Mariage pour tous : « non à la collusion de la haine »

Il ne se passe pas un jour que les gays et les lesbiennes de France ne soient publiquement injuriés.

On pourrait dater l’apparition de cette agression permanente du 4 février 2005, où un député UMP a osé déclarer à leur propos : « Je critique les comportements, je dis qu’ils sont inférieurs moralement » (Nord Eclair, 4 février 2005).

Début d’une litanie hargneuse qui se poursuivrait par sa consœur, UMP elle aussi, s’exclamant à propos du mariage gay : « Et pourquoi pas des unions avec les animaux ? », cela, non dans une conversation privée, non, en pleine commission des Lois de l’Assemblée nationale de la République française (25 mai 2011).

Ces propos n’ont pu être tenus que parce que certains sont « décomplexés ». Ils s’en estiment autorisés à dire tout ce qu’ils pensent, si on peut appeler cela penser. Le responsable de cette dégradation de la parole publique est l’ancien président de la République. Il n’a pas été assez souligné que la campagne pour sa réélection a été marquée par trois déclarations homophobes. La première a eu lieu dès sa déclaration de candidature.

En pleine crise mondiale, il n’a pas d’abord parlé d’économie ou de chômage, non, le premier point qu’il a mis en avant a été le refus du mariage gay (Figaro Magazine, 11 février 2012). Quelques jours plus tard (19 février), il a déclaré devant 10 000 partisans à Marseille que les gays « n’aiment pas la France ». L’ineptie d’une pareille proposition au regard de l’histoire, de Louis XIII au maréchal Lyautey, n’a pas retenu un homme qui devait achever sa campagne par une attaque contre les gays qui seraient contradictoires de réclamer le mariage, puisqu’ils se réclameraient aussi du  » droit à la différence  » (France Inter,  » Matinée spéciale « , 17 avril). Ressemblance, différence, quoi que les gays et les lesbiennes fassent, ils ont tort. Pire, ils ne sont pas dans le droit. Puisqu’on le leur refuse.

LES DESCENDANTS POLITIQUES DU SARKOZYSME

Il ne faut donc pas s’étonner que les descendants politiques du sarkozysme se soient déchaînés à l’annonce du projet de loi bien timidement nommé « mariage pour tous », comme si les mots « gay » et « lesbienne » étaient honteux. Le 25 octobre 2012, lors du débat télévisé entre les deux candidats à la présidence de l’UMP, François Fillon déclare son « opposition totale au mariage homosexuel », suivi par Jean-François Copé disant que, « si elle devait être votée, à titre personnel, [il] ne célèbrerai[t] pas de mariage homosexuel « . Trois jours plus tard, le même M. Copé envisage d’organiser des manifestations contre le mariage gay (Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI, 28 octobre) ; il a positivement appelé à manifester lors du Grand rendez-vous Europe 1/Aujourd’hui en France/I télé dimanche, 11 novembre).

Il a été rejoint sur ce point par celle que certains surnomment sa sœur de lait, Marine Le Pen (KTO,  » Face aux chrétiens « , 1er novembre), laquelle a ensuite réclamé un referendum sur la question (BFM TV,  » BFM Politique « , 4 novembre) ; prochaine proposition, le pilori ? Voilà toute une catégorie de la population française vouée à l’injure non seulement quotidienne, mais pluriquotidienne : le même 4 novembre, le député Wauquiez annonçait l’abrogation si la droite revenait au pouvoir (France 3, Le 12/13). Le 5, la députée Pécresse (LCI,  » LCI Matin « ) annonçait que, de plus, la droite au pouvoir annulerait les mariages.

La montée en puissance de l’injure politique n’est pas mieux manifestée que par le nombre des députés et de sénateurs ayant signé une pétition contre le mariage gay : en janvier 2012, 82 députés et sénateurs UMP ; en octobre 2012, 124 députés et 56 sénateurs du même parti. Est-ce que, en période d’effondrement de l’économie, les représentants de la nation française n’ont pas mieux à faire que de désigner une partie de la population à la vindicte populaire ? Les élus gays de ces partis (et des autres) ne sont-ils pas honteux de rester muets face au comportement de leurs collègues ?

DESTRUCTION DE LA SOCIÉTÉ OCCIDENTALE ?

Et quelle est cette idée que le mariage gay mettrait la France en danger ? La Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Islande, le Canada, l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Espagne, le Portugal, les deux Etats du Mexique, les neuf Etats des Etats-Unis et le district de Washington où il existe ont-ils vu des hordes de gays et de lesbiennes peindre en rose les statues des grands hommes ? Le Premier ministre Cameron qui a déclaré : « Je suis pour le mariage gay parce que je suis conservateur » (conférence annuelle du parti conservateur, 10 octobre 2012) est-il un mauvais britannique? Un mauvais conservateur ? Un mauvais homme ? Barack Obama qui, dans le discours qui a suivi son élection, a déclaré : « Que vous soyez blanc ou noir (…), riche ou pauvre (…), gay ou hétérosexuel, vous pouvez vous accomplir en Amérique » (7 novembre, 2012) veut-il la destruction de la société occidentale ?

