Acteurs de la société civile, personnalités mais surtout religieux « trop agités », organisés en collectifs homophobes, ils avaient appelé ce week-end à une mobilisation pour dénoncer « le phénomène de l’homosexualité : ce mal rampant, qui commence à prendre de l’ampleur au Sénégal ».
Indignés par la libération en décembre dernier de onze présumés homosexuels arrêtés à Kaolack, les manifestants réclamaient « la démission du ministre de la Justice, Sidiki Kaba, pour sa propension manifeste à défendre les homosexuels », ainsi que la « dissolution dans les meilleurs délais de toutes les Associations de défense des droits des personnes LGBT ». Ils souhaitaient également interpeller le chef de l’Etat sur « sa responsabilité de préserver les valeurs culturelles, religieuses et morales, base de la paix et de la cohésion nationale », exigeant des députés le durcissement de la législation criminalisant les « actes contre nature, en interdisant nommément : l’homosexualité, le lesbianisme, la bisexualité et les transgenres, afin de mettre fin à toute interprétation perverse de la loi ».
Mais la marche tant attendue, relayée par toute la presse locale en « fatwa contre les homosexuels », n’aura finalement pas eu lieu. Devant l’hostilité des participants, les projectiles et autres débordements, et la détermination surtout des riverains exaspérés, qui refusaient d’être « pris en otage » autour de la place où devait se tenir le regroupement, les forces de l’ordre ont été contraintes de « disperser » les manifestants. Les policiers auront également procédé à l’arrestation des plus échaudés, dont un imam particulièrement radicalisé sur le propos, conduits « manu militari au Commissariat de la Médina ».
« Ils se sont réunis en prétextant une marche pacifique pour troubler la quiétude d’un quartier et exiger l’éradication des homosexuels, allez comprendre ?! Il y avait des imams, dont la plupart sont d’ailleurs des opposants au gouvernement, et ils ont embrigadé tout le monde et n’importe qui, un peu comme pour la manif pour tous, en incitant aux débordements », nous explique Lamine, Dakarois et militant LGBT. « Ce sont d’ailleurs les habitants même du quartier qui ont protesté contre le rassemblement. Maintenant, avec l’arrestation de certains religieux, la mauvaise presse crie à l’injustice en expliquant qu’on a mis des gens dignes en prison, alors que le tribunal a libéré les homosexuels de Kaolack. Mais quel rapport ? Ils essaient d’attiser la population… J’ai même entendu des gens dans la rue qui racontaient que l’homosexualité était une maladie contagieuse et que les maris des femmes pouvaient devenir homosexuels et abandonner les foyers pour aller avec des hommes. Si la manif a pu embrumer les esprits en France, imaginez chez nous ?! » poursuit Lamine.
« C’est d’autant plus compliqué que toutes ces polémiques nuisent aux bonnes initiatives pour améliorer les conditions des LGBT et envisager la dépénalisation de l’homosexualité. Dans le lot, il y a même un imam qui a profité de l’incident pour affirmer dans les médias que si le président ne faisait rien pour arrêter les homosexuels, le pays risquait de basculer dans l’agitation. C’est de la politique sournoise. Il réclame la libération des manifestants, au risque d’attiser le feu et provoquer une rébellion.
Il y en a un autre, un professeur d’université, Malick Ndiaye, à l’origine d’ailleurs de cette marche et du collectif contre l’homosexualité, qui vient tout récemment d’être exclu du gouvernement. Au lieu de lutter contre la pauvreté dans le pays, favoriser l’éducation et la santé… il tacle le Garde des Sceaux, Me Sidiki Kaba, d’ignorant, indigne de son rang, parce qu’il aurait oublié que le Coran comme la Bible considèrent l’homosexualité comme un acte contre-nature. Mais ce sont eux les mécréants, qui aspirent au pouvoir en incitant au désordre et à la haine. Voilà où nous en sommes… et la situation ne risque pas de s’améliorer si on ne met pas en place des projets pour sensibiliser et éduquer un peu mieux la population sur la question notamment des minorités sexuelles. Nous pourrions être une force et contribuer à l’amélioration de notre pays plutôt que de servir de bouc-émissaires. »
Terrence Katchadourian
stophomophobie.org