Seconde escale pour Ellen Page et son complice réalisateur Ian Daniel dans cette exploration de la réalité complexe des communautés LGBT à travers le monde. Après un détour par le japon, les deux amis débarquent cette fois au Brésil, en plein carnaval de Rio, l’un des événements les plus « sexuellement libéré » de la planète, mais où la vie au quotidien peut rapidement se transformer en cauchemar pour les homosexuels. Surtout les plus pauvres, « pour lesquels il est particulièrement difficile de faire valoir et de revendiquer des droits déjà restreints. »
« Vous n’en avez pas déjà assez ? »
Ce pays, qui compte la plus grande communauté catholique au monde avec 123 millions de fidèles pour 200 millions d’habitants, concentre également quelque 44% du total des meurtres homophobes. Soit le taux mondial le plus élevé. Un chiffre alarmant, et tout à fait édifiant, alors que le Brésil est le troisième en Amérique du sud à avoir instauré après des années de divergences en 2013 : le mariage entre personnes du même sexe.
« Impossible toutefois de se tenir par la main si on est un couple homosexuel, ni d’ailleurs s’embrasser publiquement… On préfère éviter de se démontrer de l’affection », explique une interlocutrice. « La société brésilienne ne le tolère toujours pas. Il ne s’agit pas non plus de sombrer dans une généralisation, même si le sentiment d’insécurité est pesant. La situation a quand même un peu plus évolué ces dernières années. »
Le 16 juillet 2015, un nouveau pas était effectivement franchi avec l’adoption d’une loi anti-discrimination par le Parlement de la ville de Rio de Janeiro. Mais après un balayage sur la plage pour recueillir les confidences de la population, les commentaires sont édifiants et confirment bien la tendance des chiffres.
« Je ne pense vraiment pas que l’on vient au monde homosexuel », affirme un jeune homme. « Je ne saurais l’expliquer mais j’en suis certain. On ne nait pas homosexuel, on le devient, c’est un choix ! » Tout à fait certaine de son ouverture d’esprit, une autre jeune femme avoue néanmoins ne pas particulièrement apprécier de voir deux hommes s’embrasser ou évoluer main dans la main : « J’ai comme à chaque fois, une sensation puissante d’irritation. »
« Les contradictions sont flagrantes », souligne John Wyllys, membre du parlement, seul et unique politicien ouvertement gay dans le pays. « Pendant les festivités du Carnaval, les hommes s’habillent en femme, sans que cela ne dérange qui que ce soit. Et tout le monde exprime d’ailleurs pleinement sa sexualité. Mais, si les choses n’avancent pas franchement, notamment en ce qui concerne les droits des LGBT, c’est essentiellement à cause des fondamentalistes catholiques, pour qui les homosexuels sont des pécheurs voués à l’enfer. La plupart des familles brésiliennes n’accepteraient pas d’avoir un enfant gay. Ce serait une honte. Et c’est identique du côté des instances politiques. Tous les élus qui rejettent l’homosexualité voient leur côte grimpée. Les homosexuels et lesbiennes sont à chaque fois stigmatisés parce qu’ils ne peuvent soi-disant pas « procréer ». Certains soutiennent également qu’il aurait fallu les « corriger » davantage quand ils étaient plus jeunes, pour éviter qu’ils ne deviennent trop douillets et donc « homosexuels ». Et malheureusement, ces discours se répercutent dans la société. Ces gens ont du sang sur les mains. Et, lorsque des assassinats sont commis, les cadavres sont encore mutilés parce que les victimes étaient des personnes LGBT. Et le Brésil excellant dans le machisme, les lesbiennes et transgenres sont inéluctablement les plus vulnérables. »
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Parmi les rencontres qui se succèdent, un entretien avec Jair Bolsonaro, membre influent du Congrès, classé dans la liste des pires homophobes. Il assure qu’il n’en est rien. Tout ceci est un sombre mythe. « Il lutte d’abord pour protéger les enfants » contre la corruption morale. Et lorsqu’Ellen revient sur ses propos « appelant à la violence contre les homosexuels » et lui demande s’il estime qu’elle aurait dû recevoir des coups adolescente pour éviter d’être « lesbienne », il rétorque que dans son cas, en tant que cadet de l’Armée, s’il l’avait rencontrée dans la rue quand il était plus jeune, il l’aurait probablement « sifflée » : « Vous êtes plutôt jolie », souligne t-il. De quoi exacerber la jeune star, déjà interloquée.
« A l’époque, il n’y avait pas autant de gays dans le pays », poursuit-il. « Mais avec toutes ces habitudes libérales, les drogues et les femmes qui se prostituent de plus en plus, le nombre des homosexuels s’est aussi considérablement accru. Il est nécessaire de savoir réagir. Quand un enfant est trop violent, on le corrige. On essaie de ne pas l’encourager dans des voies disparates. Il faut savoir garder des repères », ajoute-il. « Sans vous manquer de respect, je vous rappelle que vous ne pouvez pas avoir d’enfants, malgré tout l’amour que vous pouvez partager avec votre compagne. Il vous faudra nécessairement passer par un homme hétérosexuel. Je ne cherche pas à vous convertir… mais ne pensez pas que je puisse à mon tour devenir homo », conclut-il enfin.
« C’est avec ce genre de convictions que vous générer des préjudices et toute la haine qui altère ensuite la confiance et conduit les plus fragiles à la dépression et au suicide », insiste Ellen. « Si je peux vous aider à alléger votre angoisse, sachez que lorsqu’on observe toutes les souffrances endurées… Si l’orientation sexuelle était un choix, je ne l’aurais pas spécialement conseillé à qui que ce soit. »
Laxisme des autorités, témoignages des pratiques, de victimes ou familles traumatisées à la suite des agressions de leurs proches… Les situations sont éprouvantes, l’immersion difficile pour les deux amis, mais on découvre également des personnalités flamboyantes.
Terrence Katchadourian
stophomophobie.org