un choix démocratique alors que la France, terre des droits de l’homme et des libertés, en avait fait un psychodrame politicien de mauvais goût. La différence entre les deux pays ne se situe pas dans l’évolution de l’opinion publique : dans les deux cas, elle est devenue largement favorable au mariage homosexuel. Elle résulte des manipulations politiciennes dont les Français sont constamment victimes. La fameuse Manif pour tous, qui était à l’origine l’émanation d’une sensibilité catholique traditionaliste bien présente dans l’opinion, mais minoritaire, s’est transformée en une protestation politicienne contre le pouvoir en place. La manipulation politicienne a produit un changement de leadership. Frigide Barjot, qui avait créé un personnage sympathique devenu célèbre, a été remplacée par des militantes associatives particulièrement réactionnaires, Ludivine de la Rochère et Béatrice Bourges. Sous couvert de positions éthiques rigoristes, elles n’étaient que les médiocres porte-paroles d’une manœuvre politicienne.
La France étonne de plus en plus à l’étranger par ses blocages face aux évolutions du monde. Qu’il s’agisse de la paralysie de la gauche interdisant toute adaptation structurelle aux réalités planétaires ou du raidissement d’une certaine droite à caractère confessionnel devant toute évolution sociétale. Nous sommes de plus en plus regardés dans les milieux cultivés européens comme un pays imprévisible, incapable d’évoluer sereinement et construisant son histoire par à-coups successifs qualifiés a posteriori de « révolutions » pour ennoblir un tant soit peu un échec.
L’archaïsme religieux est minoritaire chez les catholiques
Les autorités religieuses jouent presque toutes un rôle de frein dans le domaine sociétal. Mais une très lente ouverture aux réalités nouvelles semble apparaitre au sein même de certaines institutions religieuses, en particulier juives et protestantes. Depuis plusieurs décennies en France, chaque modification législative sociétale suscite l’opposition farouche des représentants de l’Église catholique qui semblent incapables d’appréhender les sensibilités émergentes. L’Église catholique va ainsi d’échec en échec et perd toute crédibilité. Qu’il s’agisse de la libéralisation de la contraception (loi Neuwirth de1967), de l’interruption volontaire de grossesse (loi Veil de1975), du pacte civil de solidarité (loi de1998) ou du mariage pour tous (loi Taubira de 2013), l’Église catholique s’est toujours prononcée contre la liberté nouvelle alors que la droite parlementaire était en général favorable au texte proposé ou très divisée. La crispation des traditionalistes semble aller croissant et leurs échecs répétés les coupent de l’opinion publique, mais l’attachement à un dogme archaïque semble toujours prévaloir sur l’adaptation au réel. Le dogmatisme, religieux ou non (que l’on pense aux marxistes), présente une constante : il est source d’aveuglement.
Les sondages montrent que les catholiques français ont évolué avec l’ensemble de l’opinion et partagent de moins en moins le dogme de l’institution ecclésiastique. Les résultats d’un sondage BVA réalisé en février 2014 le confirment. 90% des catholiques interrogés se prononcent en faveur du droit à l’IVG et 54% d’entre eux en faveur du mariage des couples homosexuels (contre 61% de l’ensemble des Français). 42% des catholiques interrogés approuvent l’homoparentalité (contre 50% de l’ensemble des Français). On peut donc affirmer que… la messe est dite. Le clergé catholique, et en particulier ses dirigeants, devra opérer un aggiornamento idéologique ou se marginaliser.
Les autres religions
L’Islam de France a une attitude tout aussi décalée de l’opinion publique que l’Église catholique. Le Conseil français du culte musulman avait ainsi publié en 2012 un avis soulignant la « non-conformité » du mariage homosexuel aux « principes de la jurisprudence musulmane » car il entraîne la « transformation profonde d’une institution millénaire qui a permis à l’humanité de continuer à exister ». Autrement dit, l’avenir ne peut être qu’à l’image du passé.
La position des autorités religieuses juives est plus diversifiée. Il va de soi que les juifs traditionalistes s’opposent au mariage homosexuel mais il existe des communautés juives libérales, minoritaires en France, mais majoritaires dans le monde, qui ont une position très différente. Selon le journal La Croix, « la Conférence centrale des rabbins américains (CCAR), qui représente 1,5 million de juifs libéraux, a voté en mars 2000 une résolution autorisant le mariage entre personnes de même sexe, tout en reconnaissant aux rabbins le droit de refuser de bénir religieusement ces unions. »
Le culte protestant est lui aussi divisé. En France, l’Église protestante unie de France (EPUdF) a autorisé récemment les pasteurs à bénir les couples homosexuels. Les 500 pasteurs de cette Église n’ont aucune obligation à cet égard mais disposent de toute liberté. Par contre, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF), autre obédience protestante, a condamné cette « décision consternante ».
Les croyants construisent le futur contre la hiérarchie religieuse
Les religions aspirent donc encore à jouer leur rôle millénaire : régenter les modes de vie en édictant des interdits moraux au nom d’un Dieu qu’elles prétendent représenter. Mais la diffusion des connaissances et l’élévation du niveau culturel moyen dans les pays développés libèrent peu à peu des croyants des dogmes imposés par les institutions religieuses. Des positions considérées par les croyants comme allant de soi il y a un demi-siècle (opposition à la contraception et à l’IVG par exemple) sont devenues ultra-minoritaires parmi eux. La base bouscule ainsi le conservatisme étriqué du clergé et parvient à faire triompher la liberté.
Par Patrick Aulnas