Les politiciens français qui tiennent ces propos démagogiques flattent un électorat qu’ils devraient éduquer. François Mitterrand a gagné son statut d’homme d’Etat en déclarant, le 16 mars 1981, alors qu’il était candidat à la présidence de la République et savait que la majorité des Français y était défavorable, qu’il demanderait l’abrogation de la peine de mort s’il était élu (Antenne 2,  » Cartes sur table « ). Et, dans le cas du mariage gay, la majorité de la population l’approuve. Que cherchent les élus qui excitent la rage des derniers opposants ?

Ils ont été rejoints dans leur course à l’injure par les représentants de toutes les religions, pour une fois réunis. Les deux principales autorités de l’Eglise catholique y ont collaboré. Le 14 septembre 2012, Mgr Barbarin, primat des Gaules, associait le mariage gay à la polygamie et à l’inceste (RCF/TLM,  » Droit de citer « ). Le 3 novembre, c’était le cardinal archevêque de Paris qui, au nom de la démocratie participative, approuvait d’avance des manifestations contre ce mariage qui « ébranlerait les fondements de notre société  » (Lourdes, conférence des évêques de France).

LE MOT « LOBBY »

Nous laisserons aux lecteurs le soin de qualifier un homme qui appelle démocratie participative des manifestations de rue et s’en recommande alors qu’il est membre d’un clergé nommé dans le plus grand arbitraire et dont le pape est élu par un synode de 120 cardinaux ne rendant aucun compte à un milliard de fidèles. Nous n’insisterons pas sur le silence non participatif des dignitaires de l’Eglise quand il s’est agi d’empêcher les torrents de pédophilie qui ont mené au bord de l’anéantissement les Eglises d’Irlande et des États-Unis, pour ne parler que des pays où les scandales sont publics. Employant très douteusement le mot « lobby », le cardinal archevêque de Paris sait de quoi il parle, puisque, en l’espèce comme en tant d’autres, son Eglise fait le lobbying le plus acharné. Apparemment, un lobby est un groupe qui défend des intérêts qu’on n’aime pas.

Il avait été précédé, le 19 octobre, par une plaquette de rien de moins que 25 pages contre le mariage gay par le Grand Rabbin Bernheim ( » un cheval de Troie »), et a été suivi, le 6 novembre, par une déclaration solennelle de Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (« un chemin irréversible qui engage la société d’aujourd’hui et de demain dans un avenir incertain »). La collusion de la haine est si patente que le Conseil français du culte musulman, que l’on ne savait pas si œcuménique, renvoie aux attaques des cultes catholiques, juifs et protestants. La Fédération protestante de France déclare que le mariage gay « n’est pas un cadeau à faire aux générations futures « , dans une pétition également signée par un pasteur de l’église luthérienne, un prêtre orthodoxe grec, un ministre anglican, un évêque de l’Eglise arménienne et le Grand Rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag. Le Grand Rabbin de Lyon s’était déjà illustré en déclarant que l’homosexualité est une maladie infectant la société (Nova, 23 janvier 2003).

Se mêlant d’affaires de droit civil qui ne les regardent en rien au regard de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ces divers cultes désireraient-ils la réunion des Eglises et de l’Etat pour une meilleure ostracisation des gays et des lesbiennes ?

Les médias reproduisent ces attaques avec un empressement qui semble parfois frôler la complaisance, et sans aucun équilibre dans les réponses. Là aussi, jour après jour, ce sont des attaques contre les gays et les lesbiennes qui ne voient publier que de très rares points de vue opposés. Le 3 octobre 2012, Le Figaro a publié un dossier de plusieurs pages contre le mariage gay et l’adoption avec appel en une, s’appuyant sur « les psys » dont d’habitude il appelle à se méfier. Ce journal est revenu quotidiennement à la charge, par exemple le 29 octobre 2012 où il a publié, toujours à la une, un appel de maires « grévistes » d’une loi qui n’est même pas votée. Où est le respect de la légalité justement prôné par un journal conservateur ?

NOUS NE SOMMES PAS DES PÉTITIONNAIRES DE PROFESSION

Le 28 octobre 2012, Le Monde publiait l’interview d’un théologien catholique membre du Comité consultatif national d’éthique, entièrement dirigée contre les homosexuels. Nous disons bien contre les homosexuels, pas contre le mariage gay, car il déclare : « Les homosexuels veulent entrer dans la norme en la subvertissant. » Que l’auteur de déclarations aussi méprisantes puisse rester membre d’un comité d’éthique est un motif d’étonnement. Il aura sans doute oublié les pratiques des premiers chrétiens qui ont précisément subverti les institutions de l’Empire romain jusqu’à s’en emparer.

