Ce régime d’exception, qui élargit les pouvoirs du président et des forces de sécurité, avait été initialement instauré pour une durée de trois mois, après la tentative de putsch du 15 juillet 2016, qui a permis aux autorités de mener de vastes purges. Sans cesse prolongé, il est arrivé à expiration tôt jeudi 19 juillet, a rapporté l’agence de presse étatique Anadolu.
Une « bonne nouvelle », qui devrait au plus vite s’accompagner de certaines mesures, « afin d’enrayer les pires effets que la répression des droits humains a eus pendant les deux années de l’état d’urgence », souligne Amnesty, qui appelle ainsi le gouvernement à s’engager dans le processus, s’il entend ramener la Turquie « à une situation de normalité ». Autrement, cette levée, qui survient moins d’un mois après la victoire de M. Erdogan à des élections cruciales, demeurera « une décision de façade ».
Les preuves faisant état de l’escalade des violations des droits humains se sont accumulées : des détentions arbitraires jusqu’aux poursuites abusives, en passant par la suspension de médias et la fermeture définitive d’organisations de la société civile. Bon nombre des mesures prises au titre de l’état d’urgence resteront d’ailleurs en vigueur, poursuit Amnesty.
« Il est certes légitime et normal que l’État protège la population dans une situation où l’ordre public est bouleversé et veille à ce que les responsables présumés d’infractions pénales soient traduits en justice, mais cela ne le dispense aucunement de respecter ses obligations en matière de droits humains ».
Depuis la mise en place de l’état d’urgence, la législation a été modifiée par 32 décrets exécutifs, qui ont force de loi. « Plus de 300 modifications de ce type ont été apportées à plus de 150 lois et beaucoup ont eu des répercussions sur les droits humains. Bien que les mesures prises aient empiété sur de nombreux droits, comme les droits à la liberté de réunion pacifique, à la liberté d’expression, à un procès équitable, à un recours utile et au travail, et aient entraîné la saisie de biens, ils n’ont pas fait l’objet d’un contrôle parlementaire effectif ni d’un examen par les tribunaux, laissant véritablement toute latitude au gouvernement pour diriger le pays sans aucune surveillance ».
Amnesty invite donc la Turquie à annuler toutes les mesures d’urgence « qui ne sont manifestement pas proportionnées ni nécessaires pour protéger le pays des menaces visant la sécurité nationale ou publique, ou qui entraînent des restrictions disproportionnées des droits humains » ; à libérer, sans délai, Taner Kılıç, avocat et responsable de la branche turque d’Amnesty, et tous les défenseur-e-s des droits humains, journalistes et autres personnes « détenu-e-s sans motif réel » ; veiller à ce que la population puisse se réunir et manifester pacifiquement sans crainte, notamment en cessant d’interdire systématiquement les rassemblements LGBTI dans tout le pays ; cesser les licenciements arbitraires d’employé-e-s du secteur public, comme l’y autoriserait le projet de loi examiné au Parlement le 16 juillet 2018, et faire en sorte que tous les fonctionnaires qui auront été révoqués puissent réintègrer leur poste, avec une indemnisation « comme il se doit » de tout préjudice, y compris la perte de revenu.
L’ONG rappelle en effet que « dans tous les cas où des personnes sont raisonnablement soupçonnées d’une faute professionnelle ou d’une infraction pénale, la décision concernant leur licenciement éventuel ne doit être prise qu’à l’issue d’une procédure disciplinaire en bonne et due forme respectant l’ensemble des garanties de procédure ».
La répression de la liberté de la presse s’est également traduite par la fermeture de plus de 170 médias, dont des organes de presse écrite, des diffuseurs audiovisuels et des maisons d’édition. Plus de 2 500 journalistes et autres professionnels des médias ont perdu leur emploi. Le paysage médiatique est encore plus désolé et uniforme depuis que le dernier groupe indépendant a été racheté par un conglomérat connu pour entretenir des liens professionnels étroits avec le gouvernement. Aujourd’hui, seuls quelques petits rescapés expriment des opinions différentes et critiques, et la Turquie est devenue, depuis 2016, le pays du monde comptant le plus grand nombre de journalistes incarcérés.
Amnesty réclame donc la permission pour tous, organisations de défense des droits humains comprises (plus 1 500 associations et fondations fermées), de rouvrir leurs portes, avec restitution des biens saisis.