Fondée il y a 19 ans, l’association demeure toujours aussi discrète. Les 50 membres n’osent pas divulguer leur identité, craignant les représailles de la hiérarchie catholique. Bruno Fluder est l’un des deux seuls membres à s’afficher publiquement. «Je peux prendre ce risque, car l’Eglise n’est plus mon employeur», explique-t-il.
Le groupe tient une liste secrète d’une vingtaine de noms de prêtres et assistants pastoraux catholiques disposés à bénir les couples homosexuels, qui veulent invoquer la bienveillance divine sur leur amour, mais sans tapage médiatique.
«La majorité des prêtres sur cette liste ne font pas partie de notre association, mais nous les connaissons», raconte Bruno Fluder.
L’homme, cordial, n’a pas hésité à nous accueillir dans son bureau à la Mission Bethléem à Lucerne, une ONG de coopération solidaire. Il dirige encore un chœur dans une église de la région, mais il a quitté son poste d’assistant pastoral. «Je ne voulais plus être employé dans une institution religieuse qui ne respecte pas le droit des femmes et des hommes. Il ne s’agit pas seulement de la question homosexuelle», précise-t-il.
Le Lucernois se dit toujours fervent catholique et attaché à la communauté religieuse. A l’âge de 10 ans, il rêvait de devenir prêtre. «Je crois que cette vocation précoce n’est pas étrangère à mon homosexualité, même si je n’en avais pas conscience. C’est le seul métier qui permet de ne pas se marier», analyse-t-il trente ans plus tard.
Quand il prend conscience, à 14 ans, de son orientation sexuelle, il nie l’évidence et se tourne vers la foi catholique
«Prêtre, c’était pour moi la seule solution.» Ce n’est qu’à 25 ans, au terme de ses études en théologie, qu’il réalise que l’ordination n’est pas la solution qui lui convient. Il devient alors assistant pastoral et entame une psychothérapie.
«Un ami diacre à Saint-Gall m’a proposé de rejoindre l’association qu’il venait de créer avec dix autres employés de l’Eglise. Je n’avais pas encore fait mon coming out et sa proposition m’a perturbé. Mais j’ai fini par accepter, et j’en suis devenu le président quelques années plus tard.»
Adamim réunit des religieux catholiques, quelques protestants et orthodoxes, aux visions très variées. «Certains sont conservateurs, d’autres très libéraux. Il y a des membres qui n’ont jamais eu de rapports sexuels mais se sentent homosexuels, d’autres qui ont une relation durable de couple, et quelques-uns qui ont des rapports libertins», raconte Bruno Fluder. A l’origine, le groupe se réunissait une fois par mois, afin que chacun raconte son expérience. «Sans se juger! Cela m’a fait beaucoup de bien», sourit-il.
L’ancien président d’Adamim paraît serein, épanoui. Il a enfin clarifié son rapport à cette Eglise qui condamne l’homosexualité. Mais il ne montre guère d’espoir.
L’institution n’offre pas de nouvelles perspectives aux homosexuels. «Elle les rejette autant qu’il y a 19 ans, lors de la fondation d’Adamim», estime-t-il. Il n’attend pas de changement de la part du synode des évêques sur la famille, qui doit se réunir cet automne, ni du nouveau pape François. Ce dernier «développe une nouvelle rhétorique qui est positive. Mais il ne va pas remettre en cause les fondamentaux sur le célibat des prêtres, l’ordination des femmes, le préservatif ou les homosexuels», regrette-t-il. «Une année avant qu’il ne devienne pape, l’archevêque de Buenos Aires s’est publiquement exprimé contre les homosexuels, à l’occasion d’une votation, les comparant au diable», rappelle-t-il.
Les jeunes prêtres ne sont pas plus progressistes, estime le responsable. L’association ne reçoit quasiment pas de nouvelles demandes d’adhésion. «Mêmes de jeunes prêtres homosexuels, conservateurs, s’opposent à la bénédiction des couples du même sexe. La théologie de notre association leur paraît trop libérale.»
Les membres fidèles se réunissent désormais quatre fois par an. Ils n’étaient plus que 15 à la dernière assemblée générale en janvier. Ils ont hésité à dissoudre l’association, chacun s’accommodant de sa fonction et de son orientation sexuelle, dans le plus grand secret. «Mais c’était important de garder une visibilité. De rappeler à la société que l’on existe.»
Bruno Fluder salue le courage du prêtre de Bürglen qui a osé bénir un couple lesbien, ainsi que le soutien des politiques et du Conseil pastoral. Et il se réjouit de la couverture médiatique, qui «fait avancer le débat». «Ce serait fantastique si nos 50 membres osaient faire leur coming out en même temps», se met-il à rêver. Mais le tabou n’est pas près de tomber. «Selon les recherches menées par Richard Sipe, ancien prêtre américain devenu psychothérapeute, 20 à 40% des prêtres catholiques seraient homosexuels», affirme-t-il. Pourquoi une telle surreprésentation dans cette institution religieuse qui les condamne? «Peut-être qu’ils ont eu les mêmes dilemmes que moi à l’adolescence, glisse Bruno Fluder. Ceux qui expriment les sentiments les plus homophobes sont ceux qui luttent contre leurs propres interrogations.»
Le quadragénaire est pour l’heure célibataire. «Je n’ai pas encore rencontré l’âme sœur.» «Je fêterai certainement cette union, le jour venu. Mais ce ne sera pas à l’église», confesse-t-il. Le sentiment de rejet est encore trop douloureux.