C’est à la suite d’une menace de mort qu’elle reçoit à cause de son homosexualité que Michelle* se confie à ses parents. La réaction de sa mère est exemplaire : après l’avoir écoutée, celle-ci admet qu’elle le sait déjà. La jeune fille de 19 ans aujourd’hui en avait 13 à l’époque. Alice*, quant à elle, découvre son orientation sexuelle plus tardivement, à l’âge de 19 ans. « Avant cela, j’étais homophobe. En l’absence de sensibilisation adéquate sur le sujet, je n’avais que des idées fausses sur l’homosexualité », affirme l’étudiante de 22 ans. Convaincue de son hétérosexualité, elle avait alors entamé une relation avec un homme qui s’avère posséder des « caractéristiques féminines ».
Marc*, de même, essaye de s’engager dans des relations amoureuses avec des filles, sans succès. Le jeune homme de 19 ans décide alors qu’il ne peut pas « guérir de son homosexualité ». Ses études en psychologie lui confirment par la suite son constat. Son attirance envers les garçons remonte à très loin, « aussi loin que je m’en souvienne », dit-il.
C’est également le cas de Zouheir Kreidié. À sept ans, ce dernier se croyait anormal : « Au Liban, la sexualité est un sujet tabou. C’est encore pire pour l’homosexualité », soutient l’étudiant à l’Iesav (USJ). Toutefois, le cinéaste en devenir estime que ce sont ses ambitions qui le définissent et non pas son homosexualité. D’ailleurs, à 26 ans, son court-métrage Veux-tu m’épouser a été sélectionné pour être présenté au Festival international du film de Beyrouth (Biff) en octobre 2014, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie le 17 mai 2015 et au festival Queer Screen de Sydney en décembre 2015.
Michelle, elle, considère qu’elle ne peut pas afficher son homosexualité publiquement si elle veut réaliser son ambition de devenir enseignante. « Les gens ici ont tendance à associer à tort homosexualité et pédophilie. » Elle signale ainsi l’importance de lutter contre l’ignorance. Néanmoins, les quatre étudiants se voient pleinement acceptés au sein de leur campus. D’ailleurs, Marc affirme que son université, l’AUB, punit de renvoi les auteurs de commentaires discriminatoires. Zouheir, de son côté, souligne l’attitude accueillante de son entourage, notamment celle de sa mère qui, doutant de son homosexualité, l’a abordé avec humour : « Alors, ce rendez-vous amoureux, c’était avec une fille ou un garçon ? »
Un vécu difficile
La vie des jeunes homosexuels demeure toutefois tourmentée. Michelle raconte son adolescence. La direction de son école, ayant appris la présence de filles homosexuelles au sein de l’établissement, a créé le poste de « surveillante de toilettes », celles des filles uniquement. Cette même direction l’a prise un jour de côté pour lui imposer de couper de nouveau ses cheveux après qu’ils aient repoussés. Michelle a beau insister qu’elle est une fille et que ce règlement ne s’applique pas à elle, en vain. La réponse de la direction lui fait l’effet d’une douche froide : « Tu agis comme un garçon, nous allons te traiter comme un garçon. » Si la direction réagit de la sorte, à quoi doit-on s’attendre de la part des élèves ? En effet, un camarade de classe, voulant s’assurer du sexe de Michelle, lui assène un coup de genou entre les jambes alors qu’un autre la tient plaquée contre le mur. Finalement, l’adolescente est renvoyée de l’école à l’âge de 15 ans. « Parce que nous n’allons pas ouvrir une classe de première L comme tu le souhaites », prétend la direction alors que la jeune fille est encore en classe de troisième.
Pour Alice, l’épreuve la plus difficile reste de savoir que ses parents sont toujours en déni : « Ils continuent à croire que c’est une phase. Je sais bien que ce n’est pas le cas. » La jeune étudiante confie comprendre ses parents – qui ressemblent à beaucoup de parents libanais – et la raison de leur déception. « Selon eux, j’ai échoué à remplir mon rôle de femme, qui serait de me marier et d’avoir des enfants. » La jeune fille souligne que l’homosexualité n’est pas due à une mauvaise éducation de la part des parents, avant de conclure : « Les gens doivent savoir que mon orientation sexuelle n’est pas un choix, et surtout qu’elle ne nuit à personne ! »
Zouheir, quant à lui, évoque les commentaires de certains de ses proches qui considèrent que « Dieu le guérira un jour » et que « sa situation va s’améliorer ». Pour lui, ces propos sont aussi homophobes qu’un comportement violent. Comment agit-il face à cela ? « J’affirme mon homosexualité avec plus de ferveur. Qui sont ces gens pour me juger ? », répond-il tout simplement.
Raviver le débat
« J’encourage les homosexuels qui vivent cachés à changer d’attitude vis-à-vis de leur homosexualité. Comment voulez-vous être acceptés si vous ne vous acceptez pas vous-mêmes ? », lance Zouheir qui vit aujourd’hui son homosexualité très ouvertement. En face de lui, Michelle déclare ne pas cacher son orientation sexuelle sans pour autant la crier sur tous les toits. « J’ai peur d’être arrêtée un jour pour homosexualité », dit-elle faisant allusion à l’article 534 du code pénal qui réprime « les relations sexuelles contre nature ». Alice se méfie également des fanatiques religieux qui peuvent être très violents. Marc, quant à lui, avoue ne pas comprendre ces derniers qui prêchent l’amour tandis qu’ils n’arrivent pas à tolérer une personne en raison de son orientation sexuelle. Il appelle à un changement de la loi et des mentalités. « Il est grand temps de mûrir ! », s’indigne-t-il, conscient que l’homophobie persiste dans la toile de fond libanaise.
Roula Abi Habib Khoury, chef de département de sociologie et d’anthropologie à l’USJ, tente d’expliquer les raisons de cette homophobie persistante. Pour elle, la société a tendance à fonder sa conception de la normalité sur « ce qui est, ou semble être, naturel et donc largement répandu ou majoritaire », comme l’hétérosexualité. C’est dans ce sens que les homosexuels, comme les gauchers dans un monde où les droitiers sont majoritaires, peinent à être acceptés. Elle ajoute que l’acceptation de l’homosexualité au Liban n’adviendra pas si le débat demeure timide. « Il s’agit de le ramener au sein des universités, des associations et, pourquoi pas, des partis politiques et de l’aborder en nous débarrassant de cette attitude de gardiens de la morale. »
Il est urgent de réaliser qu’intolérance ne rime qu’avec ignorance, de savoir que l’acte sexuel ne doit plus être ouvert au public, mais gardé dans l’intimité du couple consentant, d’arriver à un temps où les personnes homosexuelles ne seront plus obligées de conserver leur anonymat.
*Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat de ces témoins.