Le débat sur la laïcité continue de faire rage au Québec. Cette semaine, en réponse à un texte d’André Gagnon paru dans le magazine Être, les inclusifs demandent à la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) d’être solidaire avec les minorités religieuses. En tant que minorité aux droits souvent bafoués, les homosexuels devraient soutenir les minorités religieuses. Pourtant, les religions auxquelles appartiennent ces minorités sont aussi ouvertement homophobes, même dans leurs versions dites modérées. Appuyer les accommodements religieux menace-t-il les acquis et les progrès futurs de la lutte contre l’homophobie?
Même si les personnes homosexuelles semblent avoir été jusqu’ici épargnées par les accommodements religieux, elles sont directement concernées par ce débat de société. Les valeurs protégées par les accommodements relèvent de doctrines religieuses qui condamnent ouvertement les comportements homosexuels.
L’Église catholique condamne les relations homosexuelles et le mariage gai. L’Ancien Testament considère l’homosexualité comme une abomination. Le Coran juge l’homosexualité comme une grave déviance à la Loi divine. La charia condamne l’homosexualité et prescrit la peine de mort en guise de châtiment. Comment allons-nous réagir lorsqu’au nom de croyances religieuses ou culturelles, certains citoyens réclameront que l’on tolère leur homophobie?
On m’objectera qu’il n’y a pas de lien direct entre la croyance religieuse et l’homophobie. Pourtant, une étude scientifique publiée en septembre dernier a montré que plus les participants étaient croyants, plus ils avaient tendance à manifester de l’agressivité envers une personne prétendument homosexuelle qui estimait que la défense des droits des homosexuels était un important progrès social.(1)
On peut donc facilement imaginer un propriétaire qui refuse de louer un appartement à un couple de même sexe, un centre de la petite enfance qui n’accepte pas un enfant de parents de même sexe, un juif qui refuse de se faire soigner par un médecin homosexuel, une infirmière musulmane qui refuse de soigner une personne transsexuelle, etc.
Au nom de la liberté de religion, serait-il acceptable de permettre la discrimination des personnes homosexuelles en prétextant un accommodement raisonnable? Rappelons-nous qu’au nom de la liberté de religion, l’Église catholique a tenu un discours public homophobe au cours du débat sur le mariage civil.
Au nom de la tolérance, la plupart des sociétés occidentales garantissent sans discrimination l’exercice des droits et libertés, notamment de religion, de langue, et ce, sans égard à l’origine ethnique. C’est en invoquant le très occidental principe de tolérance qu’on nous demande de ne pas juger les autres cultures. D’un autre côté, nous constatons que ce qu’on nous demande d’accepter en invoquant notre principe de tolérance contrevient souvent au principe de tolérance.
Ce qui fonde notre principe de tolérance est une valeur caractéristique de l’Occident moderne : la liberté. Depuis Rousseau et Kant, les cultures d’origine européenne considèrent que tous les êtres humains sont libres et égaux en droit. Cette liberté fonde la dignité humaine et fait du respect de la personne un absolu. Le concept de liberté, pour être cohérent, ne se résume donc pas à tout permettre au nom de la liberté de religion.
Or, il est parfaitement possible que certains accommodements soient motivés par des valeurs qui nient la liberté et l’égalité des minorités sexuelles. Le principe universel du respect de la personne n’est pas respecté dans toutes les cultures.
Le multiculturalisme peut nuire au respect de valeurs universelles, bien qu’il soit né d’une volonté de tolérance. L’esprit de tolérance, pour ne pas renier l’idéal de liberté qui est à son origine, doit promouvoir et protéger la dignité humaine, protéger la vie privée de chaque individu, rendre chaque citoyen souverain de son esprit et en même temps assigner des limites à la liberté pour empêcher, par exemple, le droit à l’exercice de sa religion de supplanter le devoir de respecter les minorités sexuelles, sinon le concept même de liberté est vidé de son sens et se retourne alors contre lui-même.
Nous devons empêcher les fondamentalistes religieux d’abuser de notre tolérance pour imposer leurs préjugés homophobes. Un monde tolérant doit pouvoir tolérer le fait que l’intolérable ne peut être toléré pour rester cohérent lorsqu’il affirme vouloir le respect de la dignité de la personne et de ses droits et libertés. C’est en définissant des principes non négociables qu’il sera possible d’accepter sans contradiction les différences culturelles en même temps que l’idéal d’égalité et de liberté de la démocratie.
Par François Doyon
Professeur de philosophie au cégep de saint-Jérôme
(1) Joanna BLOGOWSKA, Catherine LAMBERT, Vassilis SAROGLOU, « Religious Prosociality and Aggression: It’s Real », Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 52, no 3 (septembre 2013), p. 524-536.