Toutes ces paroles de haine auraient été indicibles il y a cinq ans. Tellement indicibles qu’elles n’étaient pas dites. Les atermoiements du gouvernement, pour ne pas dire plus, et le report du vote de la loi font que, jusqu’à son vote, ces injures continueront. Nous avons décidé de ne plus les supporter avec patience.

Nous ne sommes pas des pétitionnaires de profession. Certains d’entre nous sont gays, d’autres lesbiennes, d’autres hétérosexuels. Certains de gauche, d’autres de droite, certains chrétiens, d’autres juifs, d’autres agnostiques. Quelle que soit leur orientation sexuelle, certains ont des enfants. Certains sont célibataires, d’autres mariés, d’autres veufs. Aucun n’a de rendre compte à personne de son mode de vie. La plupart ont eu des parents hétérosexuels, et, parmi eux, certains ont eu une enfance malheureuse. Ils n’en accusent pas l’hétérosexualité. Certains ont des parents homosexuels et ont eu une enfance heureuse. Ils n’en félicitent pas l’homosexualité.

Nous n’avons pas les préjugés de nos ennemis, car la vie est la vie, et pas la haine. Les gays et les lesbiennes ne rendent pas moins de services à la France que des théologiens bizarres et des politiciens sans idées. Croit-on d’ailleurs qu’il n’existe pas d’homosexuels à l’UMP, parmi les rabbins, les mollahs et les pasteurs ? Les populistes homophobes et ceux qui répandent leurs propos se rendent-ils compte que leurs incessantes diatribes libèrent les actes ? Que, si des supposés responsables parlent de manière irresponsable, la brutalité va se sentir justifiée ? Dans tout cela, le mariage est un leurre. Une fois qu’il sera acquis, l’homophobie ne cessera pas, et c’est elle qu’il faut criminaliser. S’il y a quelque chose de dangereux dans une société, c’est le lobby de la bêtise et de la haine.

Charles Dantzig, écrivain ; Dominique Fernandez, écrivain ; Christophe Honoré, réalisateur; Olivier Poivre d’Arvor, directeur de France Culture…

Josyane Balasko, actrice ; Jean-Luc Barré, écrivain, directeur de la collection Bouquins; Alex Beaupain, chanteur ; Pierre Bergé, président de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, actionnaire du Monde; Martin Béthenod, directeur du Palazzo Grassi – Punta della Dogana; Geneviève Brisac, écrivain; Sylvain Bourmeau, journaliste; Robert Cantarella, metteur en scène; Maxime Catroux, éditrice; Manuel Carcassonne, directeur général adjoint des éditions Grasset; Edmonde Charles-Roux, écrivain, présidente de l’Académie Goncourt; Patrice Chéreau, réalisateur; Jean-Paul Civeyrac, réalisateur; Kéthévane Davrichewy, écrivain; Jean-Baptiste Del Amo, écrivain; Vincent Delerm, chanteur; Diastème, metteur en scène; Virginie Despentes, écrivain; Florence Dormoy, productrice; Ferrante Ferranti, photographe; Marcial Di Fonzo Bo, metteur en scène; Marina Foïs, actrice; Louis Garrel, acteur; Thomas Gornet, écrivain; Olivier Gluzman, producteur; Marianne James, actrice; Pierre Jourde, écrivain; Thierry Klifa, réalisateur; Jean-Marie Laclavetine, écrivain; Valérie Lang, actrice; Eric Lartigau, réalisateur; Catherine Leblanc, écrivain; Katia Lewkowicz, réalisatrice; Claude Lévêque, artiste; Amin Maalouf, écrivain, de l’Académie française; Thierry Magnier, éditeur; Sébastien Marnier, écrivain; Philippe Martin, producteur; Chiara Mastroianni, actrice; Arnaud Meunier, metteur en scène; Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse; Gaël Morel, réalisateur; Amélie Nothomb, écrivain; Anne Percin, écrivain; Patrick Rambaud, écrivain, membre de l’Académie Goncourt ; Eric Reinhardt, écrivain; Serge Renko, comédien; Mathieu Riboulet, écrivain, prix Décembre 2012; François de Ricqlès, président de Christie’s France; Pierre Rigal, chorégraphe; Cédric Rivrain, dessinateur; Thomas Scotto, écrivain; Abdellah Taïa, écrivain; Karin Viard, actrice; Eric Vigner, metteur en scène; Edouard Weil, producteur et Cathy Ytak, écrivain, cosignent cette tribune.

Lire aussi le point de vue de Claude Baty, président de la Fédération protestante de France ; Gilles Bernheim, grand rabbin de France ; Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman ; André Vingt-Trois, cardinal, archevêque de Paris… : « Laissons du temps au débat »

Le Monde