Le 25 novembre, deux jeunes filles ont été arrêtées à Marrakech après avoir été prises en flagrant délit en train de s’embrasser. A l’annonce de cette nouvelle, « je suis restée sans voix, anéantie », explique Lina (son prénom a été modifié), 43 ans, qui vit entre le Maroc et la France depuis une vingtaine d’années.
Artiste reconnue, elle milite également pour un meilleur traitement des homosexuels dans son pays d’origine. Elle-même lesbienne, elle ne comprends pas « comment les autorités peuvent s’en prendre à des mineures qui se retrouvent aujourd’hui au centre d’un déballage médiatique », alors qu’elles devraient être protégées. Au travers de leur histoire, « je me sens atteinte, en tant que femme, en tant que marocaine et en tant qu’homosexuelle. »
Au Maroc, l’homosexualité est encore taboue. « L’islam, qui y est religion d’Etat, n’est pas nocif, mais l’intolérance qui l’accompagne l’est. Des extrémistes instrumentalisent la foi, les conservateurs sont incapables de se remettre en question. Mais trop, c’est trop. Si l’arrestation de ces jeunes filles a fait les titres du monde entier, il faut également dénoncer les arrestations d’homosexuels qui se déroulent en secret », ajoute Lina, exhortant le Royaume à dépénaliser l’homosexualité.
« Nous pouvons être arrêtés pour n’importe quel motif. Les autorités portent très facilement atteinte à la vie privée. Or, c’est un droit, mon droit, de vivre librement. »
Au Maroc, l’article 489 du code pénal punit tout acte sexuel entre deux personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Mais en dépit des lois liberticides toujours en vigueur, le pays a connu des évolutions extraordinaires en terme de proclamation des libertés ces dernières années, qui sont notamment le fait d’associations, soutenues par les médias indépendants, qui s’évertuent à aider les personnes opprimées.
Droits des femmes, des homosexuels, défense des femmes battues : « les associations s’activent pour aider tous ceux qui sont dans le besoin et ce, quel que soit leur milieu social. Elles donnent des adresses de rencontre et de précieuses informations aux homosexuels. Le bouche à oreille fonctionne très bien également. Mais elles n’ont pas toujours l’appui du reste de la société. »
Selon une enquête réalisée en 2014 par l’institut TNS pour l’hebdomadaire TelQuelt, plus de 8 Marocains sur 10 (83% des sondés) n’étaient pas du tout favorables à la tolérance envers l’homosexualité.
« Avant internet, il était très compliqué pour les homosexuels de se rencontrer. Lorsque j’ai commencé à naviguer sur la toile, dans les années 1990, j’ai rencontré quelques amis homosexuels. Tous étaient des hommes. Les femmes y étaient complètement absentes. On ne les voyait pas, elles se cachaient.
Je suis donc resté avec mon groupe d’amis gays. Ils m’ont expliqué comment eux se rencontraient. Ils avaient leurs codes, pour se reconnaître entre eux, et cela fonctionnait plutôt bien. Parmi eux, il y avait un couple qui s’aimait profondément, tout en étant très croyants. Ils s’embrassaient avant de faire leurs ablutions, pour la prière.
Pour moi, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’islam et les choix relatifs à l’identité sexuelle. Mes parents ont appris mon homosexualité peu de temps après le début de ma relation avec ma compagne actuelle. Ils ont accepté sans aucun problème -ce qui est loin d’être le cas de toutes les familles marocaines- et mon père a appris à connaître mon amie. Nous faisions beaucoup de choses ensemble. Mon père l’adorait, il la considérait comme sa fille », poursuit Lina.
Pour autant, la situation reste préoccupante. « La condamnation de l’homosexualité, au nom d’une religion, quelle qu’elle soit, est concomitante d’une vision de la société où les hommes dominent les femmes. Relais d’une tradition patriarcale, la religion est souvent misogyne et homophobe. Les individus ne sont pas égaux en droits. »
Pour vivre dans un environnement protégé, l’exil est une possibilité pour les homosexuels. « Je soutiens d’ailleurs tous ceux qui souhaitent quitter le Maroc pour des pays tel que la Grande-Bretagne ou la France où ils pourront faire entendre la voix des oppressés restés aux pays », conclut Lina, en se réjouissant de l’exemple de son amie, Betty Lachgar, présidente de « MALI » (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles ) : « Au fil des années, elle est devenue l’oeil et la voix des femmes et des homosexuels marocains. Car il n’y a qu’en combattant que les choses pourront changer. »
Propos recueillis par Emilie Tôn