Michel Togué est l’un des rares avocats à s’occuper des personnes LGBT au Cameroun. Depuis la défense de Roger, un jeune homme finalement condamné à trente-six mois de prison pour avoir envoyé un SMS où il avait écrit à son amant, «je suis très amoureux de toi», Michel Togué reçoit des menaces de mort. Il a dû évacuer sa famille aux Etats-Unis mais lui souhaite rester au Cameroun où malgré la campagne internationale de protestation et la pétition lancée par l’organisation All Out, la situation ne change pas. De passage à Paris, il a répondu à nos questions.
Quand avez-vous reçu pour la première fois des menaces de mort?
Le 19 octobre 2012. C’était des menaces du genre, «si tu n’abandonnes pas la défense des personnes homosexuelles, nous allons enlever tes enfants, nous les connaissons très bien». Mon épouse a reçu le même genre de messages, comme «choisis l’enfant que tu aimes le plus, nous allons le transformer en PD, comme ça tu comprendras ce que c’est de les défendre». J’ai dû installer ma famille outre-Atlantique pour sa sécurité, mais moi je reste au Cameroun. Je continue le combat.
Depuis quand défendez-vous les homosexuels?
Depuis 2001. Je me suis intéressé à cette cause, par devoir en tant qu’avocat, mais aussi en tant que défenseur des droits humains. Je suis depuis toujours un militant des droits de l’homme et pour moi le droit de choisir son orientation sexuelle est un droit fondamental qui ne doit pas être marginalisé.
Combien de personnes accusées d’homosexualité sont-elles actuellement détenues ou poursuivies au Cameroun ?
Pour l’instant deux sont en prison, Séraphin et Joseph, deux sont en liberté surveillée, Jonas et Franckie, et Roger a également été condamné.
Quelle est la situation actuelle de Roger?
Sa condamnation à trois ans de prison a été confirmée par la cour d’appel mais comme il était absent le jour du rendu du jugement, un mandat a été délivré contre lui. Pour l’instant, il est encore libre, mais il est obligé de se cacher. Il peut être arrêté n’importe quand.
Y-a-t-il une augmentation de la répression ces dernières années contre les gays au Cameroun?
De toute évidence. Les peines ont tendances à être de plus en plus lourdes. Avant cela allait de trois à sept mois, puis Roger a été condamné à trente-six mois, et encore plus récemment, Jonas et Frankie ont écopé de cinq ans. Ce sont deux jeunes qui sortaient de boîte de nuit et qui ont été interpellés par une patrouille de police parce qu’ils étaient habillés en filles. Heureusement, au mois de janvier la cour d’appel leur a rendu leur liberté. Ce sont ces deux derniers cas que Paul Biya a évoqué lors de son passage en France. Je me demande si les libérer ne faisait pas partie de sa stratégie juste pour sa visite, ce n’est pas impossible.
Cela ne serait donc que des effets de manche…
Le fait que Paul Biya en parle signifie tout de même que c’est un problème, qu’il n’est plus aussi indifférent que ça à la situation. Maintenant, il est difficile de connaître vraiment sa position. Son discours est le suivant: il dit qu’avant d’arriver au pouvoir l’homosexualité était déjà une infraction, qu’actuellement les gens en parlent, que les opinions changent dans un sens comme dans l’autre et qu’on verra. Il conclut en disant que les homosexuels et leurs défenseurs ne doivent pas désespérer.
Pourquoi le Cameroun n’accepte-t-il pas l’homosexualité? Est-ce un rejet de la part seulement des politiques ou de la population en général?
C’est un rejet de la part de la société en général. Dans le nord du pays, un homosexuel a été lynché an janvier. La question de l’homosexualité fâche. Selon les gens, l’homosexualité a été importée par les Occidentaux lors de la colonisation et ils estiment que pour des raisons religieuses cela ne peut pas être accepté. Ces idées restent malheureusement très vivaces dans les esprits. Il faut expliquer aux gens, les sensibiliser, car, pour eux, c’est encore du domaine de la sorcellerie, de la magie noire. La société oublie que ces personnes que l’on persécute, ce sont des Camerounais, ce ne sont pas des personnes venues d’ailleurs.
Source : liberation.fr