Comment bien vieillir avec le VIH ? La question figure au coeur des préoccupations des malades, trente ans après la découverte du virus du sida, alors que leur espérance de vie s’allonge. Marie et Antoine (*) se projettent plus ou moins, chacun avec ses repères, tandis que la coordination régionale VIH se penche activement sur le sujet.
« Aujourd’hui, je ne pense plus à la maladie. Je prends mon traitement comme un banal cachet le matin. Je me vois vivre jusqu’à 70 ans-80 ans. Je ne me vois plus mourir comme à certaines périodes lorsque j’avalais jusqu’à 32 cachets par jour, que j’étais maigrichonne, épuisée et égarée dans la vie », confie Marie. Marie a découvert qu’elle était porteuse du virus du sida à 23 ans, en 1993, lors d’examens préalables à une intervention chirurgicale. « Tout s’est arrêté, plein d’images ont défilé. Je n’ai pas pu le dire à ma mère tout de suite », se souvient-elle. S’ensuivent quatre années redoutables. « Mes journées étaient rythmées par les traitements, que je ne prenais pas régulièrement. J’ai continué à travailler, mais je suis aussi beaucoup sortie. Je me suis écroulée », relate Marie. Liens familiaux distendus, « rencontres toxiques », regards extérieurs sans concession, existence erratique ponctuée de salvateurs soutiens de bénévoles d’Aides et Chrétiens & Sida, de séquences de travail… « On m’a prise en main. J’ai fini par accepter la maladie, alors que je culpabilisais d’avoir commis une faute », souligne-t-elle aujourd’hui.
Avec l’enfant, l’horizon se dégage
Contact renoué avec une soeur, découverte du qi gong et de la sophrologie, Marie a retrouvé un peu de sérénité au moment où elle croise, en 2005, le chemin d’un homme dont elle partage la vie depuis dix ans. « J’ai retrouvé un équilibre psychique, financier. J’ai arrêté de fumer il y a huit ans. Je me suis reconstruite. Le regard des autres a changé. Je me suis libérée d’une tristesse », émet-elle. Jusqu’au jour, il y a cinq ans, où un projet d’enfant survient. « Je m’étais toujours dit que je n’en aurais pas. Mon compagnon a compris qu’un enfant me manquait. Ma santé s’améliorait, Pascale Perfezou (médecin) m’a soutenue. Elle a prévenu mon compagnon d’un risque contamination de 1 %, sans protection. Il a accepté. L’enfant a été conçu naturellement. Je n’ai jamais été aussi bien dans mon corps que pendant ma grossesse », sourit-elle.
« Je le préserve pour l’instant »
La perspective change. « Je dois aller au plus loin avec mon garçon de 4 ans. Je veux faire du sport à dose adaptée, tenir une hygiène de vie, être en forme pour reprendre le travail », égrène-t-elle. « Mon petit garçon m’aide beaucoup. Je le préserve pour l’instant. Je l’informerai de ma maladie, le bon moment viendra, j’ai confiance », livre Marie. De son côté, Antoine n’avait pas encore 40 ans quand il a appris, en 2002, qu’il était porteur du VIH et qu’il souffrait d’une hépatite B. « C’était à Noël. Je suis tombé gravement malade, des maladies opportunistes. Je pesais 48 kg. C’était glauque, comme une grande claque. Et tout cela dans le secret », se remémore-t-il. Treize ans plus tard, « grâce au réseau VIH, à l’équipe de Pascale Perfezou », il s’efforce de continuer à vivre le mieux possible avec la maladie. « Je pratique le télétravail depuis dix ans, deux jours à la maison et trois jours au bureau ; j’applique au quotidien des astuces tirées de la sophrologie, je veille à une stricte hygiène alimentaire, à bien observer le traitement (qui se réduit à un médicament), je m’entretiens avec une psychologue tous les mois et je suis des séances hebdomadaires d’aquagym ou de gym qui contribuent à préserver ma petite masse musculaire », décrit-il pêle-mêle. Antoine dit avancer « grâce au réseau et parce que c’est dans ma nature ». « Mais ce n’est devenu possible qu’à partir du moment où j’ai accepté la maladie, ce qui a pris quelques années. Le fait d’avoir pu me confier à des amis, à mon frère puis ma soeur, m’a aidé à cheminer plus rapidement peut-être, car l’annonce a changé le regard et le rapport aux autres, avec de la bienveillance », énonce-t-il.
« Comme une sorte de blocage »
À 52 ans, Antoine ne se projette pas vraiment. « Je fais les choses comme je le sens. Je m’aperçois tout de même qu’on développe des maladies de vieux : j’ai un cancer de la peau, qui va se résorber. Il faut savoir se préserver, car le virus est là, le corps le sait et il met beaucoup d’énergie à se défendre. C’est fatigant », relate-t-il. « La maladie ne se voit pas actuellement, et c’est tant mieux. Mais je pense tout le temps à comment je vais vieillir avec elle. Le plus compliqué sans doute, c’est de refaire sa vie. Il y a comme une sorte de blocage de ma part. Il me faut avancer là-dessus. J’ai été libéré d’un secret quand mes parents, qui ne savaient pas, sont partis en 2015. Peut-être que cela m’aidera ? », entrevoit le quinquagénaire. * Prénoms d’emprunt.
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