Lors de la séparation de ses parents, Clémence avait six ans. Une période compliquée à la suite de laquelle son père a révélé son homosexualité. Témoignage.
Avec le recul, je dirais que pour moi, comme pour la majorité des enfants je pense, le « drame » ça a été la séparation. Pas l’homosexualité de mon père. Je me rappelle assez peu de choses de cette période. J’avais six ans, j’étais fille unique, plutôt joyeuse, bonne camarade. Nous habitions Paris. Mon père et ma mère avaient chacun un boulot prenant qui les passionnait. A la maison, on recevait régulièrement.
Un jour, à mon retour de colonie de vacances, je me suis mise à pleurer dans la voiture. Je ne sais plus très bien pourquoi. Je me souviens que ma mère a dit quelque chose. Mon père lui a répondu sèchement. J’ai senti qu’il y avait une certaine tension entre eux. Cela ne m’a pas plus inquiétée que ça. Quelques temps plus tard, mon père quittait pourtant l’appartement familial. Cela s’est fait en douceur, mes parents m’ont toujours beaucoup préservée. Aujourd’hui il sont bons amis.
« Je ne me souviens pas que l’on en ait fait tout un plat »
A l’époque, mon père s’est installé dans un studio. Je le voyais assez souvent mais je ne vivais pas avec lui. Au travail, ses horaires étaient assez décalés. Je n’ai jamais vraiment parlé de cette période avec ma mère. Elle ne s’est jamais confiée à moi non plus, même longtemps après. Environ un an après la rupture, elle a rencontré quelqu’un. De leur relation est née ma petite soeur. A ce moment-là, je terminais l’école primaire.
Mon père lui, était assez discret sur sa nouvelle vie. Un jour il m’a présenté son copain. Je ne me souviens pas que l’on en ait fait tout un plat, on ne s’est pas mis autour d’une table au préalable, il ne m’a pas annoncé être homosexuel avec un ton très solennel. Son coming-out, je l’ai compris toute seule. Lui et son ami dormaient dans la même chambre, et ça ne m’a pas plus émue que ça. Cela a été plus difficile avec le nouveau compagnon de ma mère, le père de ma soeur. Vivre au quotidien avec une nouvelle personne, un étranger en somme, est finalement ce qui m’a le plus troublée.
« Tolérer la situation est une chose, l’accepter sans équivoque en est une autre »
Dans mon entourage en revanche, le sujet est toujours resté plus ou moins tu. Mes grands-parents, oncles et tantes ne m’en ont jamais parlé ouvertement. Je sais que mon grand-père a catégoriquement refusé de rencontrer les compagnons de mon père jusqu’à récemment, même si leur histoire était sérieuse. Ma grand-mère était plus mesurée. Malgré ce que j’imagine avoir été un choc pour eux, ils ont toujours conservé de bonnes relations avec mon père.
Il y a quelques temps, celui-ci s’est marié. Il a voulu quelque chose de simple, en petit comité. Mes grands-parents n’ont été prévenus qu’après le passage à la mairie. Pas parce qu’ils sont en froid -aujourd’hui ils connaissent celui qui partage sa vie et l’apprécient- mais plutôt parce que mon père ne voulait pas les mettre mal à l’aise je crois. Tolérer la situation est une chose, l’accepter sans équivoque en est une autre.
« Au collège, sans forcément le cacher, je me suis faite discrète »
A l’école, je n’ai pas vraiment eu de mal à en parler. Entendons-nous bien, je ne portais pas l’intimité de mon père comme un étendard mais si on en venait à me poser des questions sur lui, sur sa vie, je répondais honnêtement. Là où ça s’est corsé, c’est lorsque, avec ma mère, mon beau-père et ma petite soeur, nous avons déménagé. J’ai intégré un nouveau collège, je ne connaissais personne, c’était l’âge « bête ». Alors, sans forcément le cacher, je me suis faite discrète.
Je n’avais pas honte, simplement, au fil du temps, j’ai appris à reconnaître ceux et celles avec qui la discussion est de toute façon vouée à l’échec. De fait, plutôt que d’endurer des réflexions désagréables, aujourd’hui encore dans ce genre de cas, j’évite d’épiloguer sur le sujet. Sans compter qu’il s’agit quand même de la vie privée de mon père! Je n’ai pas envie d’avoir à me justifier. Ou pire, à le justifier.
« Justifier quoi? L’amour? »
D’ailleurs, au final, qu’est-ce qu’il pourrait y avoir à justifier? L’amour? Parce qu’au fond, pour moi, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ces derniers mois, au milieu de tous ces débats autour du mariage pour tous ou de l’homoparentalité, je me suis parfois dit que c’est ce qui était oublié. Comme si la peur occultait tout. Comme si la simple reconnaissance d’une réalité vécue par des milliers de personnes, dans l’ombre, risquait tout à coup de bouleverser l’ordre immuable des choses. Je ne suis pas en colère, je sais que cette angoisse vient surtout d’une méconnaissance de la situation. C’est aussi pour cela que je témoigne aujourd’hui. Si cela peut faire tomber quelques clichés, ce sera ça de pris.
*Le prénom a été changé
lexpress.fr