Se sentant menacée en tant que lesbienne par les séparatistes prorusses, Ioulia a fui sa ville natale de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine. Elle vit désormais à Kiev dans un centre d’hébergement spécialement conçu pour les « réfugiés LGBT ».
Cette Ukrainienne de 29 ans a toujours été très discrète en public concernant son orientation sexuelle.
La communauté LGBT osait pourtant se réunir à Donetsk avant la prise de pouvoir en avril 2014 des séparatistes. Aujourd’hui, elle est obligée de se cacher.
« Mes amis restés là-bas vivent dans la clandestinité« , raconte Ioulia, fumant une cigarette sur le balcon du centre qui l’accueille.
Elle a quitté la République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR) il y a près de trois mois et vit désormais dans le « refuge LGBT » de Kiev, qui consiste en un appartement de quatre pièces dans un quartier dortoir de la capitale. Cinq autres gays et lesbiennes y vivent aussi, tous originaires de la région de Donetsk ou de celle voisine de Lougansk.
Le centre, le premier de ce genre en Ukraine, a ouvert ses portes il y a environ un an avec l’intention d’accueillir des homosexuels de Crimée, péninsule ukrainienne annexée par la Russie en mars 2014, et de l’est de l’Ukraine, où les combats entre séparatistes et soldats ukrainiens ont fait plus de 6.400 morts depuis avril 2014.
Grâce à des fonds étrangers, l’association qui gère le refuge – et qui préfère garder l’anonymat – a pu louer l’appartement.
L’association fournit aussi des produits alimentaires et d’hygiène aux réfugiés, ainsi qu’un accès gratuit à un juriste, à un psychologue et à un médecin.
Seul bémol: les nouveaux arrivants ne peuvent y rester que trois mois, le temps jugé nécessaire pour qu’ils trouvent un emploi et un logement.
– ‘Chasse’ aux gays –
L’homosexualité, qui était punie par la loi en URSS, reste très stigmatisée en Ukraine, ex-république soviétique où l’Église orthodoxe a une forte influence. En DNR, la situation n’a fait qu’empirer, notamment parce que les rebelles s’inspirent du modèle russe, pays où la loi punit de prison la « propagande » homosexuelle devant les mineurs.
La Russie s’affiche de plus en plus en héraut des valeurs conservatrices, en opposition à la décadence dénoncée de l’Occident, où le mariage entre personnes de même sexe est autorisé dans plusieurs pays.
En juin 2014, des inconnus armés ont effectué une descente dans un bar gay de Donetsk, le « Vavilon« , frappant et extorquant de l’argent aux clients. Olexandre a fui la ville à cette époque.
Il raconte sa « peur d’être tué » par deux rebelles armés qui lui ont demandé « T’es pédé ‘« , alors qu’il achetait des cigarettes. Finalement, l’incident en est resté à des menaces, mais a convaincu le jeune homme de 28 ans de partir et fuir cette « chasse » aux gays.
« Les habitants ont commencé à parler dans le dos des gens, à démasquer (les homosexuels)« , affirme Olexandre. « Ils veulent nettoyer leur monde orthodoxe« , ajoute-t-il.
Un mois auparavant, il avait perdu son emploi après que son homosexualité avait été révélée à son patron par ses collègues.
« Tu travailles bien mais tu ne nous conviens pas (…). Je ne veux pas de gays au sein de mon personnel« , lui avait lancé son supérieur.
Marina, une jeune infirmière de 29 ans, a décidé de rester à Donetsk. « J’essaie de ne pas attirer l’attention. J’ai même retiré ma bague au pouce« , explique-t-elle, craignant d’être trahie par ce bijou, considéré par certains comme un signe de reconnaissance dans la communauté lesbienne.
– ‘Pire que sous l’URSS’ –
Selon Olexandre Zintchenkov, un représentant de l’ONG ukrainienne de défense des droits homosexuels, Notre Monde, « le niveau d’homophobie dans le Donbass est très élevé« .
« C’est pire qu’à l’époque soviétique. De nombreux gays et lesbiennes ont tout simplement fui« , regrette-t-il. Aucun chiffre officiel n’est cependant disponible.
Une fois arrivés à Kiev, les homosexuels sont encore loin d’être en sécurité. En témoigne la deuxième édition ukrainienne de la Gay Pride, qui s’est tenue en juin: une dizaine de militants ont été blessés, après des affrontements entre la police et des militants ultra-nationalistes, venus perturber l’évènement.